Washington Correspondante
Le président Barack Obama, qui prévoit de tenir un discours sur Guantanamo et la lutte antiterroriste le 21 mai, aura fort à faire pour dissiper le sentiment général parmi les défenseurs des droits de l’homme et la gauche démocrate qui se sentent « trahis ».
Même s’il n’avait jamais formellement annoncé, pendant la campagne, qu’il poursuivrait tous les suspects de terrorisme devant la justice criminelle fédérale, et même s’il n’avait fait que « suspendre », en janvier, les commissions militaires, le public avait surtout retenu ses critiques implacables contre les tribunaux d’exception mis en place par son prédécesseur, George Bush. « Un échec monumental », disait-il en 2008, arguant du fait que trois détenus seulement avaient été jugés en sept ans.
Par un communiqué, M. Obama a annoncé, jeudi 14 mai, qu’il avait décidé de conserver les commissions militaires, mais sous une forme révisée. Dans les 120 jours, de nouvelles règles de procédure seront définies, par décret ou en modifiant la loi de 2006. Différence de taille : les confessions obtenues par « des méthodes d’interrogation cruelles, inhumaines et dégradantes » ne seront pas prises en compte. Mais les témoignages indirects, non confirmés à la barre par leurs auteurs, ne seront pas systématiquement exclus (la charge de prouver leur fiabilité reviendrait cependant à l’accusation).
M. Obama a constaté qu’un certain nombre de détenus - une vingtaine, semble-t-il - ne pourra pas comparaître devant la justice ordinaire, soit à cause des traitements infligés par la CIA, soit par crainte de divulguer des techniques de surveillance sophistiquées. Les commissions permettraient par ailleurs de tenir les procès des accusés des attentats du 11 septembre 2001, sur la base de Guantanamo (Cuba), à l’heure où les élus américains font tout pour éviter que des terroristes présumés soient transférés dans leur circonscription.
L’organisation de défense des droits de l’homme Human Rights Watch (HRW) a estimé que « relancer les tribunaux militaires vidait de son sens la fermeture de Guantanamo ». Sur les blogs des activistes de gauche, « les commissions militaires de Bush » sont devenues « les commissions d’Obama ».
C. Ls
* Article paru dans le Monde, édition du 17.05.09. LE MONDE | 16.05.09 | 15h10 • Mis à jour le 16.05.09 | 15h10.
LA FRANCE ACCUEILLE UN EX-DÉTENU DE GUANTANAMO
Lakhdar Boumediene, un Algérien de 42 ans emprisonné durant plus de sept ans à Guantanamo et innocenté par la justice américaine à l’automne 2008, est arrivé, vendredi 15 mai, en France, où il résidera désormais selon le Quai d’Orsay. Rejoint par son épouse et ses deux filles - arrivées d’Algérie -, il devrait être hébergé par sa belle-soeur à Nice, après avoir reçu des soins médicaux. Il est le premier prisonnier libéré de Guantanamo, non résident et non citoyen français, à être accueilli en France. Soupçonné de préparer un attentat contre l’ambassade des Etats-Unis à Sarajevo, M. Boumediene avait été arrêté en octobre 2001 en Bosnie avec cinq autres Algériens. - (Corresp.)
Obama ne fermera pas les tribunaux militaires de Guantanamo
L’annonce de la fermeture de la prison de Guantanamo par l’administration Obama avait réjoui les organisations de gauche et de défense des droits de l’homme. La réouverture des tribunaux militaires d’exception chargés de juger les terroristes présumés qui s’y trouvent aura sans doute l’effet contraire. Le président américain a annoncé, vendredi 14 mai, une réforme de ces « commissions militaires » mises en place sous George W. Bush, qui seront rouvertes avec plus de garanties légales pour les détenus.
Le nouveau cadre légal prévu par l’administration démocrate, avec approbation du Congrès, devrait prévoir des restrictions sur l’usage des témoignages indirects, c’est-à-dire non confirmés à la barre par celui qui les a produits, et les confessions obtenues sous la contrainte de techniques d’interrogatoire controversées comme la simulation de noyade (« waterboarding »). Les détenus disposeraient également de davantage de liberté pour choisir leur avocat militaire.
Ce changement du système judiciaire de Guantanamo ne devrait pourtant affecter qu’un très faible nombre de détenus. Il ne reste que 241 détenus dans la prison militaire américaine, dont 60 jugés libérables. La réforme ne devrait concerner tout au plus qu’une vingtaine de détenus, croit savoir la presse américaine, dont cinq individus soupconnés d’avoir participé aux attentats du 11-Septembre. Actuellement, le système des tribunaux d’exception est suspendu depuis le 20 janvier et le gouvernement américain devrait demander un délai de suspension supplémentaire de 4 mois afin de donner le temps au Congrès de se prononcer.
En sept ans, les tribunaux d’exception n’ont examiné que trois cas, contre 145 pour les tribunaux fédéraux. Dans le même temps, près de 800 hommes et adolescents ont été détenus à Guantanamo. La prison militaire doit fermer ses portes d’ici janvier 2010, et l’administration Obama pourrait manquer de temps pour examiner tous les dossiers. Le Wall Street Journal annonce que le transfert de certains détenus sur le sol américain est envisagé. Ceux qui ne seront pas poursuivis seront relâchés ou transferés vers d’autres pays. Vendredi, l’Algérien Lakhdar Boumediene a été transféré vers la France.
« RÉGIME ILLÉGAL DE DÉTENTION »
La décision de Barack Obama n’a pas manqué de faire réagir les associations de défense de droits de l’homme outre-atlantique. « Relancer les tribunaux militaires vide de son sens la fermeture de Guantanamo », a souligné Human Rights Watch, alors qu’Amnesty International a rappelé que « les commissions militaires faisaient partie d’un régime illégal de détention et étaient destinées à faciliter les condamnations ».
Pour l’American Civil Liberties Union (ACLU), principale association de défense des droits civiques, il est « dommage qu’Obama tente de relancer une politique vouée à l’échec ». « Même avec les modifications annoncées, les commissions ne seront pas légitimes », rappelle Jonathan Hafetz de l’ACLU. C’est la continuation de la politique de détention de l’administration Bush« . Selon ses conseillers, M. Obama, qui s’était élevé pendant la campagne contre »les commissions militaires illégitimes" de son prédecesseur, a tranché pour une modification car il était trop difficile de juger tous les détenus dans des tribunaux civils.
* LEMONDE.FR avec AP, AFP | 15.05.09 | 19h08 • Mis à jour le 15.05.09 | 19h28