« Non recevable. » La réponse de l’ONU aux 5 000 victimes du choléra en Haïti qui depuis deux ans lui réclament une indemnisation, est sans appel. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’épidémie, dont l’origine a été attribuée par plusieurs experts à des casques bleus népalais déployés en Haïti, a infecté plus de 620 000 personnes et fait plus de 7 700 morts depuis octobre 2010.
Le secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon, dans une déclaration publiée jeudi 21 février, a déclaré que la demande des victimes n’est pas recevable au vu des « privilèges et immunités » dont bénéficie l’organisation depuis 1946, tout en réaffirmant qu’ « il est extrêmement sensible aux terribles souffrances causées par l’épidémie de choléra » .
Cette fin de non-recevoir a jeté un froid au siège de l’ONU, plusieurs diplomates s’avouant « choqués » par la décision d’invoquer l’immunité diplomatique après deux ans de tergiversations et pariant sur son « effet désastreux » pour l’image des Nations unies.
L’épidémiologiste français Renaud Piarroux, envoyé en mission en Haïti par la France à la demande du ministère haïtien de la santé, avait été le premier dès 2010 à pointer du doigt la responsabilité d’un bataillon de la Mission de stabilisation de l’ONU en Haïti (Minustah), originaire du Népal, où le choléra est endémique.
Dans son rapport, le chercheur concluait : « Le foyer infectieux est parti du camp des Népalais » situé à Mirebalais, au centre du pays. Au département des opérations de maintien de la paix, les fonctionnaires habituellement bavards s’esquivent, non sans admettre leur malaise : « C’est le genre de situation que nous fuyons tous, plutôt nous faire porter pâles que d’avoir à commenter », lâche l’un d’eux.
L’ONU n’a jamais reconnu sa responsabilité dans l’épidémie. Un rapport des centres américains de contrôle et de prévention des maladies concluait pourtant en ce sens en juin 2011. C’était un mois après celui d’un comité d’experts indépendants mandatés par les Nations unies, qui avaient réussi à identifier une souche de virus venue d’Asie du Sud, mais s’étaient bien gardés d’aller jusqu’à incriminer les casques bleus népalais. Rien ne permet de déterminer formellement l’origine de la maladie, répètent à l’envi les responsables de l’ONU.
Plainte collective historique
Les avocats des 5 000 victimes – dont un grand nombre sont décédées – ou de leurs familles réclament 100 000 dollars (75 000 euros) pour chaque mort et 50 000 dollars pour chaque personne infectée, et menacent de poursuivre les Nations unies devant un tribunal haïtien, newyorkais ou européen. Plusieurs milliers d’autres malades auraient l’intention de se joindre à ce qui pourrait bientôt ressembler à une plainte collective historique. Des centaines de millions de dollars sont en jeu.
La peur de créer un précédent et d’ouvrir la voie à d’autres demandes d’indemnisation hante l’ONU, qui rappelle avoir lancé un appel de fonds de 2,2 milliards de dollars en décembre 2011, pour financer une campagne destinée à éradiquer l’épidémie de choléra en Haïti.
Alexandra Geneste, New York (Nations unies), correspondante