Pour la première fois, une responsable de haut rang de l’administration Bush a admis des actes de torture à l’encontre d’un détenu du camp de Guantanamo (Cuba). « Nous avons torturé Mohammed Al-Qahtani », a affirmé Susan Crawford, une juge militaire à la retraite, mercredi 14 janvier, dans un entretien au Washington Post.
Prisonnier depuis sa capture en Afghanistan en janvier 2002, Mohammed Al-Qahtani est soupçonné d’avoir participé à la préparation des attentats du 11 septembre 2001 à New York. Chargée du renvoi des détenus de Guantanamo devant un tribunal d’exception, Mme Crawford a reconnu l’utilisation de techniques comme l’isolement prolongé, la privation de sommeil ou l’exposition au froid.
« Son traitement correspond à la définition légale de la torture. C’est pour cette raison que je n’avais pas renvoyé ce cas » devant un tribunal, a-t-elle expliqué. En mai 2008, elle avait abandonné les charges contre ce Saoudien. Ces révélations pourraient avoir des conséquences sur le sort judiciaire des cinq hommes soupçonnés d’avoir organisé le 11-Septembre et toujours détenus à Guantanamo. Le président sortant George Bush a affirmé que les Etats-unis ne pratiquaient pas la torture. - (AFP, Reuters.)
* Article paru dans le Monde, édition du 16.01.09. LE MONDE | 15.01.09 | 16h10 • Mis à jour le 15.01.09 | 16h10.
Guantanamo : une responsable américaine reconnaît que la torture a été utilisée
La responsable américaine des procès de Guantanamo, Susan J. Crawford, a reconnu dans un entretien publié, mercredi 14 janvier, dans le Washington Post, que les Etats-Unis avaient utilisé la torture contre un détenu saoudien. « Nous avons torturé Qahtani », a-t-elle affirmé, précisant qu’elle renverrait son cas devant la justice. Suspecté d’être l’éventuel vingtième pirate des attentats du 11 septembre 2001, Mohammed Al-Qahtani, 30 ans, est détenu à Guantanamo depuis janvier 2002.
Il a été soumis à un régime d’isolement prolongé, de privation de sommeil, de nudité et d’exposition prolongée au froid, le laissant « dans un état qui menaçait sa vie », a indiqué Susan Crawford. « Les techniques utilisées étaient toutes autorisées mais la façon dont elles ont été appliquées était trop agressive et trop prolongée (...). C’était injurieux et inapproprié. Et coercitif. Clairement coercitif. C’est cet impact médical qui m’a conduite » à parler de torture, a-t-elle précisé. Qahtani a été interrogé durant plus de cinquante jours, de novembre 2002 à janvier 2003 et maintenu à l’isolement jusqu’en avril de la même année.
« J’HÉSITERAIS AVANT DE DIRE ’LAISSEZ-LE PARTIR’ »
Nommée par le secrétaire à la défense, Robert Gates – reconduit dans ses fonctions par Barack Obama –, Susan J. Crawford a été chargée de décider si les détenus de Guantanamo peuvent faire l’objet d’un procès. Elle a laissé la responsabilité de la libération de Qahtani au futur président américain. « Il n’y a aucun doute dans mon esprit que [Qahtani] aurait été dans l’un de ces avions [détournés le 11 septembre] s’il avait eu accès au pays en août 2001, a-t-elle expliqué. C’est un homme très dangereux. Que faire avec lui si on ne l’inculpe pas et ne le juge pas ? J’hésiterais avant de dire ’Laissez-le partir’. »
Le président élu Barack Obama devrait ordonner par décret la fermeture du centre de détention de Guantanamo dès la première semaine suivant sa prise de fonctions, mais il a d’ores et déjà annoncé que cette décision ne serait pas effective immédiatement. On ignore encore où les détenus seront redirigés.
* LeMonde.fr avec AP | 14.01.09 | 17h48 • Mis à jour le 14.01.09 | 20h11.
« A Guantanamo, j’étais devenu aussi inhumain que ceux que je poursuivais »
L’AMÉRIQUE EN TRANSITION - Darrel Vandeveld, ancien procureur des tribunaux militaires.
ÉRIÉ (PENNSYLVANIE) ENVOYÉ SPÉCIAL
Darrel Vandeveld, dans quel état d’esprit êtes-vous arrivé lorsque vous avez été nommé, en mai 2007, procureur auprès des commissions militaires chargées de juger les prisonniers de Guantanamo ?
Deux de mes amis avaient été tués en Afghanistan et en Irak. Franchement, je voulais me venger. Je voulais poursuivre un maximum de prisonniers. Pour faire condamner ces salauds, j’étais prêt à tout, dans les limites de la loi. Je ne pouvais évidemment pas les emmener dans un coin et les descendre mais, honnêtement, je l’aurais sans doute fait si on me l’avait demandé. C’est triste à dire, mais c’est ce que la guerre fait aux gens.
Pourquoi avez-vous rejoint l’armée ?
Je me suis engagé en 1980, en hommage à mon père, un ancien de la guerre de Corée. Je suis devenu officier de réserve des JAG (judge general advocate), les avocats militaires. Comme beaucoup de patriotes, après les attentats du 11 septembre 2001, j’ai demandé à être mobilisé, pour châtier notre ennemi. Pour moi, c’était les chrétiens contre les musulmans, le bien contre le mal, et nous étions le bien. Mes vues ont changé depuis.
Où avez-vous été déployé ?
En Bosnie, pour traquer des criminels de guerre, puis à Djibouti et en Irak. Je ne voulais pas y aller, mais nous n’étions qu’une trentaine d’avocats militaires autorisés à manipuler des documents classifiés au plus haut niveau. J’ai vu des gens se faire tuer, des horreurs. Au bout d’un an, j’ai voulu éviter d’y retourner, mais avec honneur. L’idée des commissions militaires a surgi et j’ai été retenu comme procureur.
Quelle était l’ambiance ?
Pour eux, les terroristes, comme ils les appelaient, pouvaient croupir à Guantanamo jusqu’à ce qu’ils meurent de vieillesse.
Quel était votre travail ?
A l’été 2007, j’ai lancé les poursuites contre Mohammed Jawad, un jeune Afghan (mineur au moment des faits) qui avait attaqué des soldats américains sur un marché. Je voulais commencer par une affaire simple, et son dossier n’avait aucune valeur en terme de renseignement. La CIA ne l’avait pas interrogé.
Quand avez-vous commencé à douter ?
Je ne me suis pas réveillé un jour en réalisant que j’étais devenu aussi inhumain que ceux que je poursuivais. Mais j’avais cinq autres dossiers, ceux-là ayant un intérêt pour le renseignement. Je ne peux pas en parler, mais ces affaires, et des preuves que j’ai découvertes dans le cas de Jawad, et qui minimisaient sa culpabilité, m’ont fait prendre conscience que la justice ne pouvait pas être rendue, sinon au détriment de mon sens personnel de l’éthique et à travers la perversion de notre système judiciaire et de notre Constitution.
Pourquoi un tel revirement personnel ?
J’ai fini par me rappeler ma foi chrétienne, qui m’enseigne de ne pas considérer les autres comme des objets. C’est très personnel, mais en revisitant les enseignements du Christ, j’ai pris conscience qu’ils étaient en contradiction avec ce que je faisais à Guantanamo - cet ignoble, déshonorant combat pour châtier notre ennemi. Nietzsche disait que toute personne qui combat un monstre doit prendre garde de ne pas en devenir un. Je devenais un monstre nietzschéen. Par chance, je me suis écarté de cette voie.
Quel a été le tournant dans votre réflexion ?
Dans le bureau d’un confrère, j’ai feuilleté par hasard un dossier sur le meurtre de Dilawar, un chauffeur de taxi afghan battu à mort sur la base américaine de Bagram en Afghanistan. Et que vois-je ? Un témoignage de Jawad, qui explique comment, à Bagram, il avait été torturé, encagoulé, jeté au sol, frappé. Il l’avait dit devant la cour, mais je pensais que c’était des foutaises, qu’on ne faisait pas ça. Là, j’ai commencé à avoir des doutes sérieux. Il avait été témoin de la brutalité contre Dilawar, un type de 40 kg, passé à tabac par ses gardiens alors qu’il était attaché. La pire lâcheté. Cela m’a mis en colère et j’ai cherché d’autres preuves.
Qu’avez-vous découvert ?
Qu’à Guantanamo, Jawad avait été enfermé dans un vestiaire. On l’avait mis dans le programme des « frequent flyers », où on le changeait sans arrêt de cellule pour l’empêcher de dormir afin d’« amollir » les individus pour les interrogatoires. Pourquoi lui ? Il n’était d’aucune valeur pour le renseignement. Je ne voyais pas d’autre raison que le sadisme, la cruauté gratuite. Il a tenté de se suicider.
C’était de la torture ?
Pas selon la définition légale, mais pour tout un chacun, certainement. Mes camarades, en Afghanistan ou en Irak, ne risquaient pas leur vie pour ça. Ce n’est pas l’Amérique. Comme je ne pouvais en parler à personne, j’ai demandé conseil à un prêtre. Sa réponse, qui m’a choqué, a été : « Démissionnez. » Pour lui, si je participais, j’étais complice. Il m’a fallu, malgré ça, trop longtemps pour partir. J’étais inquiet pour ma famille. Les gens auxquels je m’opposais ont le pouvoir de vous détruire.
Comment vos supérieurs ont-ils accueilli votre demande de réaffectation ?
Ils m’ont assigné à résidence pendant six semaines, coupé mes communications et désactivé mon téléphone BlackBerry. C’était complètement illégal. Puis ils m’ont envoyé pour une évaluation psychiatrique, qui a révélé en dix minutes que je n’avais aucun problème. Dans l’histoire, il est courant pour les dissidents d’être accusés d’être fous...
Quelles sont vos opinions politiques ?
J’ai toujours été démocrate. Je déteste Bush et celui que j’appelle le président Cheney. Si ces imbéciles avaient décidé de détruire l’Amérique, ils ne s’y seraient pas pris autrement. Je peux le dire, maintenant que je suis un civil. Dans l’armée, j’aurais pu être poursuivi.
Barack Obama a promis de fermer Guantanamo. Mais comment faire ?
Des gens de la future administration m’ont dit que les commissions militaires allaient être suspendues. Sur les 200 détenus qu’il reste, la moitié ne sont plus une menace. L’Union européenne et d’autres pays vont nous aider à réinstaller ces personnes, qui pourraient facilement être surveillées. Les autres devraient être jugées aux Etats-Unis par des tribunaux ordinaires. Les preuves obtenues sous la torture ne peuvent pas être utilisées, mais il y a suffisamment de renseignement.
Comment l’histoire jugera-t-elle Guantanamo ?
Comme une descente dans une des pires périodes de notre histoire, où nous avons abandonné nos valeurs, et où nous nous sommes abaissés au niveau de ceux que nous combattions. Je crois dans la bonté fondamentale du peuple américain. Au bout du compte, nous surmonterons cela.
Que faites-vous aujourd’hui ?
Je suis revenu au bureau du procureur général de Pennsylvanie, en charge de la protection des consommateurs. J’ai été accueilli à bras ouverts par Erié, cette petite ville oubliée par le temps. Je n’ai jamais été aussi heureux, sauf qu’il reste des problèmes sérieux à Guantanamo. Si je le peux, j’aiderais. Mais ceci est sans doute ma dernière interview. J’ai dit tout ce que je pouvais dire. .
Propos recueillis par Philippe Bolopion
* Article paru dans le Monde, édition du 14.01.09. LE MONDE | 13.01.09 | 14h20 • Mis à jour le 14.01.09 | 11h52.
CHIFFRES
Détenus. Quelque 800 personnes ont été incarcérées sur la base américaine de Guantanamo (Cuba) depuis janvier 2002, soupçonnées d’être des « ennemis combattants illégaux ».
Près de 250 prisonniers se trouvent encore à l’intérieur du camp.
Procès. Une quinzaine de personnes sont poursuivies par les procureurs militaires. 400 avocats sont engagés à titre bénévole pour défendre les détenus. Seulement trois ont été à ce jour jugés par des tribunaux militaires d’exception.
La fermeture de Guantanamo prendra du temps
Le président élu Barack Obama ordonnera par décret la fermeture du centre de détention de Guantanamo, et ce probablement dès la première semaine suivant sa prise de fonctions, a indiqué, lundi soir 12 janvier, l’un de ses conseillers. La fermeture du camp ne sera toutefois vraisemblablement pas effective immédiatement. On ignore encore où les détenus seront redirigés. Barack Obama avait affirmé durant la campagne présidentielle que le centre de détention militaire pour les « ennemis combattants » accusés de terrorisme devrait être fermé. Guantanamo est devenu l’un des symboles des mauvais traitements infligés par l’armée américaine aux détenus de la « guerre contre le terrorisme ». « Il y aura un décret sur la fermeture de Guantanamo », a indiqué le conseiller, précisant que le document serait émis durant les premiers jours du mandat d’Obama.
L’organisation américaine de défense des libertés civiles, l’ACLU, avait de nouveau exhorté lundi Barack Obama à fermer Guantanamo dans les cent premiers jours de son mandat. « Le président élu Obama hérite non seulement d’un effondrement des marchés financiers mais aussi d’un effondrement de notre droit », a estimé, dans un communiqué, Anthony Romero, directeur exécutif de l’ACLU.
M. Obama avait déjà annoncé dimanche, lors d’un entretien sur la chaîne ABC, que la fermeture du camp de détention de Guantanamo prendrait davantage de temps que les cent premiers jours de sa présidence.
Quarante-deux détenus de Guantanamo sur deux cent cinquante environ observaient une grève de la faim lundi, à huit jours de l’investiture de Barack Obama, contre leurs conditions de détention, a-t-on appris auprès de la direction de la prison. « Il y a quarante-deux grévistes de la faim, dont trente et un » sont nourris de liquide protéiné qu’on leur injecte par le nez, a expliqué à l’AFP le capitaine de frégate Pauline Storum, directrice des affaires publiques du centre de détention. Vendredi dernier, ils étaient trente-quatre dont vingt-cinq nourris de force, selon la même source.
* LEMONDE.FR avec AFP et Reuters | 13.01.09 | 09h39 • Mis à jour le 13.01.09 | 10h51.
Portrait – Suzanne Lachelier : sous le secret de Guantanamo
Il y a tellement de choses qu’elle ne peut pas dire ! Même expliquer qu’elle est réduite au silence est compliqué. « Il est impossible d’exposer un sujet dont on ne peut pas parler », tente-t-elle. Suzanne Lachelier a beau être habituée au règlement - uniforme oblige -, le secret de Guantanamo a l’air de lui peser. « Le juge ignore nos requêtes, l’une après l’autre. Le gouvernement ignore les ordres du juge. C’est très frustrant de parler de ce processus. »
Suzanne Lachelier est commandant dans la marine américaine. Ce qui correspond en français à colonel, souligne-t-elle. Peu importe le grade. Ni l’un ni l’autre ne collent à son allure sans prétention ou à son look BCBG d’ancienne élève du lycée privé de Chatou (Yvelines). Par un de ces détours de l’existence, elle se retrouve à défendre les islamistes radicaux de Guantanamo. Des hommes qui sont passés par les prisons secrètes de la CIA et qui ont été torturés, ce dont elle n’a pas le droit de parler, bien sûr.
Tous les quinze jours, Suzanne Lachelier se rend à Guantanamo pour une audience des tribunaux militaires ou pour rencontrer ses clients, s’ils le veulent bien. Le Pentagone lui en a assigné deux : Ramzi Ben Al-Shibh, un Yéménite, l’un des cinq accusés des attentats de 2001, et qui, selon Human Rights Watch, a été envoyé en Jordanie où il a été torturé. Et Ibrahim Mahmoud Al-Qosi, un Soudanais de 47 ans qui faisait partie de la garde de Ben Laden en Afghanistan.
En décembre, Ramzi Al-Shibh a essayé de la récuser. « Elle ment, a-t-il dit au juge. Je veux changer cette femme. » Au mot « femme », l’avocate a un peu tiqué. « Généralement les détenus m’appellent Suzanne. Quand il a dit »cette femme« , je me suis dit : O-K, on a reculé de dix pas, explique-t-elle. Mais je comprends. Cela n’a rien à voir avec moi, c’est la situation. »
L’obstacle n’est pas tant d’être une femme - il suffit de quelques précautions : « Ne jamais serrer la main par exemple » - que d’être une militaire américaine. Les détenus comprennent mal ces gens qui prétendent vouloir les défendre alors qu’ils portent le même uniforme que ceux qui veulent les condamner à mort. Pendant des semaines, Ibrahim Al-Qosi a refusé de la voir. Elle a fini par contacter un avocat du barreau soudanais, prof de droit à Khartoum, qu’elle est allée rencontrer à Londres. Sans aucune aide de l’administration Bush, elle a fini par lui procurer un visa, et Al-Qosi a, enfin, pu parler à un compatriote. Résultat : le prisonnier a fini par accepter son aide en décembre. « Il est très poli. Il ne communique jamais sa méfiance. Mais Ramzi, ajoute-t-elle, il ne me fera jamais confiance. »
Suzanne Lachelier exerce au cœur des contradictions fondamentales du système judiciaire de Guantanamo. D’un côté, le Pentagone a mis en place des tribunaux d’exception. De l’autre, il paie des avocats militaires qui s’emploient à les invalider en dénonçant les manquements au droit. Le bureau des commissions militaires compte 50 avocats de la défense, commis d’office, comme Suzanne Lachelier. Si Guantanamo finit par fermer, ils y auront beaucoup contribué.
A peine nommés, ils entrent généralement en rébellion contre un système qui n’offre même pas les garanties des cours martiales. « C’est la responsabilité de la défense de prouver que les confessions ont été extorquées. Nous devons prouver que le gouvernement a mal agi, mais le gouvernement contrôle toutes les informations qui nous permettraient de montrer qu’il a mal agi ! »
Difficile quand on s’appelle Lachelier de cacher des origines françaises. La tradition familiale compte un philosophe (Jules Lachelier), et beaucoup de militaires, tous dans la Royale. Le grand-père de Suzanne, Barthélémy Lachelier, blessé de guerre, a quitté la France en 1940 pour s’engager dans l’aviation américaine. Son père, François, diplômé de Harvard, marié à une Américaine, a voulu que ses enfants grandissent en France. De 3 à 16 ans, Suzanne a vécu à Chatou. Un jour, sa mère a décidé qu’il était temps de retourner dans le Connecticut. Les enfants ont dû s’adapter.
Suzanne a fait ses études de droit à Boston. Elle a travaillé dans le staff de la commission de l’énergie au Congrès. Quelqu’un lui a parlé de la marine : en s’engageant, elle pourrait court-circuiter les longs apprentissages dans les cabinets privés et plaider tout de suite au tribunal. Elle s’est retrouvée chez les marines à Camp Pendleton. « J’avais tellement l’habitude d’être étrangère. Je me suis bien adaptée. »
Après trois ans de service actif, elle a été versée dans la réserve. Son dernier poste, avant Guantanamo, était au bureau des avocats commis d’office à San Diego, en Californie. Elle y a défendu les jeunes des gangs. Des durs, déjà, mais ceux-là aussi « manifestent du respect pour les gens qui ont une certaine éducation », assure-t-elle.
Quand elle a vu l’appel à volontaires pour Guantanamo, elle s’est précipitée. En ce moment, elle n’aurait pas voulu être ailleurs. C’est son devoir de résistance. Elle estime défendre la Constitution. « On a un bon système, que ce soit de cours martiales ou de cours fédérales qui peut amener ces hommes devant la justice en pleine lumière, sans honte. Sans avoir besoin de les cacher à Guantanamo ou de cacher certains faits. »
En ce septième anniversaire de la prison, ouverte le 11 janvier 2002, le commandant Lachelier est de nouveau à « Gitmo ». Elle essaie de sauver Ramzi Ben Al-Shibh d’une condamnation à mort en montrant qu’il n’est pas mentalement compétent. Mais elle n’arrive pas à avoir son dossier médical : « Il a été capturé en septembre 2002. Entre 2002 et 2006, il a été traité par certaines personnes. Nous voulons voir les comptes rendus. Le gouvernement ne voulait rien donner. Le juge a décidé qu’on aurait juste le sommaire. »
Selon le rapport de la commission officielle sur les attentats de 2001, Ramzi a été interrogé 141 fois. Suzanne a découvert récemment qu’il était sous psychotropes. Lesquels ? Pourquoi ? Pour se rendre compte par elle-même, elle a demandé à pouvoir visiter sa cellule. Comme les autres responsables présumés d’Al-Qaida, Al-Shibh est au Camp 7, un lieu fantôme dont personne ne connaît la localisation exacte, ni le commandant. Les avocats ont proposé de se laisser bander les yeux pour s’y rendre. L’armée n’en est quand même pas arrivée là. Mais il a fallu un ordre du juge pour que la visite soit autorisée.
Finalement, Suzanne Lachelier a été l’une des rares personnes qui aient pu visiter le Camp 7. Bien évidemment il lui est impossible d’en parler.
Corine Lesnes
* Article paru dans le Monde, édition du 13.01.09. LE MONDE | 12.01.09 | 14h12 • Mis à jour le 12.01.09 | 18h05.
PARCOURS
1967
Naissance à New York. Arrive en France à l’âge de 3 ans.
1983
Retour aux Etats-Unis après ses études secondaires à Chatou (Yvelines).
1989
Etudes de droit à Boston.
2003
Entre dans la marine comme avocate militaire.
2008
Défend Ramzi Ben Al-Shibh, un Yéménite qui fait partie des cinq accusés des attentats du 11-Septembre et détenu à Guantanamo.