“La crise de Ashab Wala A’aaz arrive devant les députés”, titrait en une le quotidien égyptien Al-Masry Al-Youm le 24 janvier, après qu’un député a réclamé, sans succès, l’interdiction de la diffusion du film.
Produit par la plateforme américaine Netflix, Ashab Wala A’aaz (“Les meilleurs amis du monde”) “crée la polémique dans la rue égyptienne en raison de l’audace des thèmes abordés. Il est désapprouvé par la majorité, mais certains en prennent la défense au nom de la démocratie et de la liberté artistique”, commente le journal.
“Normalisation de l’homosexualité”
Parmi les sujets polémiques à l’image, l’homosexualité arrive en premier, suivie par l’infidélité au sein du couple, ainsi que “de nombreux termes et scènes osés”. Cette version en arabe s’inspire du film italien Perfetti sconosciuti, sorti en 2016 et qui a déjà connu de nombreux remakes dans diverses langues, dont Le Jeu, en français, ou Perfect Strangers, en anglais.
Sortie le 20 janvier, l’adaptation en langue arabe, réunissant des vedettes moyen-orientales du grand écran, s’est hissée en quelques jours “au sommet des films les plus regardés cette semaine en Égypte, au Liban et dans d’autres pays de la région”, rapporte The Washington Post.
Le film met en scène des amis qui décident, le temps d’une soirée, de mettre leur téléphone en haut-parleur pour tout appel reçu, ou pour écouter les messages qu’ils reçoivent, dévoilant des pans cachés de leur personnalité et de leur intimité.
“Un homme gay fait son coming out après des années vécues en cachette. Un père reçoit un coup de fil de sa fille adolescente au sujet de sa première relation sexuelle. Et une épouse malheureuse cherche satisfaction en échangeant des sextos avec des inconnus”, détaille le journal.
Une scène trop culottée
Une scène en particulier est la cible des critiques. Celle où l’actrice Mona Zaki, une star en Égypte, enlève sa culotte de sous son tailleur, pour la glisser dans son sac à main, avant de sortir de chez elle.
Toujours dans le journal Al-Masry Al-Youm, Hamdy Rizk prend la défense de l’actrice “bien-aimée” et “propre”. Pour l’éditorialiste, ce qui pose surtout problème, c’est que cette scène serve un autre objectif, plus grave et insidieux selon lui : “faire passer en douce la normalisation de l’homosexualité” auprès du public arabe. En fait, elle n’a pour but, toujours selon lui, que d’éluder et de normaliser l’homosexualité, soudainement révélée pendant la soirée, du mari de la femme délaissée, interprétée par Mona Zaki.
“Soudainement, tout le monde s’est mis à accuser Mona Zaki d’avoir accepté de jouer cette scène, écrit Enjy Ibrahim sur le site Ida’at, qui développe un point de vue mitigé sur le film. On peut s’étonner de l’étendue excessive de la réprobation [dont le film fait l’objet]. Il ne suffit pas de nier l’existence de quelque chose pour que cela n’existe pas.”
“État intellectuel collectif lamentable”
“Au travail, il y a plein de relations douteuses entre personnes qui se donnent des airs respectables, alors qu’elles ont l’habitude d’infidélités en tous genres”, ajoute la journaliste. Sans parler des “frères qui brûlent leur sœur pour mettre la main sur un héritage”, ou qui prennent des photos de femmes nues à des fins d’extorsion, ou encore des cas de filles qui se suicident parce qu’un cousin les a calomniées.
“Il y a des millions de dossiers devant les tribunaux des affaires familiales. Il y a des millions de problèmes dont personne ne parle. Voilà la vérité sur notre société. Dans ce sens, ce qui se passe dans le film ne correspond effectivement pas la réalité.”
L’écrivain égyptien Youssef Ziedan n’y va pas par quatre chemins. Sur sa page Facebook, il affirme avoir “trouvé le film ennuyeux” :
“Le vacarme autour du sujet est un signe de l’état intellectuel collectif lamentable de la société, où l’on [s’émeut] de futilités tous les quatre matins avant de passer à autre chose à vitesse grand V. Dimanche [23 janvier], le président Sissi a annoncé que 2022 serait l’année de la société civile, [alors qu’au même moment] le plus beau cercle culturel d’Alexandrie – l’Atelier – a été fermé après des décennies d’activité. Et personne n’a réagi parmi les gens qui se préoccupent [tant de la polémique] autour du film.”
Philippe Mischkowsky
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