Monsieur Orbán,
Avant que vous n’atterrissiez en Israël, j’ai pensé qu’il était utile de vous dire à l’avance que votre venue en ce pays est une honte, un scandale historique. Pour toute personne ayant de la mémoire, surtout pour un Juif, il est difficile de digérer la venue officielle en Israël d’un antisémite patenté, raciste, islamophobe, démagogue, provocateur, menteur, ennemi de la démocratie, hostile aux droits de l’homme et contempteur des Lumières.
Avec ce palmarès à couper le souffle, on comprend que le Premier ministre Benyamin Nétanyahou soit tombé éperdument amoureux de vous. Je suis certain que Bibi serait heureux de fuir le domicile conjugal pour vous demander en mariage. Hélas, le grand rabbinat d’Israël risque de s’y opposer. Vous pourrez vous consoler en vous asseyant au bord de la mer, en vous enlaçant, en vous susurrant des mots doux sur la “démocratie illibérale”, en jetant en prison les traîtres et en sauvant la culture chrétienne.
De grâce, n’essayez pas de nier que vous êtes un antisémite. Tous les indices sont contre vous. Voici quelques lignes du discours que vous avez prononcé devant vos électeurs le 15 mars dernier : “Nous combattons un ennemi différent de nous. Il n’agit pas à découvert mais en cachette. Il est tortueux et sournois. Cosmopolite, il n’a aucune conscience nationale. Il ne croit pas au travail mais à la spéculation. Il n’a pas de patrie, car il estime que le monde entier lui appartient.”
Bravo, Viktor Orbán. Joseph Goebbels serait fier de vous. Vous n’avez négligé aucun cliché antisémite. Dans le discours prononcé le 21 juin le soir de votre victoire électorale, vous avez absous l’amiral Miklós Horthy. “Un homme d’État exceptionnel”, voilà ce qu’est pour vous l’antisémite déclaré qui a dirigé la Hongrie de 1920 à 1944, s’est allié à Hitler, a élaboré un arsenal législatif antisémite, a massacré des dizaines de milliers de Juifs et participé à la déportation d’un demi-million de Juifs hongrois vers Auschwitz.
Et pour le dessert, vous avez lancé une campagne antisémite contre votre compatriote George Soros, “le Juif” par excellence : milliardaire, libéral, soutien des démocrates en Europe orientale, bref, tout ce que vous haïssez et combattez, et tout ce que Bibi haït tout autant [Nétanyahou, partage l’aversion d’Orbán pour le milliardaire juif américain George Soros]. Mais, ne niez pas, Monsieur Orbán : vous êtes un antisémite parfait, total, autant judéophobe qu’arabophobe.
Au fait, Monsieur Orbán, j’espère que, parmi vos conseillers, il s’est trouvé quelqu’un pour vous avertir qu’Israël est un pays infesté de Juifs. Mais ne vous en faites pas, ce ne sont pas des Juifs du genre que vous méprisez. Il s’y trouve de moins en moins de “Soros”, et ces “Judoïdes”, bien qu’ils se disent Juifs, ressemblent à votre électorat. Parmi eux, vous vous sentirez très vite chez vous.
Grâce à eux, Israël mérite d’être appelé “la Hongrie du Moyen-Orient”. Même si, entre nous soit dit, nous avons une longueur d’avance dans cette plongée dans la fange. Nous sommes plus racistes et moins démocrates, plus ultranationalistes et moins libéraux, plus machiavéliques et plus malsains. Bref, nous sommes ce que vous êtes en passe de devenir.
L’honnêteté me pousse à reconnaître quelque chose de positif dans votre visite. Les Israéliens vont enfin vivre l’expérience de ce lépreux qui se voit pour la première fois dans un miroir. “Mon Dieu ! Est-ce vraiment à ça que je ressemble ?” Oui. Mais en un peu plus mauvais.
B. Mikhaël
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