Ce triste anniversaire est l’occasion de revenir sur la situation du pays à partir d’un entretien avec Didier Dominique, porte-parole de Batay Ouvriyé, organisation « lutte de classe » qui a une implantation de plusieurs décennies en Haïti et avec laquelle le NPA entretient des rapports fraternels.
Ironie du calendrier, le 15 octobre dernier, date choisie pour un nouveau rendez-vous donné par les IndignéEs du monde entier, était pour Haïti le jour du renouvellement annuel du contrat de la Minustah (Mission des Nations unies de stabilisation d’Haïti). La population est soumise à l’occupation pure et simple de soldats issus de pas moins de 25 pays qui se livrent à des exactions terribles : humiliations, viols, viols collectifs, exécutions… et qui sont impliqués dans la transmission criminelle de l’épidémie de choléra. Les troupes sont très nombreuses, de 9 000 hommes avant le tremblement de terre, elles sont passées à 12 000, pour une population de moins de 10 millions d’habitants. Elles sont surarmées de chars et de tanks utilisés pour une répression féroce, allant jusqu’à tirer dans les quartiers populaires sur les églises, les hôpitaux et les écoles, à laquelle la population résiste à coup de pierres.
« Bloquant ainsi toute expression démocratique et libre, la pratique ignoble de la Minustah restera gravée dans l’histoire. Réprimer, arrêter, tuer… au seul profit des transnationales du textile qui, sous couvert de venir « aider » en « créant du travail », ne viennent en fait que dans le but d’exploiter sans limite une classe ouvrière qu’ils ont eux-mêmes rendue la plus pauvre et misérable de la planète, par l’intermédiaire de leurs États dominateurs et avec l’aide des collaborateurs locaux en tout genre. Tremblement de terre et choléra aidant, la rendre encore plus malléable, opprimée et exploitable à souhait est de leurs projets le plus immonde. » [1]
En effet, la catastrophe a servi de prétexte tant à l’intensification de la présence armée que de la domination impérialiste. La situation de la population est toujours aussi dramatique : des grottes creusées dans les tas d’ordures pour tenter de s’abriter, des « biscuits de terre » pour calmer la faim, pas d’eau, pas d’électricité, pas de santé : « si quelqu’un est malade, il est mort ».
Ce qui est baptisé « reconstruction » est en réalité un plan de 40 zones franches. Clinton, qui est le président de la Commission intérimaire pour la reconstruction d’Haïti (CIRH) agit directement pour les intérêt des capitalistes des secteurs de l’agroalimentaire, comme Monsanto ou le secteur des agrocarburants, et du textile qui cherchent à bénéficier de l’une des mains-d’œuvre les moins chères du monde.
Les forces de la Minustah appuient clairement la dictature néo-duvaliériste et même le retour d’un duvaliérisme sans fard. Elle prête main forte aux anciens duvaliéristes, grands propriétaires fonciers et macoutes des plus sanguinaires, qui reviennent récupérer « leurs terres », délogeant violemment les petits paysans travailleurs qui les occupent depuis plus de 25, 50 et parfois 100 ans !
Mais loin de l’image véhiculée d’un peuple simplement « malheureux et assisté », les luttes, la résistance face à l’occupation et à l’exploitation impérialistes se développent. En 2008, il y a eu le « soulèvement de la faim ». En 2009, la lutte pour un salaire minimum de 5 dollars par jour – alors que les ateliers affichent 3 dollars mais n’en paient en réalité que 2 – a été durement réprimée, sept personnes ont été tuées. La constitution de syndicats est suivie du renvoi de ses principaux membres avec la complicité des fonctionnaires du ministère des Affaires sociales et du Travail. Ce fut le cas récemment du syndicat du textile SOTA, dont le comité exécutif a été démantelé la semaine qui a suivi son annonce publique. Ce sont aussi les étudiants, les organisations populaires de quartier qui refusent les projets tape-à-l’œil du gouvernement pro-impérialiste, et les organisations paysannes qui résistent pied à pied malgré la répression. Plus d’un millier de personnes ont manifesté le lundi 5 septembre devant les locaux de la base onusienne à Port-Salut pour dénoncer les viols et abus de toutes sortes commis par les soldats uruguayens cantonnés dans cette région, et réclamer le départ de la Minustah.
Christine Poupin