Cela fait plusieurs jours (5 exactement) que l’attentat de Marawi a eu lieu. Quatre personnes ont été tuées sur le coup, 73 blessées, mais seulement 53 ont été envoyées à l’hôpital. L’acte, brutal, a été commis alors que ces personnes célébraient la messe dans un gymnase de l’université d’État de Mindanao (MSU). 189 personnes, pour la plupart des étudiants, participaient à la messe célébrant le 1er dimanche de l’Avent.
Le président Bongbong Marcos (BBM) a rapidement annoncé que c’était des terroristes étrangers qui avaient commis cet acte ignoble. La Daw’la Islamiya, une branche sous-régionale de l’ISIS, en a immédiatement revendiqué la responsabilité.
Nous avons quelques analyses sur qui et pourquoi ils ont commis un attentat aussi meurtrier. Au départ, il s’agissait vraiment d’infliger un maximum de dégâts. Un obus de 60 mm et un RPG ont été utilisés et, après avoir été placés au milieu du lieu où se tenait la messe, l’explosion a été déclenchée par télécommande.
Notre première théorie (très répandue) est qu’il s’agit d’une opération de représailles menée par le groupe extrémiste islamique après avoir subi des pertes dans différentes zones : le 1er décembre 2023, 11 de leurs membres ont été tués lors d’un affrontement militaire dans la municipalité de Datu Hoffer, dans la province de Maguindanao del Sur ; le 2 décembre, un de leurs chefs a été tué dans la ville de Sumisip, à Basilan, et à une heure du matin, le 3 décembre, un autre chef du groupe extrémiste a été tué dans la ville de Piagapo, à Lanao del Sur. Six heures plus tard, ils ont déclenché l’explosion de la bombe à la MSU.
La deuxième théorie est qu’ils l’ont fait pour attirer l’attention du gouvernement BBM. Cela explique pourquoi les chrétiens catholiques - minoritaires dans une ville majoritairement musulmane -, Marawi, ont été choisis comme cible. Le fait que l’attentat ait eu lieu au cours d’une célébration de la messe visait une fois de plus à obtenir une réaction importante de la part du gouvernement. Il s’agissait d’un message qui ne pouvait être ignoré. Plus de six ans après le siège de Marawi, la majorité des personnes alors déplacées vivent toujours dans des abris temporaires, avec moins de services sociaux, pas d’eau ni d’électricité. Le gouvernement Duterte n’a pas tenu sa promesse de reconstruire Marawi. L’attentat était destiné à marquer des points positifs auprès de la population délogée et frustrée qui, en raison de la négligence du gouvernement, est devenue un terrain fertile pour le recrutement du groupe extrémiste.
La troisième théorie est que l’attentat a été commis pour justifier la militarisation des zones de Marawi et de BARMM (la région autonome musulmane Bangsamoro). Cela fait partie des manœuvres politiques menées en vue des élections de 2025 dans cette entité administrative. Comme tout le monde le sait maintenant, BARMM, sous la direction du MILF, n’est pas populaire dans les 6 provinces et les 3 villes de la région. Si cette situation politique ne change pas d’ici là, le MILF ne gagnera pas les élections de 2025, ce qui signifierait que l’accord de paix signé entre le MILF et le gouvernement est un échec. Les gouverneurs des provinces de Lanao del Sur, Maguindanao del Sur, Basilan, Tawitawi et Sulu se sont mis d’accord pour ne pas participer aux prochaines élections si les Forces armées islamiques du Bangsamoro (BIAF - la composante armée du MILF) ne sont pas totalement mises hors service et désarmées. Le gouvernement de BBM doit nommer le chef d’état-major des BIAF au poste de gouverneur de la nouvelle province de Maguindanao del Norte, malgré la forte opposition des chefs traditionnels de la région, tels que les Sinsuats et les Masturas, afin de constituer une sorte de base politique pour le MILF.
Le résultat immédiat de l’attentat contre la MSU est la militarisation de l’université et des municipalités voisines. Des informations indiquent déjà que le BIAF effectuera librement des contrôles et des inspections, bien que ces informations doivent encore être objectivement vérifiées.
Il ne s’agit là que d’une première mise en contexte de ce qui se passe dans ces zones.
Entre-temps, nous devons intervenir immédiatement à l’université. Ce matin, nous distribuons des biens de première nécessité aux étudiants qui sont encore à l’université, mais qui n’ont pas de nourriture, car la plupart des établissements commerciaux ont été fermés. Il reste environ 600 étudiants dans l’université. Tous les autres ont été évacués par les autorités locales à la demande des parents qui souhaitaient ramener leurs fils et leurs filles à la maison. Nous prévoyons également d’apporter une aide psychosociale de première urgence. Les activités à long terme consisteront à mener des dialogues entre les étudiants chrétiens et musulmans, la base et avec les chefs religieux des deux peuples. Les relations harmonieuses entre ces deux peuples ne devraient pas subir de dommages collatéraux.
18 décembre 2023
Correspondant ESSF