“L’artillerie et des hélicoptères armés de roquettes ont pilonné les positions aux mains d’Abu Sayyaf dans la jungle à Pakitul, dans la province de Sulu”, écrit le 31 janvier le Philippine Star. Son correspondant en poste dans le sud de l’archipel explique qu’il s’agit là de l’exécution de l’ordre donné par le président Duterte de mener une “guerre totale” contre le groupe djihadiste responsable du double attentat du 27 janvier à la cathédrale de Jolo. Ses propos ont été repris par la chaîne CNN, qui précise que 5 000 soldats sont mobilisés pour traquer les combattants islamistes :
Détruire Abu Sayyaf, détruire [les insurgés communistes], détruire les trafiquants de drogue. Si vous voulez savoir si ‘détruire’ [signifie] ‘tuer’, eh bien, oui.”
Les explosions, qui ont fait au moins 21 victimes et une centaine de blessés, ont été revendiquées par le groupe Adjang Adjang (“Soldats des martyrs”), lui-même affilié à Abu Sayyaf, qui a fait allégeance à l’organisation État islamique (EI). Six jours plus tôt, lors d’un référendum, la population du Sud, à majorité musulmane, avait massivement approuvé un statut conférant une plus grande autonomie à la région.
Espoirs de paix envolés
La province de Sulu, qui englobe l’île de Jolo et où sont réfugiés les combattants d’Abu Sayyaf, s’était toutefois prononcée contre. L’attentat contre la cathédrale pourrait être lié à ce refus. En tout cas, certains craignent aujourd’hui que les espoirs de paix nés après les résultats du référendum, dans cette région secouée depuis un demi-siècle par des violences indépendantistes, n’aient été très éphémères.
Dans l’immédiat, sans se prononcer sur un avenir lointain, les discussions se concentrent sur l’identité et le mode opératoire des auteurs de l’attentat. “Des preuves et des témoins oculaires indiquent qu’il ne s’agit pas de kamikazes mais que deux ‘pipe bombs’ [explosifs contenus dans des tuyaux] ont explosé l’une après l’autre”, écrit le Philippine Daily Inquirer.
Contredisant cette version, le SITE Intelligence Group – une société américaine qui suit l’activité en ligne des organisations djihadistes – a indiqué avoir authentifié un communiqué de Daech dans lequel celui-ci précisait que deux kamikazes, peut-être originaires du Yémen, s’étaient fait exploser dans la cathédrale. Une version retenue par le président Duterte lui-même et qui, si elle se confirme, fournirait des éléments sur la nature de la menace djihadiste qui plane sur les Philippines.
Faire croire à une guerre de religions
“Les islamistes philippins ne sont pas connus pour conduire des opérations suicides et commettent plutôt des assassinats”, écrit toujours le Star mais dans son éditorial du 31 janvier. Si la piste du couple yéménite se confirmait, ajoute le quotidien, “cela hisserait la menace terroriste à un nouveau niveau, potentiellement bien plus dangereux. Les kamikazes constituent des armes parmi les plus meurtrières de l’arsenal terroriste.”
Quelle pourrait être alors la stratégie poursuivie par l’État islamique dans le Sud philippin ? Pour Delfin Lorenzana, ministre de la Défense cité par le Star, l’organisation terroriste cherche possiblement à déclencher une vague de violence qui lui permettrait de parler de “guerre entre chrétiens et musulmans”. Une attaque à la grenade, le 30 janvier, contre une mosquée de Zamboanga, sur l’île de Mindanao, qui a fait 2 morts et 4 blessés, pourrait ainsi s’inscrire dans ce cadre.
François Gerles
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