En Libye, les corps de 62 migrants repêchés après le « pire » naufrage de l’année
Le nombre de migrants présents à bord de l’embarcation ayant coulé dans la nuit de mercredi à jeudi demeure incertain, les chiffres fluctuant selon les sources.
Les corps de 62 migrants ont été repêchés vendredi 25 juillet en Libye après le naufrage la veille de leur embarcation au large de la ville de Khoms, « pire » tragédie de cette année en mer Méditerranée selon l’ONU. Le nombre de migrants présents à bord de l’embarcation ayant coulé dans la nuit de mercredi à jeudi demeure incertain, les chiffres fluctuant selon les sources.
Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), quelque 145 personnes ont été secourues, tandis que 110 restent portées disparues au large de la Libye, pays plongé depuis 2011 dans le chaos avec des luttes de pouvoir et des milices qui font la loi. De son côté, la marine libyenne évoque 134 rescapés et 115 disparus. L’ONG Médecins sans Frontières (MSF) en Libye estime pour sa part que près de 400 personnes se trouvaient à bord du bateau.
« Nous allons poursuivre les opérations pour récupérer les corps rejetés par la mer cette nuit et demain », précise M. Sbeih, responsable du Croissant rouge libyen, confirmant qu’il n’était pas possible de donner un chiffre total des victimes du naufrage.
« Une embarcation en bois (…) a fait naufrage à moins de 5 milles marins de la côte selon les témoignages de rescapés », a fait savoir le général Ayoub Kacem, porte-parole de la marine libyenne. Les individus rescapés, des Erythréens pour la plupart, mais également des Palestiniens et des Soudanais, attendent d’être transférés dans des « centres d’hébergement », a-t-il ajouté, dans un communiqué.
« Un homme se noyait et a vu disparaître toute sa famille »
L’équipe de Médecins sans frontières (MSF) en Libye a prodigué des soins à 135 personnes, a rapporté son chef Julien Raickman ajoutant, d’après les récits recueillis auprès des survivants, que près de 400 personnes se trouvaient à bord. M. Raickman, basé à Tunis et joint au téléphone par l’AFP, a expliqué que les naufragés étaient partis « possiblement à bord de trois bateaux arrimés les uns aux autres, ce qui expliquerait leur désintégration » :
« Les gens étaient extrêmement choqués, un homme tiré de l’eau alors qu’il se noyait a vu disparaître toute sa famille. »
« La pire tragédie en Méditerranée cette année vient de se produire », a déploré le Haut-Commissaire de l’ONU pour les réfugiés (HCR), Filippo Grandi, sur Twitter.
« La reprise des opérations de sauvetage en mer, la fin de la détention des réfugiés et des migrants en Libye, la multiplication des voies de sortie sûres hors de la Libye sont nécessaires maintenant. »
Généralement, les migrants secourus en mer et ramenés en Libye sont d’abord accueillis par le Croissant rouge libyen, les personnels de l’OIM et d’organisations locales qui leur offrent soins et nourriture. Ensuite, ils sont placés dans des centres de détention. Ces derniers mois, des ONG ont dénoncé les conditions de détention des migrants. Selon des chiffres de l’OIM, au moins 5 200 personnes sont actuellement dans des établissements de ce type en Libye.
« Protection au titre du droit international humanitaire »
L’Union européenne apporte un soutien aux garde-côtes libyens pour qu’ils freinent les arrivées sur les côtes italiennes, distantes de quelque 300 km des côtés libyennes. En 2017, elle a validé un accord conclu entre l’Italie et Tripoli pour former les garde-côtes libyens et depuis le nombre d’arrivées en Europe via la Méditerranée a fortement chuté.
« Les réfugiés et les migrants en Libye sont extrêmement vulnérables et ont droit à une protection au titre du droit international humanitaire », a indiqué Thomas Garofalo, directeur du bureau libyen de l’International Rescue Committee. Il est « urgent » que les missions de recherche et de sauvetage des ONG soient « dépénalisées » et que l’opération Sophia soit rétablie.
Les navires des ONG et ceux de l’opération européenne Sophia intervenaient pour secourir les migrants, mais ces opérations ont pâti en 2019 de la réduction du champ d’action de Sophia et des démarches contre les ONG d’Etats européens cherchant à limiter l’arrivée des migrants. Avant le naufrage de jeudi, le HCR et l’OIM avaient fait état d’au moins 426 personnes mortes en tentant de traverser la Méditerranée depuis le début de l’année.
Malgré des violences persistantes depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi il y a huit ans après une révolte, la Libye reste un important point de transit pour les migrants fuyant l’instabilité dans d’autres régions d’Afrique et du Moyen-Orient et qui cherchent à rejoindre l’Europe.
AFP, 25 juillet 2019
Il y a « une crise des morts » en Méditerranée, et l’UE ne trouve aucun accord pour gérer les migrants
Les Etats européens n’ont toujours pas trouvé de mécanisme pérenne pour le débarquement et la répartition des hommes, femmes et enfant secourus en mer.
Un accord devait être trouvé, jeudi 18 juillet, à Helsinki, à l’occasion d’une réunion informelle. Puis les discussions avec des représentants de l’ensemble des pays européens devaient se poursuivre, lundi 22 juillet, à Paris. Finalement, rendez-vous a été donné début septembre à La Valette, la capitale maltaise.
Malgré les soubresauts de la diplomatie européenne, les Etats membres ne sont toujours pas parvenus à se mettre d’accord sur un mécanisme temporaire de débarquement des migrants secourus en Méditerranée, plus d’un an après la décision du ministre italien de l’intérieur, Matteo Salvini (extrême droite, Ligue), de fermer ses ports aux navires humanitaires.
Paris, qui est à l’initiative de la réunion d’Helsinki avec l’Allemagne et la Finlande – cette dernière assure la présidence de l’Union européenne (UE) –, se veut optimiste et souligne que de plus en plus de pays sont prêts à participer à la répartition des migrants débarqués en Europe. Lundi 22 juillet au soir, la Commission parlait à son tour d’un résultat « satisfaisant », d’un « demi-succès ».
« Une crise des morts »
« Quatorze Etats membres à ce stade m’ont donné leur accord », a déclaré, lundi, Emmanuel Macron, depuis l’Elysée, à l’issue d’un entretien avec le haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés (HCR), Filippo Grandi, et le directeur général de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), Antonio de Carvalho Ferreira Vitorino.
Huit de ces Etats ont véritablement « acté de leur participation », a précisé le président de la République. En plus de la France, de l’Allemagne et de la Finlande, il s’agit du Luxembourg, du Portugal, de la Lituanie, de la Croatie et de l’Irlande. Quant à ceux qui n’ont pas encore formellement sauté le pas, « ils veulent s’assurer que l’initiative ne générera pas davantage de flux », décrypte une source au ministère français de l’intérieur.
« Nous ne vivons plus une crise des arrivées, a pourtant insisté Antonio de Carvalho Ferreira Vitorino. Par contre, nous vivons une crise des morts. »
Depuis un an, chaque débarquement, dans un port européen, de migrants secourus par des navires d’ONG au large de la Libye nécessite de laborieuses négociations préalables entre Etats membres, afin qu’un accord de répartition soit trouvé.
M. Macron a souhaité par ailleurs « rendre hommage à Malte », qui a « permis à l’Europe de rester digne », en accueillant les migrants secourus par les navires humanitaires avant qu’ils ne soient relocalisés en Europe.
La petite île de 460 000 habitants n’a pas adhéré formellement à l’accord dit d’Helsinki. « Ils ne vont pas décharger l’Italie de sa responsabilité », justifie une source à l’Elysée. « Malte soulève un certain nombre de sujets, ajoute un cadre du ministère de l’intérieur. Ils veulent s’assurer que les relocalisations de migrants interviennent rapidement, que tout le monde soit relocalisé et que, lorsqu’un Etat atteint ses pleines capacités, on ne lui demande pas d’en faire plus. C’est long, mais on a besoin d’avoir les Maltais. »
« Mettre fin à l’enfermement » des migrants de Libye
Le pays se plaint en particulier de se retrouver seul à gérer les migrants qui ne relèvent pas de l’asile, quand les autres sont répartis en Europe. A ce propos, M. Macron a souhaité « améliorer l’efficacité » des retours des migrants économiques vers leur pays d’origine. « C’est là qu’on pèche le plus », confirme une source à l’Elysée.
Matteo Salvini a, pour sa part, qualifié de « flop » la réunion de lundi qui a, selon lui, « réaffirmé que l’Italie devrait continuer à être le camp de réfugiés de l’Europe ».
Outre la question des débarquements, la situation de la Libye a aussi été abordée. Emmanuel Macron a fait part de la « demande expresse et insistante de la France de mettre fin à l’enfermement » des migrants en Libye. Des participants à la réunion informelle de Paris ont décrit le malaise qu’avaient suscité les échanges sur la Libye, alors que plus personne ne peut nier que les centres pour migrants sont des centres de détention, d’esclavage et de rançonnage.
« L’UE a dépensé beaucoup d’argent pour former les gardes-côtes libyens et a donc aussi une responsabilité en ce qui concerne les actes de ces agents à l’égard des personnes interceptées. Il n’est plus admissible que des êtres humains soient renvoyés dans des camps de détention », a plaidé dans un communiqué le ministre luxembourgeois de l’intérieur et de la migration, Jean Asselborn.
M. Asselborn a en outre invité l’UE à se pencher sur un « rétablissement opérationnel » de la mission navale Sophia pour « compléter les actions de sauvetage de la société civile ». « On ne peut pas se cacher derrière [le risque d’appel d’air] pour ne pas devoir sauver des vies. » Les agences onusiennes HCR et OIM ont à leur tour déclaré conjointement qu’une opération de recherche et de sauvetage de l’UE était « nécessaire ».
Le sujet n’est pourtant pas à l’ordre du jour, tant le consensus sur le débarquement est encore loin d’être atteint.
Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles, bureau européen) et Julia Pascual
• Le Monde. Publié le 23 juillet 2019 à 03h58 - Mis à jour le 23 juillet 2019 à 11h54 :
https://www.lemonde.fr/international/article/2019/07/25/libye-plus-de-100-migrants-portes-disparus-apres-un-naufrage_5493453_3210.html