NEW YORK CORRESPONDANT
Lorsqu’il entrera en fonctions, le 20 janvier, le prochain président américain, Barack Obama, devra décider de l’attitude à adopter à l’égard des abus perpétrés par l’administration Bush contre des détenus de la base américaine de Guantanamo Bay (Cuba) à la prison irakienne d’Abou Ghraib. Voudra-t-il juger les responsables ? Ou préférera-t-il tourner la page ? Quelle qu’elle soit, sa décision sera nourrie par un rapport en forme de réquisitoire, remis, jeudi 11 décembre, par la commission des forces armées du Sénat américain. Le document confidentiel, dont un résumé de 29 pages a été rendu public, met en cause de hauts responsables de l’administration Bush.
« Les mauvais traitements (...) ne peuvent pas être simplement attribués à quelques brebis galeuses », affirme le rapport, selon lequel tout a commencé lorsque le président Bush a décidé, le 7 février 2002, que les conventions de Genève ne s’appliquaient pas aux détenus talibans et d’Al-Qaida. « A la suite de cette détermination du président, des techniques telles que le waterboarding (simulation de noyade), la nudité, les positions douloureuses (stress positions) (...) ont été autorisées pour interroger des détenus », indique le document.
Ces techniques s’inspiraient d’un programme de l’armée américaine intitulé « SERE » (Survival, Evasion, Resistance and Escape) et destiné à endurcir les soldats américains, en les soumettant à des techniques d’interrogations employées notamment par l’armée chinoise pendant la guerre de Corée.
En autorisant, en décembre 2002, des techniques d’interrogation « agressives » à Guantanamo Bay, Donald Rumsfeld, le secrétaire à la défense de 2001 à 2006, a, selon le rapport, transmis un « message selon lequel des pressions physiques et l’humiliation étaient un traitement adéquat pour les détenus ». Sont également mis en cause « des membres du cabinet du président », et notamment Condoleezza Rice, alors conseillère à la sécurité nationale, qui ont « participé à des réunions à la Maison Blanche en 2002 et 2003 au cours desquelles des techniques d’interrogation spécifiques ont été débattues ».
Le panel du Sénat, composé de 25 sénateurs, dont 12 républicains, était dirigé par le démocrate du Michigan, Carl Levin, et le candidat malheureux à l’élection présidentielle, le républicain John McCain, lui-même torturé lorsqu’il était prisonnier au Vietnam. Par consensus, les sénateurs ont conclu que les tactiques de l’administration Bush, justifiées par le besoin de collecter du renseignement, avaient eu pour effet de « nuire à la capacité (des Etats-Unis) de collecter du renseignement juste, de nature à sauver des vies, avaient renforcé (leurs) ennemis, et compromis (leur) autorité morale ».
Avant que le Sénat les reconnaisse, la plupart de ces observations avaient déjà émergé ces dernières années. « Mieux vaut tard que jamais », commente toutefois Kenneth Roth, directeur exécutif de Human Rights Watch (HRW), qui se réjouit du ton du rapport d’une commission « généralement complaisante avec le Pentagone ». « La torture est un crime grave qui devrait faire l’objet de poursuites », explique-t-il au Monde, tout en jugeant « probable » que le président Bush fasse usage de son droit de grâce présidentielle pour amnistier par avance les responsables de son administration, et peut-être pour s’amnistier lui-même. Bien que la Constitution américaine le permette, une telle décision serait, selon M. Roth, une admission de culpabilité et placerait le président au-dessus des lois.
HRW recommande l’établissement d’une commission indépendante chargée d’établir les faits, sur le modèle de celle mise en place pour faire la lumière autour des attentats du 11 septembre 2001. « Je ne suis pas sûr que Barack Obama en veuille », admet toutefois Kenneth Roth. Confronté à la crise et au retrait d’Irak, le futur président pourrait ne pas vouloir « donner l’impression d’être vengeur » ou de « s’attarder sur le passé ». « Donald Rumsfeld serait toutefois mal avisé de trop voyager », prévient M. Roth, qui rappelle que plusieurs pays, et notamment la France ou l’Allemagne, peuvent juger des crimes de torture commis hors de leurs frontières.