Le poste-frontière de Rafah, entre la bande de Gaza et l’Égypte, a été bombardé trois fois par l’aviation israélienne en moins de vingt-quatre heures, entre le lundi 9 et le mardi 10 octobre. La première fois, il a temporairement fermé pour ensuite rouvrir. Mais dès le deuxième bombardement, l’Égypte a ordonné sa fermeture jusqu’à nouvel ordre.
Rafah était la dernière porte de sortie [sous conditions] pour les habitants de Gaza, ce mince territoire, soumis à de féroces bombardements en réponse à l’attaque surprise menée par le Hamas le 7 octobre.
Depuis, le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, a annoncé un siège complet, en coupant la fourniture d’eau, d’électricité, de carburants [et de gaz]. Selon les médias israéliens, l’État hébreu aurait menacé également l’Égypte de prendre pour cible toute aide que celle-ci pourrait vouloir laisser entrer à Gaza.
Le Caire a démenti ces menaces, précisant toutefois que des camions égyptiens chargés de carburants et de vivres ont effectivement dû faire demi-tour à cause du refus israélien de les laisser entrer dans Gaza.
Craintes d’une réédition du scénario de 2007
Tout ceci laisse craindre un effondrement de la situation à Gaza, ce qui met les décideurs égyptiens devant des choix difficiles.
La question la plus urgente est de savoir comment réagir en cas d’afflux de dizaines de milliers de personnes à la frontière égyptienne. Le Caire veut éviter une répétition de ce qu’il s’était passé il y a seize ans, en 2007, quand des Palestiniens ont pris d’assaut le mur de séparation et se sont rués sur le territoire égyptien pour accéder à des vivres.
L’Égypte craint d’autant plus un tel scénario que le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a demandé aux Gazaouis de “partir” pour échapper aux bombardements. Ensuite, un porte-parole de l’armée israélienne a annoncé [dans la matinée du 10 octobre] qu’ils pouvaient quitter la bande de Gaza via le poste-frontière de Rafah [avant de revenir sur ses déclarations].
La réaction égyptienne a consisté à mettre en garde contre toute mesure qui toucherait à sa souveraineté. Par ailleurs, la chaîne Sky News en langue arabe a rapporté que, selon des “sources des appareils sécuritaires égyptiens”, il existait un plan pour “rayer les territoires palestiniens” de la carte en ne laissant d’autres choix aux Palestiniens que la mort ou le départ pour s’installer dans le Sinaï égyptien.
Cela ressemblait à un message envoyé par les Égyptiens pour signifier à l’avance leur refus d’une telle éventualité. Le lendemain, le président Abdel Fattah Al-Sissi a enfoncé le clou en déclarant qu’il “n’y aura pas de laxisme ni d’abandon en ce qui concerne la sécurité de l’Égypte, sous aucune circonstance”.
Une influence en déclin
Pourtant, l’Égypte a d’ores et déjà lancé des préparatifs logistiques, en prévoyant d’installer des camps autour desquels serait établi un cordon sanitaire pour éviter notamment à tout prix que les réfugiés puissent rejoindre la ville égyptienne d’Al-Arich [capitale régionale du Sinaï].
Mais la crise de Gaza interroge également sur la capacité de l’Égypte à peser encore dans la région. Le dossier palestinien était l’un des rares dans lesquels elle pouvait encore le faire, en jouant le rôle de médiatrice entre Israël et les groupes armés palestiniens. Elle savait également faire pression sur les différents acteurs internationaux pour éviter que la situation ne se dégrade trop à Gaza.
Or Le Caire a de plus en plus le sentiment que son influence dans le dossier palestinien est en recul. Pour preuve, l’administration américaine n’aurait pour l’instant pas pris la peine d’appeler ni la présidence, ni les services du renseignement égyptien.
En revanche, les pays du Golfe, et surtout le Qatar, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis [ainsi que la Turquie] essaient de jouer leur rôle pour parvenir à une désescalade et pour trouver une solution à la question des otages israéliens enlevés par le Hamas.
Ces évolutions interviennent dans le contexte des tensions dans les relations égypto-américaines, depuis le scandale du sénateur américain Bob Menendez, accusé de corruption [et que les Égyptiens auraient payé pour influer sur les aides envoyées au Caire]
Présidentielle et situation économique
Toujours selon les mêmes sources, la crise à Gaza renvoie également à la situation intérieure de l’Égypte. Le président Abdel Fattah Al-Sissi se prépare à se faire réélire dans deux mois, le 10 décembre prochain, sur fond d’une situation politique et économique délicate. Il est confronté à la grogne populaire en raison d’une inflation et d’une crise de la dette sans précédent.
Cela le met en position de faiblesse et pourrait permettre à Israël, avec le soutien américain, d’arracher des concessions. En l’occurrence pour obtenir son accord à un transfert des Palestiniens vers le Sinaï.
En contrepartie, on pourrait offrir au Caire l’effacement d’une partie de la dette, comme cela a été le cas en 1991, quand les Américains avaient effacé des dettes pour convaincre le président égyptien de l’époque, Hosni Moubarak, de rejoindre la coalition pour l’intervention militaire en Irak.
Mada Masr
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