New York Correspondant
Conformément aux engagements de campagne du candidat Barack Obama, la Maison Blanche a rendu publics, jeudi soir 16 avril, quatre mémorandums secrets (partiellement expurgés) de la CIA, l’agence du renseignement extérieur américain, portant sur les tortures pratiquées lors des interrogatoires de suspects durant la « guerre contre le terrorisme » et autorisées par l’administration précédente.
Ces documents - les plus complets, de loin, dévoilés à ce jour - datent de 2002 et 2005. Ils concernent les interrogatoires de vingt-huit suspects. Les mémorandums énumèrent les diverses méthodes utilisées : les coups, détaillés par le menu (projection systématique et répétée contre un mur, notamment) ; le maintien prolongé dans des positions physiquement éprouvantes ; les humiliations (la mise à nu ou le port d’une couche-culotte pour tout vêtement) ; « l’altération de l’hygiène alimentaire ». Sont également évoqués le conditionnement de stress chez le détenu, les pressions psychologiques (les menaces contre les membres de sa famille), les privations de sommeil de longue durée et la torture de la « baignoire » - « waterboarding » -, qui soumet la personne interrogée à un simulacre de noyade.
Un mémorandum de 2005 stipule expressément que la torture de la baignoire est pratiquée, à l’époque, « de manière beaucoup plus fréquente » que ne l’autorisent les « avis légaux » rédigés par l’administration Bush.
Les documents spécifient que ces pratiques ont eu lieu dans les prisons secrètes ouvertes par la CIA dans plusieurs pays. Dans une déclaration, le président américain a jugé que les méthodes mises en œuvre durant ce qu’il a désigné comme « un chapitre noir et douloureux » de l’histoire américaine ont « miné notre autorité morale sans améliorer notre sécurité ». Mais, a-t-il ajouté, « le moment est venu de la réflexion, pas du châtiment (...) On ne gagnera rien à perdre notre temps et notre énergie à fouiller les responsabilités du passé. »
Aussi a-t-il fait savoir que son administration avait pris la décision d’absoudre de toute poursuite les personnes qui ont pratiqué ces tortures, « en se fondant, de bonne foi, sur les avis juridiques émis par le département de la justice » sous l’administration Bush. Des textes qui validaient ces méthodes, considérant qu’elles ne s’apparentaient pas à de la torture.
Dans une lettre envoyée au directeur du Renseignement national, l’amiral Dennis Blair, Barack Obama s’est engagé à protéger le secret sur l’identité de ces personnes : « Les hommes et femmes de nos services de renseignement servent courageusement sur le front d’un monde dangereux. Nous devons protéger leur identité avec la vigilance qu’ils mettent à protéger notre sécurité. »
Le ministre de la justice, Eric Holder, a estimé qu’« il serait injuste que des hommes et des femmes dévoués à protéger l’Amérique (soient sanctionnés) pour une conduite qui avait été préalablement autorisée ». Il a assuré que si ces personnes (dont les noms ont été retirés des mémos) étaient amenées à être entendues par un tribunal, son administration leur fournira des défenseurs. Pour Leon Panetta, le directeur de l’Agence désigné par M. Obama, « la CIA a agi conformément à ses obligations ».
L’Association américaine de défense des libertés publiques (ACLU) et le Centre pour les droits constitutionnels (CCR) aux Etats-Unis ont fait savoir qu’ils contesteraient l’absence de poursuites contre les donneurs d’ordre et les personnes ayant pratiqué la torture. A l’inverse, des officiels du Renseignement ont tenté jusqu’au bout d’empêcher la Maison Blanche de divulguer ces documents, arguant que leur mise au jour affaiblirait la capacité sécuritaire américaine.
Ancien directeur de la CIA sous George Bush, l’amiral Michael Hayden a expliqué qu’« un service de renseignement travaille toujours sur le fil ». Désormais, a-t-il pronostiqué, les partenaires des Etats-Unis seront plus réticents à travailler avec l’Agence, car la divulgation de ces documents démontre que « l’on ne peut rien garder secret ».
Malgré les garanties apportées par la Maison Blanche, nombreux sont ceux qui, au sein des organes du Renseignement, craignent que la mise au jour de ces documents ne génère une succession de plaintes. Ils redoutent aussi que cette affaire bénéficie aux élus qui militent pour la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire chargée d’examiner exhaustivement les méthodes illégales pratiquées sous l’administration Bush et le rôle joué par les responsables politiques qui les ont avalisées.
Sylvain Cypel
* Article paru dans l’édition du 18.04.09. LE MONDE | 17.04.09 | 17h02 • Mis à jour le 17.04.09 | 17h15.
PROTÉGER « CEUX QUI ONT ACCOMPLI LEUR TÂCHE »
« En rendant publiques ces notes, nous avons l’intention defaire en sorte que ceux qui ont accompli leur tâche en se fondant de bonne foi sur les avis juridiques émis par le département de la justice ne fassent pas l’objet de poursuites », a déclaré, jeudi 16 avril, le président Barack Obama. « Les hommes et les femmes de nos services de renseignement font courageusement leur devoir sur le front d’un monde dangereux. Leurs succès restent méconnus et leurs noms ne sont pas rendus publics, mais grâce à leur sacrifice, chaque Américain vit dans une plus grande sécurité », a-t-il ajouté. Nous devons protéger leur identité avec la vigilance qu’ils mettent à protéger notre sécurité, et nous devons leur donner l’assurance qu’ils peuvent remplir leur mission."
Torture : les mémos secrets de la CIA rendus publics
L’administration Obama a publié, jeudi 16 avril, une version expurgée de quatre documents secrets de la CIA décrivant par le menu les méthodes violentes de l’agence américaine dans sa lutte antiterroriste, tout en assurant que les personnels ayant mené ces interrogatoires ne seraient pas poursuivis.
Les quatre mémos sont d’ores et déjà consultables sur le site Internet du New York Times. Datés de 2002 et 2005, ils constituent un mode d’emploi détaillé d’une dizaine de techniques « de base » et « coercitives » pour faire parler des terroristes présumés. Les prisonniers sont d’abord mis nus, privés de sommeil, enchaînés et parfois dotés d’une couche-culotte, précisent les textes rédigés par des avocats mandatés par l’administration Bush. Ils subissent aussi une « altération de l’hygiène alimentaire », pour cause d’alimentation exclusivement liquide.
Viennent ensuite les méthodes dites « correctrices », où il y a « interaction » avec les détenus. « Ces techniques ne sont pas toutes utilisées en même temps » précise un des mémos. Selon un « interrogatoire prototype », on peut utiliser « la frappe insultante au visage », « la frappe au ventre », la privation de sommeil les mains menottées, parfois appuyé contre un faux mur souple qui s’affaisse lorsque le détenu tente de s’y reposer. Celui qui interroge peut également utiliser « les positions de stress », le confinement en compagnie d’insectes « hostiles » et enfin la simulation de noyade (waterboarding).
Le New York Times dresse un tableau très complet de ces différentes pratiques, assorti de conclusions tirées par les auteurs des mémos. A en croire Jay Bybee, Steven Bradbury et John Yoo, avocats au bureau juridique du ministère de la justice de l’époque, ces méthodes ne s’apparentent pas à des actes de torture. Faux, rétorque la nouvelle administration américaine, qui estime que les techniques adoptées par l’administraton Bush après le 11-Septembre « ont miné notre autorité morale et n’ont pas amélioré notre sécurité ».
LES AGENTS DE LA CIA NE SERONT PAS POURSUIVIS
Barack Obama a convenu dans un communiqué rendu public jeudi que les Etats-Unis avaient traversé « un chapitre noir et douloureux » de leur histoire. Il a toutefois stipulé que les personnels de la CIA ayant participé à ces interrogatoires assimilables à de la torture dans le cadre de consignes secrètes de l’agence ne seront pas poursuivis. « Ceux qui ont fait leur devoir en se basant avec bonne foi sur les conseils légaux du département de la justice ne seront pas poursuivis », a-t-il indiqué. « Le moment est venu de la réflexion, pas du châtiment ».
Le ministre de la justice a précisé qu’il fournirait des défenseurs à ces personnels s’ils venaient à être interrogés par un tribunal. C’est la puissante Association américaine de défense des libertés publiques (ACLU) qui avait obtenu devant les tribunaux la promesse de la publication de ces rapports secrets. Jeudi, l’ACLU mais aussi le CCR (Center for Constitutional Rights) et Amnesty International ont contesté l’absence de poursuites.
« Ces mémos fournissent la preuve irréfutable que des responsables de l’administration Bush ont autorisé et donné leur bénédiction légale à des actes de torture qui violent les lois internationales et nationales », a estimé Anthony Romero, directeur exécutif de l’ACLU. Le directeur du renseignement américain, Dennis Blair, a reconnu qu’« en avril 2009, cela paraît choquant et dérangeant », mais qu’il fallait replacer cela dans le contexte de « l’horreur » du 11-Septembre, rappelant que Washington s’était engagé à ne plus utiliser ces méthodes.
* LEMONDE.FR avec AFP et Reuters | 16.04.09 | 22h44 • Mis à jour le 17.04.09 | 15h12.