Appel n°283 (du 28 avril au 30 juin 2005)
D’après le témoignage des ouvriers de l’usine d’Ura-Misr [1], 360 tonnes de ciment et 36 tonnes d’amiante étaient déchargées quotidiennement des camions et portées à dos d’homme au mélangeur par quatre employés. Les sacs d’amiante étaient ouverts à mains nues, sans masque, sans vêtements de protection. Chaque ouvrier vidait 450 kg par heure dans la machine pendant huit heures.
La machine d’aspiration était souvent en panne, et « les poussières volaient partout », au point d’abîmer les appareils et leurs systèmes de contrôle, qui furent changés plusieurs fois. L’atmosphère était très chaude et humide. Le sol n’était pas nettoyé. Les filtres jetables étaient grattés à la brosse métallique par un ouvrier pour servir à nouveau.
Lorsque la machine tombait en panne, l’ouvrier « rentrait dedans » pour en retirer les débris de sacs coincés. Les canalisations étaient aussi portées à dos d’homme, dans un entrepôt en sous-sol. La chaudière au mazout crachait des poussières qui retombaient sur les employés. Les conduites d’eau étaient enduites à la main avec de la bitumine, en plein air sous le soleil, dégageant des vapeurs toxiques.
Quant aux salaires, ils plafonnaient à 300 livres (37,5€) par mois après 23 ans d’ancienneté, un ouvrier de nettoyage gagnait 180 livres, et les ouvriers « porteurs » 250 à 280 livres.
Radios et examens de santé dissimulés
A partir de 1993, huit employés vont décéder. Dès 1997, un nombre croissant d’ouvriers découvre les symptômes de l’asbestose. Mais jusqu’en 1998, le propriétaire et les directeurs successifs d’Ura-Misr ont caché aux ouvriers les dangers de l’amiante. Les précautions d’usage écrites sur les sacs d’amiante, en anglais et en français, ne leur étaient pas traduites et n’étaient pas appliquées par l’entreprise. Les ouvriers travaillaient sans protection. Leurs radios et les comptes-rendus des examens annuels de l’Assurance de Santé (Sécurité sociale) leur étaient dissimulés.
C’est au décès, en 1998, d’un de leurs directeurs par cancer de l’amiante que les ouvriers d’Ura-Misr découvrent qu’ils sont tous gravement atteints.
A partir de 2001, le médecin de l’Assurance de Santé est « encouragé » à ne plus reconnaître aucun cas de maladie professionnelle.
Dans l’usine, les malades incapables de travailler sont placés au portail d’entrée, avec une forte baisse de salaire. Ceux qui souffrent d’insuffisance respiratoire, d’affaissement de la colonne vertébrale, ou de surdité sont donc obligés de travailler à leur poste pour ne pas perdre tout ou partie de leur revenu.
800 tonnes dans la nature
En mars 2003, la direction d’Ura-Misr fait jeter, de nuit, 700 à 800 tonnes de déchets à côté de la minoterie. Les ouvriers d’Ura-Misr préviennent ceux des usines voisines. Ensemble, ils suivent les camions qui transportent les déchets, pour attester du délit. La section syndicale porte plainte auprès du ministère de l’Environnement, qui envoie une commission d’enquête.Les syndicalistes déposent aussi une plainte au poste de police, qui classe l’affaire, après avoir demandé à Ura-Misr de recouvrir l’amiante de sable... La direction enterre le reste des déchets à l’intérieur du mur d’enceinte de l’usine et dans les ateliers.
Procès en cours
Le comité syndical et les ouvriers ont engagé des procès et des démarches auprès du Gouvernement, et de l’Assurance de Santé pour faire valoir leurs droits et appliquer la réglementation en matière de santé professionnelle et de sécurité.
A partir de 2002, le propriétaire d’Ura-Misr, qui refuse d’appliquer les recommandations des autorités, voit son usine fermée à plusieurs reprises. Suite à la dernière fermeture, en septembre 2004, il cesse de payer les salaires de 52 ouvriers. Puis il les licencie, ainsi que 27 autres, entre fin décembre et début janvier 2005.
Depuis novembre 2004, les ouvriers licenciés occupent l’usine pour obtenir leurs salaires, leurs compensations pour maladies, et des indemnités de licenciement ou leur réemploi, dans des conditions sanitaires légales.
Mais l’échec, en février 2005, des deux premiers procès a révélé l’existence d’un blocage total et concerté de la part des autorités. Selon elles, les fibroses du poumon constatées chez les ouvriers sont sans rapport avec l’amiante, donc non professionnelles et non éligibles à des compensations financières !
Outre ces procès en compensation pour handicap permanent, les ouvriers ont engagé deux procès : contre leur licenciement abusif en janvier 2005 et pour la récupération de leurs salaires impayés depuis septembre 2004.
POUR EN SAVOIR PLUS :
Comité syndical et Comité de soutien
Un Comité Syndical élu dirige la lutte d’Ura Misr. Il est soutenu par un Comité de soutien composé d’avocats, de médecins, et d’associations. Ce dernier a constitué une équipe de médecins pour la reconnaissance des maladies ; prépare les dossiers juridiques et renforce les équipes d’avocats ; initie et coordonne les actions politiques de lobbying. Les travailleurs étant exclusivement arabophones, le Comité de soutien peut faire le lien avec eux.
Contact (en français, anglais, arabe) : Francis : frclem1 hotmail.com - Dina : dandach hotmail.com
Center For Trade Union and Workers Services
Cette ONG apporte un soutien légal et des conseils d’organisation aux ouvriers et ouvrières en lutte depuis 1987.
Contact : ctuws link.net
ANDEVA
En France, l’Association Nationale de Défense des Victimes de l’Amiante promeut la solidarité entre les victimes, la réparation des préjudices, l’amélioration du suivi médical, l’information des personnes exposées et agit pour une politique de santé publique.
Un article consacré à la lutte des ouvriers égyptiens paraîtra dans son prochain bulletin.
Site : http://andeva.free.fr
Tél. : 01 41 93 73 87
COMMENT AGIR ?
Par lettre : vous pouvez découper le modèle ci-dessous ou le recopier en l’adaptant à votre style. Envoyez votre courrier au destinataire (adresse indiquée dans la lettre), sans oublier d’inscrire vos coordonnées et de signer.
Affranchissement : 0,75 €
Délai de réaction : dès réception, mais pour donner plus d’ampleur à la campagne, vous pouvez la diffuser jusqu’à fin juin 2005.
TEXTE DE LA LETTRE :
Date :
His Excellency Dr. Ahmed Mahmoud Mohammed Nazif
Magles El Shaab St
Kasr El Aini Street
Cairo
Egypt
Dear Mr Minister,
I have been informed by Réseau-Solidarité (Rennes, France) of violations of the economic and social rights of workers at the company Ura-Misr.
These workers have been exposed to asbestos fibres for periods ranging from 20 to 22 years. In the Ura-Misr factory, safety measures were not complied with and the workers have contracted asbestos-related diseases. Furthermore, since September 2004, 52 workers of the company have not received their wages, and between November 2004 and January 2005, 79 workers were fired.
I fully support the employees in demanding the following :
– that Ura-Misr pay the back wages owed to all the dismissed workers ;
– that their injuries be recognized as occupational injuries ;
– that they receive compensation, free treatment and remedies as stipulated by Egyptian law.
I understand that the workers have filed complaints to the courts and to the government but to date they have obtained no results. I therefore call upon you to ensure that steps are immediately taken to meet the workers’ demands.
Thank you for your attention to this matter. I hope that you will keep me informed of the steps you take to address these concerns.
Yours sincerely,
Traduction :
Monsieur le Premier Ministre,
J’ai été informé/ée par Réseau-Solidarité (...) des violations des droits économiques et sociaux des travailleurs de l’entreprise Ura Misr.
Ces travailleurs ont été exposés à l’amiante durant des périodes allant de 20 à 22 ans. Dans l’usine d’Ura Misr, les mesures de sécurité n’étaient pas respectées et la plupart des travailleurs souffrent désormais de maladies liées à l’amiante. De plus, depuis septembre 2004, 52 travailleurs n’ont plus reçu leur salaire et entre novembre 2004 et janvier 2005, 79 travailleurs ont été licenciés.
Je soutiens pleinement les demandes des employés pour que :
– Ura Misr paie les arriérés de salaires à tous les travailleurs licenciés ;
– leurs maladies soient reconnues comme maladies professionnelles ;
– ils reçoivent des indemnisations, un traitement et des médicaments gratuits comme le stipule la législation égyptienne.
J’ai compris que les travailleurs avaient déposé des plaintes devant la justice et devant le gouvernement, mais sans aucun résultat à ce jour. Je vous demande donc de prendre immédiatement des mesures pour que les demandes des travailleurs soient satisfaites.
Je vous remercie de votre attention. J’espère que vous me tiendrez informé/ée des mesures que vous prendrez par rapport à ces problèmes. (Salutations)
[1] Récits recueillis et filmés sur place. Le film et son script sont disponibles auprès du Comité de soutien.