Du fait même de la responsabilité de l’Europe à la fois dans les origines du problème de la Palestine et dans sa solution, notre tâche de solidarité en tant qu’Européens, en tant que Français, est particulièrement importante et lourde. Notre volonté de peser sur les pouvoirs politiques décisionnels européens se heurte à une société mal informée, ce qui oblige à un travail d’explication prolongé multiforme et jamais achevé face à l’hégémonie de la version israélienne et occidentale de l’histoire de la région.
Aujourd’hui, la bataille pour la reconnaissance de l’Etat de Palestine que nous menons s’appuie sur deux axes forts, l’un est juridique, l’autre est culturel, le droit international d’un côté et l’antiracisme de l’autre. Ce qui signifie démasquer sans complaisance les dérives globalisantes qu’elles soient antijuives ou anti-arabes, sionistes et islamophobes, négationnistes ou islamistes. Sans cette dimension idéologique nous sommes politiquement inefficaces, en clair hors jeu du champ politique tout simplement.
Rappeler le droit international
Au cœur du contentieux c’est l’impunité de l’Etat d’Israël qui depuis des décennies viole le droit international, ignore des dizaines de résolutions de l’ONU, agresse ses voisins, refuse d’appliquer les accords qu’il a lui-même signés, par exemple à Oslo. Et, en même temps, il continue d’être traité comme si de rien n’était et d’être considéré comme la seule démocratie au Moyen-Orient. L’effet pervers, limité mais réel, c’est le retour des clichés antisémites sur « Les Juifs qui dominent le monde et sont toujours au-dessus des lois… »
Certes Israël n’est pas le seul Etat du monde à violer le droit international et les résolutions de l’ONU mais le fait qu’il s’agit d’un Etat dont la création il y a 70 ans aujourd’hui est le fruit d’une recommandation de ces mêmes Nations Unies, et ce au détriment de la population indigène, renforce le caractère insupportable de cette situation.
Notre problème fondamental est de mettre fin à l’impunité d’Israël qui en quelque sorte pollue le système des relations internationales tel que voulu par l’ONU après la victoire contre le fascisme pour un monde qui ne soit pas géré par la force mais par le droit. Pour pallier les insuffisances des instruments de l’ONU pour faire respecter le droit, la mobilisation de la société civile internationale a permis de nouvelles avancées en particulier la constitution de la Cour pénale internationale qui peut poursuivre et condamner les responsables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. La communauté internationale a déjà pris des sanctions contre des Etats, bien sûr contre l’Afrique du Sud mais aussi contre d’autres pays et a même déployé une force armée pour s’interposer dans un conflit, comme par exemple la FINUL au Liban. Mais face à l’oppression coloniale en Palestine, la communauté internationale est restée étonnamment passive et complaisante, quitte à exprimer le rappel au droit mais sans jamais tirer les conséquences de son non respect patent par Israël.
Désormais, après l’échec de toutes les négociations depuis Oslo en passant par Camp David et Annapolis, etc., la communauté internationale (Etats et société civile) a pris conscience de la nécessité d’imposer de l’extérieur une pression suffisante sur Israël pour le contraindre à reculer. L’absence de « solution militaire » oblige à réfléchir sur les objectifs et les meilleures modalités d‘action pour isoler politiquement Israël et déboucher sur des pressions supérieures contraignantes, en clair des sanctions économiques.
Pour s’en tenir à la période récente du travail de l’AFPS, je retiendrai trois faits qui dans leur enchainement caractérisent notre stratégie. D’abord une grande campagne de signatures contre le Mur (de la honte). Nous avons collecté plus de 350 000 signatures, ce qui pour un tel sujet est sans précédent. Ces signatures ont été portées au Président de l’Assemblée nationale, Jean-Louis Debré, qui en a reconnu la validité et la légitimité. Ensuite ce fut la plainte déposée par l’AFPS contre les sociétés Alstom et Véolia construisant une ligne de tramway dans les colonies israéliennes ! Très lourd procès, qui nous a coûté un gros travail d’investigation, qui nous a coûté cher, mais qui a permis de faire connaître le rôle de grandes firmes françaises dans la politique coloniale israélienne et qui a amené plus tard le ministère français des Affaires étrangères à recommander aux entreprises françaises de ne pas investir dans les colonies… Ce fut enfin le soutien à la démarche auprès de la Cour internationale de justice (CIJ), la plus haute instance juridique du monde, qui a condamné clairement le Mur et fixé les obligations d’Israël. Cet avis de la Cour, très explicite, est très important pour la légitimité internationale de la cause palestinienne. A ce propos, j’ai le plaisir de rappeler qu’à la Cour, la Palestine a été représentée par Monique Chemillier-Gendreau, professeur de droit international, consultante très écoutée de l’OLP et… membre de mon groupe local de l’AFPS, qui a brillamment convaincu la Cour de la justesse de la demande palestinienne.
Et puis en 2004-2005, la Coordination européenne des comités Palestine, dont l’AFPS est vice-présidente, a décidé de mener une campagne européenne axée sur l’accord d’association entre l’UE et Israël. Au même moment était lancé un appel d’associations palestiniennes pour une campagne de boycott, de désinvestissement et de sanctions (BDS) contre Israël. Cette campagne a eu du mal à démarrer mais l’agression contre le Liban en 2006 et le massacre de Gaza en 2009 et celui de 2014 ont montré au monde entier combien il était impératif de mettre fin à l’impunité de l’Etat d’Israël. Aujourd’hui cette campagne est une réalité que reconnaissent les dirigeants d’Israël. La force de cette campagne réside dans la flexibilité car elle laisse chacun choisir les modalités de boycott qui nous semblent les plus efficaces politiquement. Par exemple, l’AFPS a choisi ce qu’elle appelle le boycott ciblé, en particulier le boycott visant les produits issus des colonies car notre expérience d’intervention sur ce point montre qu’il est plus pédagogique pour faire comprendre la politique de colonisation menée par le pouvoir israélien. Au total c’est l’effet cumulatif des différentes formes de boycott qui peut donner son efficacité à cette campagne qui ne plaît pas aux autorités françaises qui ont décidé de traduire en justice les militants qui s’y impliquent, n’hésitant pas à amalgamer boycott des produits israéliens et boycott des magasins juifs (casher). La campagne BDS n’est évidemment pas antisémite et se démarque clairement des quelques dérapages qu’il y a eu dans ce sens. Enfin, sorte de stade suprême de la sanction économique, le S de BDS, à savoir la suspension de l’accord d’association entre l’UE et Israël.
L’importance de la suspension de l’accord d’association UE-Israël
Pour comprendre l’importance et la signification de cet accord, il faut partir de la conférence de Barcelone en 1995 qui visait à établir un partenariat euro-méditerranéen pour renforcer la présence économique et politique de l’Europe, et en particulier de la France, en Méditerranée face à la toute puissance des Etats-Unis sortis triomphalement vainqueurs de la guerre du Golfe. Pour renforcer leur installation durable dans le monde arabe, les Etats-Unis imposent à Israël et à l’OLP de négocier un accord. Ce sera la conférence de Madrid et puis les accords d’Oslo en 1993 gérés par les Etats-Unis comme médiateur exclusif et unilatéral en faveur d’Israël. A ce moment, l’Europe anticipe une normalisation des relations entre Israël et son entourage qui constituera une zone de libre échange.
De ce point de vue, la conférence de Barcelone est liée aux avancées du « processus de paix » au Proche Orient et peut être vue comme une tentative de rééquilibrage géopolitique de l’Europe en Méditerranée face aux Etats-Unis, non invités à cette conférence. Ce rééquilibrage a pris la forme d’une affirmation plus forte des relations euromaghrébines pour lesquelles les Etats-Unis sont de fait amenés à reconnaître à l’Europe – à la France surtout – un droit de sous-traitance ; en même temps, à partir du Maghreb, mais aussi de l’Egypte, l’Europe reprend pied au Moyen-Orient, en termes de partenariat avec la Syrie et les Palestiniens en particulier, en insistant, face à Israël et aux Etats-Unis sur la nécessité d’appliquer le droit international.
Pour la politique euro-méditerranéenne, le monde arabe est un partenaire obligé du Centre représenté par les Etats-Unis et l’UE par la dimension du marché, de ses ressources (énergétiques) et par sa main-d’œuvre. L’Europe lance l’idée de faire du Bassin méditerranéen « une zone de paix, de stabilité et de prospérité » et entérine la médiation hégémonique américaine dans le conflit israélo-palestinien. La Conférence peut alors se tenir, sans la présence des Américains.
La Déclaration finale fixe trois volets du partenariat euro-méditerranéen : un partenariat politique et de sécurité, un partenariat économique et financier, un partenariat dans les domaines social, culturel et humain
C’est dans le premier volet que sont rappelés les engagements politiques des Etats signataires ; il suffit ici de citer le premier : « agir conformément à la charte des Nations Unies et à la Déclaration universelle des droits de l’homme, ainsi qu’aux autres obligations résultant du droit international… » C’est dans cet esprit affiché que l’Europe – soumise à une pression d’ONG européennes mais aussi arabes comme les ligues des droits de l’homme – renforce ses relations économiques et commerciales avec différents pays à travers des accords séparés d’association. En particulier elle accorde un traitement préférentiel à ces pays en réduisant fortement ses droits de douane ou même en les exemptant.
C’est dans ce contexte géopolitique qu’est signé l’accord d’association avec Israël. Cet accord remplace l’accord de coopération de 1975. Depuis cette date les relations entre l’UE et Israël se sont caractérisées par une double tendance : un accroissement des échanges sur le plan économique et des turbulences sur le plan diplomatique. Sur le plan économique, entre 1975 et 1995, les échanges CEE-Israël se sont développés d’une manière considérable. L’UE est devenue le principal partenaire commercial d’Israël, absorbant près de 35% de ses exportations et fournissant près de 50% de ses importations. D’autre part il faut rappeler que l’Europe s’est souvent démarquée de la politique israélienne, dénonçant à plusieurs reprises l’implantation de colonies dans les territoires arabes occupés, reconnaissant le droit du peuple palestinien à l’autodétermination (Déclaration de Venise en 1980), facilitant l’accès sur le marché communautaire des produits agricoles palestiniens (1986), condamnant les politiques répressives israéliennes suite an déclenchement de l’Intifada. Par ailleurs, Israël a eu maille à partir avec le Parlement européen, par exemple, en 1990, gel de la ligne budgétaire destinée à financer la coopération scientifique avec Israël pour protester contre l’embargo à l’éducation imposé par Israël dans les territoires palestiniens occupés.
En 1995, politiquement, l’Europe au Proche Orient ne pèse pas lourd. Elle a été marginalisée par les Américains dans le « processus de paix » enclenché à Madrid et continué à Oslo. L’Europe s’est donné comme fonction de soutenir économiquement le processus. C’est dans ce contexte qu’a été négocié l’accord d’association avec Israël. Cet accord améliore les relations économiques avec Israël et en particulier la coopération scientifique et technologique permettant l’accès d’Israël au programme de Recherche et Développement de l’UE. Pour le reste, l’accord a la même structure que les autres accords d’association.
L’accord s’est fixé pour objectifs les points suivants :
• fournir un cadre approprié au dialogue politique afin de permettre le développement des relations étroites entre les deux parties ;
• favoriser le développement harmonieux des relations économiques entre l’UE et Israël ;
• encourager la coopération régionale afin de consolider la coexistence pacifique ainsi que la stabilité politique et économique ;
• promouvoir la coopération dans d’autres domaines d’intérêt mutuel.
Très louables objectifs… mais il y a quand même un petit problème qui, tôt ou tard, risque de mettre sérieusement à l’épreuve les relations entre l’UE et Israël. En effet, Israël avec lequel l’UE s’associe dans le cadre d’un accord de partenariat est aussi un pays occupant un territoire qui ne lui appartient pas, le colonisant au vu et au su de l’Europe, exploitant ses ressources notamment hydrauliques et exposant constamment sa population à un châtiment collectif…
Les violations israéliennes des règles du droit
Donc le problème hautement politique qui se pose est le suivant : l’Europe pourra-t-elle sans se trahir, sans trahir ses propres engagements, traiter avec Israël sans dénoncer sa politique dans les territoires occupés ? Sera-t-il admissible longtemps sur le plan simplement éthique, d’octroyer à Israël un « statut privilégié », notamment en matière de coopération universitaire et scientifique alors qu’il continue par des bouclages répétés à empêcher les étudiants palestiniens de suivre normalement leurs cours ? Et, plus globalement, en déniant de manière générale au peuple palestinien le droit à l’autodétermination, droit pourtant rappelé par l’UE dans de multiples déclarations ? Or, point fondamental : l’article 2 de l’accord UE-Israël affirme que « les relations entre les parties se fondent sur le respect des principes démocratiques et des droits de l’homme qui inspirent leurs politiques internes et internationales et qui constituent un élément essentiel de l’accord » ?
Très rapidement, l’UE se trouvera placée devant un dilemme difficile car, soit elle ne dit rien et elle laisse la situation des Palestiniens se dégrader et elle perd toute crédibilité auprès de ses partenaires arabes, soit elle utilise la clause suspensive pour atteinte aux droits de l’homme et alors elle se trouve en confrontation directe avec Israël, ce qu’elle cherche à éviter à tout prix pour garder une capacité médiatrice… Or l’accord peut servir de moyen de pression économique et politique particulièrement efficace pour demander le retrait israélien des territoires occupés palestiniens. C’est l’arme suprême de l’Europe qu’Israël craint par-dessus tout car son économie est fondamentalement dépendante de l’extérieur.
Et, de fait, plusieurs clauses de l’accord sont manifestement violées par la partie israélienne. Ces violations constituent également un non respect plus général des principes de la Charte des Nations unies, du droit des traités, de la IVe convention de Genève, etc.
Suivant l’article 2 de l’accord, « les relations entre les parties, ainsi que toutes les dispositions de l’accord lui-même se fondent sur le respect des droits de l’homme et des principes démocratiques qui inspire leurs politiques internes et internationales et qui constitue un élément essentiel de cet accord ». Israël viole systématiquement les droits de l’Homme dans les Territoires occupés : usage disproportionné de la force, sanctions collectives ; destructions massives de maisons, etc. Israël, puissance occupante, ne remplit pas ses obligations légales au titre de la IVe convention de Genève de 1949 sur la protection des populations civiles en temps de guerre, qui impose un traitement discriminé entre combattants et non-combattants.
D’autre part, Israël viole des clauses commerciales de l’accord d’association :
• Le champ territorial de l’accord (article 83) : « Le présent accord s’applique, d’une part, aux territoires où les traités instituant la communauté européenne du charbon et de l’acier sont d’application et dans les conditions prévues par les dits traités et, d’autre part, au territoire de l’Etat d’Israël ».
• La règle d’origine. Le protocole 4 de l’accord « concernant la définition du concept de « produit d’origine » et les méthodes de coopération administrative », prévoit que le traitement préférentiel est accordé aux produits provenant des territoires des parties, excluant donc les produits provenant en tout ou pour une grande part des territoires palestiniens occupés.
L’Europe doit suspendre l’accord d’association
La plupart des accords d’association signés dans le cadre du processus de Barcelone comprennent un article 2 qui érige en élément essentiel de l’accord le respect des droits de l’Homme et des principes démocratiques. En droit international classique, la violation d’un des « éléments essentiels » par l’une des parties, peut fonder l’autre partie à suspendre ou à mettre fin à ses propres obligations. En outre, dans l’accord, il s’agit de l’article 79 : « Si une des parties considère que l’autre partie n’a pas satisfait à une obligation découlant de l’accord, elle peut prendre les mesures appropriées ». Par conséquent, la suspension de l’accord entre l’UE et Israël permettrait donc à la fois de sanctionner le non respect des normes du droit international et de pousser les Etats membres à faire respecter la IVe convention de Genève dans toutes les circonstances, comme l’impose son article premier.
Le 10 avril 2002, le Parlement européen a pris position en demandant à la Commission et au Conseil la suspension temporaire et immédiate de l’accord d’association. La Commission et le Conseil ont refusé d’en tenir compte… Par son refus d’agir, la Commission devient de fait complice des graves violations par Israël de la IVe convention de Genève et des autres conventions internationales. Le mouvement international de solidarité avec la Palestine n’est pas encore assez puissant pour obliger l’UE à suivre la recommandation du Parlement européen.
Cette demande de suspension devient un thème phare de la mobilisation des citoyens européens pour la défense des droits du peuple palestinien et l’établissement d’une paix juste et durable au Proche Orient. Pour l’Europe, cet accord est devenu un enjeu pour s’imposer comme un partenaire crédible dans les éventuelles négociations internationales qui s’imposeraient à Israël.
A partir de 2002, la campagne de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine a pris corps : diffusion d’outils de sensibilisation, d’argumentaires juridiques et politiques ; au-delà du mouvement associatif, des Universités (Paris VI, Grenoble, Montpellier) ont pris position et bientôt le lobbying de la Plateforme a imposé la question de l’accord d’association dans l’agenda parlementaire national et européen. En 10 mois, entre juillet 2002 et avril 2003, dix questions de députés ont porté sur l’accord d’association et la violation de l’article 2 et la règle d’origine. Une dynamique associative et citoyenne s’est mise en marche. En mars 2003, 17 organisations juives européennes se sont prononcées pour la suspension immédiate de l’accord d’association. En 2005 c’est une relance de la campagne de sanctions par la coordination européenne en même temps que le lancement de la campagne BDS qui a mis en avant le boycott. Dans l’ensemble, le mouvement a renforcé sa capacité de pression auprès des organismes européens (obtenant notamment l’abandon du projet de rehaussement – upgrading – des relations entre l’UE et Israël). A partir d’une démarche des syndicats britanniques, bientôt soutenue en France par de grandes confédérations syndicales européennes comme la CGT et la FSU, s’est imposé auprès des autorités européennes l’exigence d’un étiquetage des produits issus des colonies israéliennes en Palestine. Finalement, en 2014, la Commission européenne a publié ses nouvelles lignes directrices concernant sa politique de coopération avec Israël et annoncé qu’elle excluait désormais toute coopération avec Israël, avec les institutions et les entreprises israéliennes ayant des activités dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967. Coup de tonnerre ! Pour la première fois l’UE a montré sa capacité et sa volonté de passer de la parole aux actes… c’est-à-dire à des sanctions. Israël va alors multiplier les pressions et les démarches pour retarder l’application de cette mesure ou en restreindre le plus possible la portée. Ce qui va partiellement réussir grâce au soutien du lobby pro-israélien très présent auprès des institutions européennes.
Finalement, avec l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir en Israël en mars 2015, qui a accéléré la colonisation, l’UE a décidé de rendre obligatoire l’étiquetage des produits issus des territoires illégalement occupés par Israël. Cette décision porte un coup très sensible à l’économie des colonies en privant leurs produits des tarifs douaniers préférentiels consentis par l’UE à Israël par l’accord d’association. Elle a aussi une valeur symbolique et politique significative car elle laisse prévoir d’autres mesures plus contraignantes qui toucheront de fait l’ensemble des relations commerciales d’Israël, surtout si le pouvoir israélien ne modifie pas son comportement. Ce que les Israéliens ont parfaitement compris… Déjà, en France, le mouvement de solidarité demande que l’ensemble des marchandises ainsi identifiées comme provenant des colonies illégales soient interdites sur les marchés français et européen.
En même temps nous demandons un moratoire sur la coopération sécuritaire et militaire entre la France (et l’Europe) avec la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire chargée de faire la transparence sur les modalités de cette coopération et leur conformité au regard des engagements internationaux de la France. Dans cet esprit, nous devons mettre en question la présence – très ostentatoire – de l’industrie israélienne d’armement dans les différents salons d’armement internationaux que la France organise chaque année et qui sont autant de formes de propagande pour légitimer la guerre menée contre les Palestiniens. Ce qui signifie aussi remettre en cause la participation d’Israël au « Programme-cadre de recherche et développement technologique » de l’UE.
Tels sont nos axes de travail. Le problème est de les faire appliquer… c’est-à-dire d’être efficace. Cela suppose la construction d’un mouvement fort et représentatif de la société civile organisée et de la société politique, en clair une stratégie d’alliances fondée sur la défense et l’application du droit international. D’abord, au niveau français, avec le Collectif national pour une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens (CNPJDPI), qui regroupe avec les associations de solidarité avec la Palestine (AFPS, GUPS, etc.), des forces politiques (PCF, EELV, NPA, Parti de gauche, Socialistes pour la paix…), des syndicats (CGT, FSU, Solidaires, UNEF), des organisations antiracistes et de défense des droits de l’Homme (MRAP, LDH…), des associations issues de l’immigration (FTCR, ATMF…) en tout une cinquantaine d’organisations. Et puis la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine, qui regroupe plus de 40 ONG et associations parmi les plus représentatives de la société civile française, avec en particulier beaucoup d’organisations de référence chrétienne mais aussi avec la présence d’organisations de référence juive ou musulmane, sans oublier, bien sûr, les associations de référence laïque… Et, bien entendu nous nous situons dans une stratégie européenne, avec la Coordination européenne de Bruxelles.
Le problème maintenant est la nécessité et la possibilité d’une coordination euro-méditerranéenne autour du mouvement national palestinien et des ses composantes politiques et associatives, sans oublier les forces anti-colonialistes et associatives israéliennes qui luttent courageusement pour les droits des Palestiniens. En France, lorsque nous les faisons venir pour des réunions publiques de solidarité avec la Palestine, nous sommes directement l‘objet d’attaques directes du groupe fasciste et raciste de la Ligue de défense juive (d’ailleurs interdit aux Etats-Unis et même en Israël !). C’est le cas du groupe local de l’AFPS auquel j’appartiens.
Tels sont les grands axes de notre travail. Un mot pour finir sur ce que nous pensons de l’Europe et sur son rôle possible pour la Palestine.
Quel avenir pour le rôle possible de l’Europe pour la Palestine ?
Sans développer une grande analyse de la politique européenne au Moyen-Orient et pour le dire en quelques mots, cette politique a toujours reposé sur un postulat d’impuissance : seuls les Etats-Unis seraient capables, selon l’Europe, d’influencer Israël. Etonnant pour la première puissance économique mondiale qui est le premier partenaire commercial d’Israël. Mais cet aveu permet de justifier l’alignement politique de l’Europe derrière les Etats-Unis. C’est ce suivisme que le mouvement de solidarité entend mettre en cause et obliger l’Europe à en sortir en utilisant de manière appropriée l’arme économique décisive dont elle dispose pour contraindre Israël. Les mesures récentes montrent que c’est possible, elles sont le fruit de la mobilisation grandissante de l’opinion publique européenne. Le système politique européen est suffisamment démocratique pour permettre l’expression et la mobilisation de l’opinion publique et d’exercer une pression réelle sur les forces politiques au pouvoir. On l’a vu au moment de la reconnaissance de l’Etat de Palestine à l’ONU…
Après l’affaiblissement de la capacité américaine de pression sur Israël que vient de confirmer le dernier voyage de John Kerry au Moyen-Orient, il revient à l’Europe de plus en plus directement touchée par le conflit et ses contre-coups externes y compris dans ses intérêts les plus vitaux (économiques, démographiques, culturels, etc.) de jouer un rôle décisif dans le règlement politique du problème. La communauté internationale (Etats et sociétés), les gouvernements démocratiques, les forces politiques démocratiques, les pacifistes, le mouvement de solidarité, nous sommes tous responsables de ce qui se passe en Palestine. Si aujourd’hui nous fermons les yeux face au massacre des Palestiniens, si l’Europe reste paralysée par le souvenir de l’Holocauste sur lequel les Palestiniens n’ont aucune responsabilité, la spirale de violence ne s’arrêtera jamais et deviendra une tempête qui nous emportera tous, nous tous comme peuples méditerranéens.
Que faire dans l’immédiat ? La réponse est claire : envoyer une force d’interposition ; si Israël n’en veut pas, cette force peut parfaitement se situer en terre palestinienne, un peu comme au Liban avec la FINUL en 2006, une sorte de corps de police international. Elle précéderait la tenue d’une conférence internationale sous l’égide de l’ONU qui serait amenée à poser le problème de l’avenir de la région. Une utopie aujourd’hui, mais la reconstruction étatique et démocratique assurant la sécurité de tous les peuples de la région doit être notre objectif commun. Beaucoup dépend de la force de mobilisation de la société civile, c’est-à-dire de nous tous. A nous d’y réfléchir et de s’y préparer ensemble.
Bernard Ravenel
Président d’honneur de l’AFPS et l’un des animateurs de « Trop, c’est trop ! »