Gaston, y a l’ téléphon qui son
Et y a jamais person, qui y répond
Nino Ferrer
Le texte de Pierre Rousset, Crise du NPA, pourquoi parle-t-on si peu de la politique d’organisation [1] suscite pour le moins un certain étonnement.
Ce qui fait accord
On ne peut que partager l’affirmation suivante du texte de Pierre, « la période a bon dos ». Les éléments généraux d’analyse ont toute leur importance pour saisir les possibilités d’une période, les tendances lourdes, les rapports de forces globaux. Mais leur invocation pour justifier les difficultés d’une organisation, d’une politique sont bien souvent un argument pour exonérer à peu de frais ce qui aurait pu être fait, ce qui dépendait de nous. Trop souvent la mise en perspective, le temps long ne sont qu’un enrobage plus ou moins sophistiqué pour expliquer le conservatisme et s’affranchir de toute vraie critique. Ce qui est pratique avec les coordonnées générales de la situation politique, c’est que nos responsabilités y sont in fine assez limitées.
J’ai, avec d’autres camarades signé un texte de bilan [2], qui tente par delà les questions de période de balayer les erreurs commises depuis la fondation du NPA. Avec ce texte, nous avons essayé de tirer un bilan qui ne soit pas simplement celui des autres mais aussi notre propre bilan. Si ce texte doit être critiqué et enrichi, l’exercice qui consiste à revisiter ses propres erreurs est utile dans la situation. Si le « c’est la faute à la période » est trop commode, l’idée qui consiste à penser que les erreurs ce sont celles des autres est tout aussi critiquable.
Ce qui fait débat
L’évacuation assez rapide des problèmes d’orientation dans le texte de Pierre est en revanche assez discutable. Une chose est en effet de traiter de manière spécifique les questions d’organisation. Celles-ci ont en effet une autonomie et il ne sert à rien d’avoir une bonne orientation si elle n’est pas mise en pratique. Faire le choix de traiter la crise du NPA à travers ce prisme est donc d’autant plus légitime que cette question n’a été que trop peu analysée jusque là. Mais développer l’indispensable dimension organisationnelle est une chose. En arriver pour cela à relativiser les problèmes d’orientation politique, « la juste politique a bon dos », est une toute autre affaire.
Je ne reviendrai pas ici sur des éléments déjà développés dans notre texte de bilan. Mais citant deux exemples, la politique du NPA aux régionales et la question du voile, Pierre en arrive à cette conclusion curieuse : « Quand l’organisation se divise sur chaque choix tactique (au sens noble du terme), il n’y a plus de « politique juste » possible puisqu’aucune politique ne peut être mise en œuvre par l’essentiel de l’organisation – et la « politique just » devient avant tout l’objet de luttes internes à l’organisation ».
Incontestablement il y a eu de forts désaccords sur les choix politiques à opérer et je ne suis pas convaincu qu’on puisse les qualifier de simplement tactiques. Mais ces choix politiques ont eu lieu, ont eu des conséquences car contrairement à ce qu’écrit Pierre une politique a bien été mise en œuvre.
Au-delà de l’hétérogénéité initiale du NPA et des divisions internes issues de l’ancienne LCR, le problème politique était peut-être en réalité plus profond. Sans entrer dans une polémique sur le degré d’adhésion réel au projet initial du NPA de tous ces membres et courants fondateurs, ne faut-il pas envisager que deux approches aient coexisté depuis le début ? Pour l’une la création du NPA était un dépassement de la LCR avec comme conséquence une certaine rupture avec la réalité d’une organisation d’extrême-gauche issue de 1968. Pour l’autre, le NPA cela devait être un parti révolutionnaire en plus grand. La victoire de la seconde option sur la première a évidemment eu pour résultats que le NPA est désormais plus petit que la LCR.
Ce qui laisse perplexe
Mais ce qui surprend le plus dans le texte de Pierre, c’est évidemment la manière dont est traitée la politique d’organisation qui est la raison d’être de son texte. Et là je dois reconnaître que l’approche presque unique au travers de l’absence de permanent.e.s à temps plein parmi la direction centrale m’a laissé un peu bouche bée. Au prisme, me semble-t-il extrêmement étroit, s’ajoute des inexactitudes et des désaccords qu’il convient de reprendre.
D’abord, il est incontestable qu’il n’y a aucune corrélation entre une situation de permanent à vie et une situation de permanent à temps plein pour quelques années. Le premier cas de figure est à proscrire, il n’a jamais été théorisé que le second était interdit. C’est pourtant l’inverse que nous avons eu.
En préalable et avant même d’aborder la question temps partiel/temps plein, ce qu’il faut souligner c’est l’extrême faiblesse numérique de l’appareil politique de la LCR puis du NPA en terme d’équivalent temps plein (ETP). Le moins qu’on puisse dire, c’est que le spectre d’une bureaucratie tentaculaire n’a guère flotté au-dessus du siège central à Montreuil. Le nombre ETP pour le Bureau Politique, puis le Comité Exécutif, n’a jamais dépassé 6/7 et a le plus souvent tourné entre 3 et 5 ce qui est absolument ridicule pour une organisation politique ayant l’audience de la LCR ou du NPA. Le temps global de permanentat est donc un vrai problème qui a d’ailleurs été souvent discuté. Le cas du journal pourrait être abordé dans les mêmes conditions.
La première raison est évidemment financière. Hormis la période 1999/2004 où la LCR avait deux députés européens, le financement des permanents ne s’est fait qu’à l’aide des cotisations et des différentes souscriptions. Toutes les autres organisations, y compris d’extrême-gauche, bénéficient soit de la manne institutionnelle des élus, soit de financements extérieurs.
La seconde raison qui est venue se cumuler à la première, c’est le poids du passé. Pour des raisons diverses, il a fallu continuer à payer des permanents, parce qu’on ne commence pas à travailler à plus de 50 ans, même s’ils n’étaient plus en direction et même s’il n’avait pas de tâches bien définies. Si beaucoup de camarades qui avaient été permanents ont fait le choix, collectivement discuté, d’aller travailler à la fin des années 80 et au début des années 90, ce ne fut pas une préoccupation générale. La situation fut en particulier critique après 2004, et la déroute aux élections européennes, où il est resté très peu de marge pour le bureau politique.
C’est deux réalités ont pesé lourdement sur le volume possible de permanentat pour la direction centrale jusqu’à fort récemment.
L’approche sociologique et le coût politique sur les méfaits du temps partiel prête en revanche vraiment à sourire. Le temps partiel n’est pas plus discriminant socialement qu’un temps plein. On peut même penser que c’est l’inverse. Il est possible dans certaines entreprises du privé, même si ce sont surtout dans les grands groupes, d’obtenir des temps partiels. En revanche, je vois mal, avec le marché de l’emploi tel qu’il est, comment demander à un camarade de démissionner pour quelques années de permanentat à 100%. Avec quelle perspective ensuite ? Rester permanent ? Par ailleurs on voit mal pourquoi 3 ou 4 permanents à temps plein favoriseraient plus « les échanges nécessaires à la formation d’une équipe et à la collectivisation des connaissances et de l’analyse » que 6 à 8 demi-permanents. Quant au téléphone qui sonne dans le vide, cela me rappelle la chanson de Nino Ferrer mais pour le reste… Quiconque a un peu répondu et pas seulement laissé sonner, sait qu’il n’y avait pas matière à immobiliser en permanence un membre du BP ou du CE.
Mais dans la conception même de l’exécutif qui apparaît en creux dans le texte de Pierre, il me semble qu’il y a matière à discuter. Un membre de l’exécutif doit donner plus de temps à l’organisation mais la phrase suivante pose problème : « Même si l’on y consacre l’essentiel de son temps libre, on ne peut pas être disponible à 100% quand on travaille par ailleurs ». Elle est sensée justifier, le fait qu’il ne faille pas de temps partiel. Mais remplaçons la toute fin par « quand on a des enfants » et cela marche tout aussi bien et on a justifié qu’il ne faut pas d’enfants non plus. On peut prendre d’autres exemples mais si le critère c’est d’être disponible à 100%, on va très vite redevenir à un schéma assez classique dans les organisations révolutionnaires.
Dans une organisation qui reste relativement petite, et qui par ce fait même ne peut prétendre être le reflet de ce qui se passe dans la société, il y a un prix à payer à être permanent à 100%. Celui d’un risque de désocialisation qui coupe de la réalité d’un milieu. Chaque milieu à évidemment ses biais, mais un tout petit bocal de quelques permanents est souvent en dehors de la vie.
Enfin, dernière explication, il se trouve qu’en général l’origine sociale des quadragénaires qui passionnent tant Pierre est beaucoup plus populaire que celle de leurs aînés. La conséquence, c’est que ne bénéficiant pas de base arrière de type familiale, ils n’ont jamais pu considérer leur salaire de permanent comme un revenu d’appoint.
Clergé séculier, clergé régulier
Pierre annonce en introduction un projet de texte qui sera plus ambitieux et qu’il compte intituler « Changement de période, crise d’organisation et engagement militant ». Un débat sur ces questions est évidemment essentiel.
Il faut donc « reconstituer aussi le fil d’une pensée sur le terrain de la politique d’organisation ». Et évidemment pour reconstituer ce fil, il faut jeter un regard critique sur notre propre héritage : « surtout sur celui des années 1980-2000. Ma génération militante a dû faire son introspection critique-autocritique (avec plus ou moins de bonheur) dans la seconde moitié des années 70, pour apprendre à construire dans la durée. C’est au tour de la génération suivante de devoir la faire, pour se préparer à des temps plus difficiles. » écrit Pierre.
Première difficulté qui n’est pas mineure, c’est que pour l’essentiel la génération qui a dirigé jusqu’aux années 2000 et la même génération que celle de Pierre, ce qui ne veut pas dire que ce fut forcément les mêmes militants pendant 30 ans. Dit autrement l’actuelle génération est arrivée aux « affaires » au plus tôt dans les années 90 pour quelques camarades dont je suis, le plus souvent au début voire à la fin des années 2000. Ce qui saute alors aux yeux, c’est le saut générationnel entre d’une part ceux qu’on pourrait appeler les fondateurs d’une part (la génération 68) et des militants ayant rejoins la LCR à partir du début, milieu des années 80, parfois beaucoup plus tard d’autre part. Bref, il manque les quinquagénaires et par ailleurs il manque aussi beaucoup les femmes. La encore, on pourrait se prévaloir de la période qui a bon dos, mais on pourrait aussi s’interroger sur d’éventuels fonctionnements qui ont favorisé cette situation qui de fait a abouti à une continuité réduite aux acquêts.
Mais il est vrai qu’à l’épreuve de l’expérience, le bilan n’est guère probant. Ni sur le plan politique, ni sur le plan organisationnel. Je n’évoquerai pas ici « l’incapacité à maîtriser l’entrée de groupes constitués dont l’adhésion politique au projet du NPA n’allait pas de soi ». Pas simplement parce que la conduite des discussions avec ces groupes doit beaucoup à l’ancienne génération, mais bien parce que là encore ce serait se défausser sur les petits groupes qui auraient bon dos, alors que le problème vient d’ailleurs.
Il faut souligner que la crise majeure de régression sociale engagée en Europe occidentale est sans précédent depuis la seconde guerre mondiale. Et que si nous sommes entrés dans une période de reconstruction, c’est bien le chaos qui l’emporte. Le passé ne passe plus, et la crise de la forme parti dont on entend parler souvent et bien plus que cela, une crise de l’ensemble du mouvement ouvrier. Mais si l’héritage ne permet pas de répondre aux nouveaux enjeux, le neuf n’a pas (pas encore ?) montré son efficience pour résoudre même un peu, même avec des conquêtes très partielles les problèmes du prolétariat. Et je ne parle pas ici du type de mobilisations nécessaires pour essayer de résoudre les différents problèmes liés à la crise climatique.
Il me semble qu’un des problèmes sur lequel, toute génération confondue, nous n’étions guère armé au moins en France peut se résumer ainsi : comment construire une orientation politique quand on passe du statut d’organisation sympathique mais politiquement assez propagandiste à celui d’un parti certes encore petit mais qui a une audience et qui suscite une attente de masse ? Bref comment on se coltine à la réalité d’ensemble et pas simplement à des luttes particulières. Le risque est bien connu la tentation réformiste d’un côté, le retour confortable au propagandisme d’autre part. Ni d’un point de vue politique, ni d’un point de vue organisationnel nous n’avons su apporter de réponses satisfaisantes.
Mais pour répondre aux problèmes nouveaux, il n’y a pas de doute il faudra être dans le siècle, tel qu’il est. Bref il est temps de quitter le clergé régulier, sa vie bien organisée et ses règles qui vous balisent une vie pour entrer dans le clergé séculier au milieu des laïcs.
Guillaume Liégard