La situation du NPA est désormais extrêmement grave. Le succès, l’enthousiasme même, du processus fondateur est désormais bien loin derrière nous. Le projet de nouveau parti, porté à partir de la présidentielle 2007 jusqu’à la fondation du NPA en février 2009, celui d’un parti anticapitaliste acteur de la lutte des classes et qui pèse sur la situation politique nationale est désormais dans les sables. A l’enthousiasme du début, a succédé une période de crises et d’affaiblissements qui a vu le départ des deux tiers des adhérents. Pire, depuis la Conférence Nationale de juin, se dessine les contours d’une organisation isolée et propagandiste, incapable d’une quelconque démarche unitaire. En réalité, il s’agit d’une incapacité à se confronter au monde tel qu’il est.
Le cours actuel n’est certes pas complètement cristallisé mais le risque est désormais réel. A la fin de l’année 2008 et au début de l’année 2009, nous avions la main pour hégémoniser la gauche radicale. Ce n’est évidemment plus le cas. C’est un immense sentiment de gâchis qui l’emporte, et la question peut être posée de manière simple, comment en sommes-nous arrivés là ?
Parce que nous avons été membres de la majorité du NPA de ses débuts jusqu’à la CN, il nous a semblé utile de reprendre l’histoire récente du NPA. Ce texte s’inscrit dans la continuité du bilan des régionales produit par 10 membres du CE, « Un second souffle pour le NPA » et de la déclaration de 38 membres du CPN. Nous avons désormais un peu plus de recul pour pointer un certain nombre d’erreurs ou d’indéfinitions qui sont lourdes de conséquences.
Des difficultés objectives... oui mais
D’abord un constat : pour s’en tenir à l’Europe occidentale, l’incapacité en plus de 70 ans à construire un parti anticapitaliste ou révolutionnaire capable de s’inscrire dans la durée sans être happé par la bureaucratisation et l’institutionnalisation doit être pris à sa juste mesure.
Cette réalité dans le temps et l’espace souligne une difficulté qui va bien au-delà des problèmes d’orientation politique pour ne pas parler de nos petites questions tactiques. Elle doit inciter à une certaine retenue pour ne pas parler de modestie. Elle souligne incontestablement l’incroyable difficulté de la tâche. Le double écueil de la marginalité sectaire ou de l’institutionnalisation semble délicat à éviter. Dans la situation actuelle, à l’exception de l’Alliance Rouge et Verte au Danemark et du Bloco au Portugal, l’ensemble de la gauche radicale est aujourd’hui en crise en Europe. Les situations nationales, les traditions politiques, les cultures sont extrêmement différentes. Mais nulle part une organisation révolutionnaire n’a connu de vrai succès. Et les regroupements anticapitalistes ou antilibéraux qui se sont opérés dans différents pays sont en crise profonde malgré la multiplicité des expériences. De Die Linke en Allemagne, en passant par Respect en Grande Bretagne ou Refondation communiste en Italie, l’échec est patent. Et il n’est sans doute pas anodin que le contre exemple portugais coïncide justement avec le pays qui a l’expérience révolutionnaire la plus récente en Europe (1975).
L’appréciation de l’espace politique possible pour un parti tel que le NPA reste donc à définir. La crise financière puis la crise tout court, ont mis en lumière l’absurdité du système capitaliste. Mais il nous faut constater que cette prise de conscience ne s’est pas traduite par un renforcement de la gauche antilibérale/anticapitaliste en Europe. Bien au contraire. Il existe cependant des éléments de résistance dont les potentialités anticapitalistes sont réelles. Le mouvement des indignés représente à cet égard une excellente nouvelle même s’il faut convenir de ses limites. En effet, il recèle une dynamique planétaire mais celle-ci est contrebalancée par un fort sentiment anti-parti et anti-organisation.
Les éléments indiqués sont des tendances lourdes, elles constituent notre toile de fond et définissent notre champ des possibles. Ajoutons que ces difficultés étaient déjà connues au moment du lancement du NPA et nous les avons évoquées sans en tenir compte.
Le NPA est né dans un moment politique bien particulier : une situation combinant brutalité de l’offensive de la droite, défaillance généralisée du mouvement syndical et de la gauche et desserrement passager de l’emprise du FN. Après la défaite du PS à l’élection présidentielle de 2007, de manière assez artificielle, Olivier Besancenot et le NPA en constitution apparaissaient presque comme la seule force d’opposition. Cette situation qui ne pouvait être qu’une parenthèse politique a pourtant été théorisée dans le discours extérieur du NPA. Triomphalistes, nous avons eu tendance à nier la réalité du champ politique et social, ce qui est devenu une manière faussement habile de solder le débat reconstruction/recomposition du mouvement ouvrier. Le raccourci avait deux étapes : il n’y a plus rien à recomposer, puisque la rupture entre les masses et le mouvement ouvrier traditionnel est profonde, et pour la reconstruction, nous, petite organisation à l’implantation précaire, sommes en pole position. Les développements sur le parti des anonymes traduisaient non seulement une extériorité vis à vis des autres forces politiques mais en réalité vis à vis de l’ensemble de la société. Sous des oripeaux nouveaux, la politique du NPA n’a pas représentée une réelle rupture avec les traditions issues des partis d’extrême-gauche de l’après 68. Il fallait, au contraire, revisiter le schéma de construction d’un parti à la lumière d’une situation profondément modifiée, et opérer, en quelque sorte, une révolution culturelle.
Si les signataires de ce texte n’ont jamais été très convaincus par cette approche, ils portent néanmoins une responsabilité. En ne contribuant pas à combler le déficit de réflexion et d’anticipation sur les enjeux politiques, en ne menant pas les batailles politiques sur les responsabilités politiques nouvelles du NPA, nous avons contribué à désarmer le NPA.
Dans ces premiers mois de notre parti, en niant la complexité sociale et politique d’un pays comme la France, le NPA est passé de l’enthousiasme à l’arrogance.
Des erreurs de positionnement et d’orientation à répétition
Dès sa fondation, le NPA a dû se confronter à des échéances électorales avec les élections européennes de juin 2009, puis les élections régionales de mars 2010. Les questions afférentes à la tactique électorale ont donc beaucoup polarisé les débats du parti et en particulier de sa direction. Qu’on le veuille ou non, c’est par ce biais que se sont cristallisées les différentes conceptions de la situation politique et de l’orientation qui devait être la nôtre.
Bien plus que les scores, disons mitigés, des élections européennes, c’est le type de campagne menée et la justification que nous avons donnée à notre cavalier seul qui était problématique. En arguant de l’impossibilité d’un accord au nom des désaccords à venir sur les élections régionales de l’année suivante, nous avons donné le sentiment que nous ne cherchions qu’un prétexte. Ce qui, de fait était vrai : la vulgate consistait à dire qu’un nouveau parti devait y aller, se compter, c’était le bon sens. En réalité, c’est un premier renoncement à mener des batailles internes pour prendre en compte la complexité du champ politique et le caractère stratégique de la question unitaire. Ensuite la campagne elle-même, conçue comme un haut-parleur des luttes a fait l’impasse sur les thématiques européennes. Pour ne pas parler de brillantes interventions sur le fait que des élus au parlement ne serviraient à rien et que les élections sont au mieux un baromètre au pire une diversion.
Mais si les européennes pouvaient laisser le bénéfice du doute, le résultat des élections régionales est apparu pour ce qu’il était, un authentique échec pour le NPA. De fait, ces résultats nous ramenaient aux scores et, surtout, à la place occupée par la LCR. Et encore, pas dans ses meilleures années. Dans notre bilan des régionales publié en mars 2010 nous écrivions :
« Plus épineuse est la question de l’unité qui nous taraude depuis le congrès de fondation. Nous avons sous-estimé cette question depuis le départ, celle du Front de Gauche et dans le Front de gauche, du Parti de gauche. L’an dernier nous étions dominants dans la gauche radicale et à notre congrès nous n’avons pas réellement porté un projet de rassemblement électoral pour les élections européennes, en tous les cas pas de manière systématique. Nous avons cru passer seuls. Mais il est vrai qu’au congrès de fondation était largement partagée l’idée qu’un parti nouveau devait être capable d’affronter sa première échéance électorale, en affirmant un des éléments essentiels, l’indépendance politique vis à vis du PS. Pour autant c’était à nous de produire une perspective de rassemblement pour les Européennes. Et qu’il était possible d’en réunir les conditions à cette échéance. Le PCF aurait sans doute repoussé cette proposition mais l’essentiel est ailleurs : la défense de l’unité aurait changé de camp. Le paradoxe est que nous avons cherché et discuté de listes unitaires sur une élection de gestion donc plus difficile (les régionales) que les Européennes. Il n’y a pas de retour sur le passé possible mais méditer sur les dangers de l’ivresse du succès est toujours utile. »
Avec désormais un peu plus de recul, et avec le développement et l’aggravation de la crise capitaliste, l’optique que nous avons assez largement développé lors des régionales n’était sans doute pas la plus pertinente. Politiquement, l’essor d’un bloc anti-crises, nécessairement conflictuel, avait une fonctionnalité, une utilité et la possibilité de trouver un large écho dans les classes populaires. Au lieu de cela, nous nous sommes focalisés sur les questions tactiques liés à la gestion de l’institution.
Après le mouvement des retraites de 2010, il était courant de dire que la NPA y avait été « comme un poisson dans l’eau ». C’était en partie vrai, et constituait une bonne nouvelle. En un sens cela résumait ce qui faisait ciment commun : dans une période aigüe de lutte des classes, en dehors des secteurs, alors minoritaires, qui ont une approche décalée et sectaire des mobilisations et ont proposé ensuite de diffuser le programme révolutionnaire devant les raffineries, nous étions pour l’essentiel en accord sur ce qu’il fallait faire.
Cela dit, la mise en avant du mot d’ordre de grève générale a aussi servi de paravent à l’absence de propositions concrètes dans le cours de la mobilisation. Et, il aurait fallu s’interroger sur notre incapacité à recruter dans la foulée de la mobilisation. Le caractère autocentré de la journée du 11 décembre 2010 signait l’échec du redéploiement du NPA. Il ne pouvait y avoir d’acte II du processus fondateur, mais nous aurions pu être plus offensifs, sans considérer que le NPA serait naturellement le lieu du rassemblement des milliers de militant.es de la grève générale – ce qu’il ne fut pas du tout.
Enfin et même s’il s’agit d’une question qui traverse peu ou prou chacun des courants de l’organisation, il serait inconséquent d’aborder les erreurs de ces premières années sans évoquer la question du voile au moment des élections régionales.
Il ne s’agit pas ici de refaire le « match » mais de tirer quelques constats. Indépendamment des positions initiales ou toujours actuelles sur la question, l’évidence même est que cette question a aggravé profondément la situation d’un NPA déjà en position délicate sur les questions unitaires.
Il y a bien sûr l’aspect « coup de force » et politique « du fait accompli » qui a permis à un seul comité d’imposer à l’ensemble du parti une orientation. Il y a eu ensuite les conséquences immédiates. Pendant une campagne déjà fort courte, le NPA est devenu absolument inaudible sur ses propositions politiques, uniquement ramené au parti qui présente une femme voilée.
De toute évidence, cette question a joué un rôle important dans la marginalisation électorale et donc politique du NPA. Pire encore, elle a suscité incompréhension, et souvent rupture, de militants du mouvement social avec lesquels nous avions l’habitude de travailler de longue date. Cerise sur le gâteau, cette opération s’est traduite par des départs significatifs, notamment de militantes qui y ont vu la négation d’années de combats féministes.
Dans ce moment de crise, la direction, pour l’essentiel, a fait le choix de minimiser contre toutes les évidences la portée de ce fait. Pour des raisons démocratiques, pour des raisons politiques, il aurait fallu dénoncer cette situation dont les conséquences étaient éminemment prévisibles et d’ailleurs prévues. Evidemment cela supposait aussi de condamner l’imprimatur donnée à cette décision par le porte parole de l’organisation dans la presse quotidienne qui accréditait l’idée qui s’agissait d’un choix délibéré de l’ensemble du parti.
Plus généralement, la question du féminisme a été secondarisée. D’une part, il n’y eut pas, au moment de la fondation du NPA, d’arrivée d’un courant de féministes radicales qui auraient contribué à donner une forte visibilité à cette question. D’autre part nous sommes plus généralement perméables aux évolutions de la société, et la légitimité affaiblie des préoccupations féministes se traduit par une faible prise en charge collective de ces questions dans l’organisation. Nous aurions toutefois pu être plus vigilant-e-s. Des faits anecdotiques sont parfois révélateurs de régressions profondes. Et une confusion théorique de type postmoderne s’est imposée subrepticement, transcrivant les mécanismes de l’ancien ouvriérisme sur les « jeunes des banlieues », nouveaux sujets révolutionnaires essentialisés et idéalisés, ou dénonçant l’instrumentalisation raciste du féminisme, comme s’il était devenu impossible d’être à la fois féministes et antiracistes. Au demeurant on peut s’interroger sur le succès qu’aurait un positionnement inverse, qualifiant l’antiracisme d’instrument de la domination patriarcale...
La difficulté à tirer toutes les conclusions politiques de la crise climatique et des enjeux éco-socialistes est un autre symptôme d’un parti qui tarde à s’émanciper des références productivistes du mouvement révolutionnaire du XX° siècle. Les revendications sur les questions écologistes sont souvent au mieux vécues comme une plus-value utile à notre combat anticapitaliste au pire comme une réfraction bobo qui vient obscurcir notre discours social. Mais rarement, la compréhension du nécessaire développement d’un discours éco-socialiste, c’est à dire de propositions où les dimension sociales et écologistes sont intimement liées, s’est imposée. Si le slogan « écologistes donc anticapitalistes » est largement partagé, l’inverse souffre beaucoup d’exceptions. En réalité, la hiérarchie des préoccupations avec au sommet les seules questions sociales, quant elles ne sont pas réduites aux seules luttes de l’entreprise, révèle une régression politique. Celle d’un marxisme que les critiques de gauche du mouvement ouvrier des années 30 auraient appelé un économisme vulgaire.
Ces éléments, ces désaccords étaient largement sur la table au plus tard après les élections régionales. Dans la foulée, l’appel dit des 38 paru au printemps a eu un certain écho et soulevé une attente. Pourtant, au final, nous avons quand même poursuivi la P1.
Nous aurions dû poursuivre ouvertement le débat dans l’ensemble de l’organisation. Cela aurait abouti ou non à un accord, mais l’erreur était de taire les désaccords. Pourtant, même si notre engouement respectif fut très inégal, nous assumons cet accord au congrès. Pas sur le fond d’un texte très faible dont la seule raison d’être était ni P2, ni P3 mais pour deux raisons principales.
La première, c’est que nous demeurons convaincus que dans l’articulation recomposition/reconstruction le curseur doit être clairement du côté de la reconstruction. Cela n’empêche nullement des cadres d’alliances électoraux ou non, voire des blocs permanents avec certaines forces. La construction du parti, c’est tout autre chose. De ce point de vue, bien des éléments du texte P3 au congrès sont apparus peu clairs pour ne pas dire très ambigus. Laisser croire que le NPA était l’unique responsable de l’absence d’unité dans la période précédente avait bien sûr une vertu électorale interne, le problème c’est que bien des militants l’ont pris pour argent comptant. Incontestablement, cela a nourri des illusions sur la nature profonde du Front de Gauche. Encore aujourd’hui, des camarades pensent de bonne foi que le jeu est encore ouvert pour les législatives, alors même qu’un accord laborieux a été conclu entre les différentes parties du Front de Gauche et que le seul espace qui nous reste est le ralliement.
Sans doute, ce texte de congrès était un compromis avec des camarades de C et A qui avaient d’ores et déjà fait le choix de rejoindre le Front de Gauche et de mener la campagne de Jean-Luc Mélenchon, mais il y avait bien là un vrai désaccord entre nous.
La seconde raison, plus substantielle encore, c’est que la P1 était calibrée pour être le centre de gravité d’une troisième campagne Besancenot. De notre point de vue, pour rebondir et relancer le NPA, il fallait réunir un minimum d’audience électorale et c’est pour cela que nous souhaitions la candidature d’Olivier. On connait la suite, pas de majorité au congrès et pas de candidature Besancenot non plus, même s’il aurait fallu imposer une décision plus précoce à Olivier. La P1 n’avait plus lieu d’être et chacun s’est tourné vers où il penchait. En particulier, il n’y avait plus lieu de subir le quasi droit de veto qu’Olivier et quelques camarades autour de lui ont utilisé tout au long de ces années. Pourtant la question de la campagne était décisive pour nous. S’il est parfois possible de ne rien faire d’un score aux élections, en revanche, nous savons d’expérience qu’on ne construit rien sur la base d’un désastre....
Le NPA a alterné deux type d’erreurs dans sa courte expérience : arrogant pour ne pas dire suffisant quand nous étions forts, replié et frileux depuis qu’il est sur la défensive. Dans les deux cas se dessinent les contours d’une politique qui n’arrive pas à se confronter au monde tel qu’il est. Certes il n’y aura pas d’avancée significative de notre projet sans une nécessaire auto-activité des masses. Mais d’où vient cette impression que le mouvement de masse est convoqué pour s’affranchir de la confrontation politique. La peur de tout, des dérives opportunistes, d’avoir des élus fait office de boussole. Un trouillomètre exacerbé n’est sans doute pas le meilleur moyen d’avoir une politique audacieuse. Pour le dire nettement, nul besoin de déclarer à tout bout de champ qu’on veut affronter les pires tempêtes sociales quand on est incapable de larguer les amarres.
Les ratés du fonctionnement
Au-delà de l’orientation politique, stricto sensu, il faut constater un autre échec patent du NPA, celui de sa forme organisationnelle. Il n’y a sans doute pas de recettes miracles sur cette question. L’articulation entre la volonté de construire un outil militant, démocratique, qui soit capable de croiser une multiplicité d’expériences et des niveaux d’engagements inégaux est une gageure, mais le constat de nos dysfonctionnements est multiple.
Le plus évident est la forme qu’a pris le débat de tendances dans l’organisation. Sans caricaturer beaucoup, on peut considérer que le congrès a escamoté l’essentiel des débats politiques et que ces débats ont eu lieu dans le cadre de la CN, sans que les textes soumis au vote ne les explicitent. Difficile de faire plus dépolitisant et le fonctionnement de la P1 porte une lourde responsabilité dans cette situation. Une fois trouvé le laborieux et insatisfaisant compromis entre membres du CE de la P1, plus grand chose ne pouvait bouger. Non seulement, cela empêchait une véritable politique vis à vis des autres courants du parti, mais même les membres du CPN P1 n’avaient rien à dire.
Plus profondément, c’est notre incapacité à concevoir une autre forme de parti qu’un succédané d’organisation d’extrême-gauche qui est en cause. Peu ou prou, nous avons tenté de construire un parti plus large, avec moins d’homogénéité politique, moins de références communes, tout en gardant le fonctionnement d’une LCR à peine modifiée. Pour reprendre la célèbre formule du Guépard de Visconti, « Il faut que tout change pour que rien ne change ». La manière, dont à la hussarde, nous avons imposé un système de presse identique à celui de la LCR sans prendre le temps du débat qui seul aurait permis que l’organisation se l’approprie est un premier exemple. On pourrait aussi mentionner la CILT, calquée sur l’ancienne CNO de la LCR et « élargie » à des camarades dont le cadre conceptuel organisationnel ne dépasse guère le Que faire de Lénine (1902).
Nous payons sans doute aussi d’avoir été avec la LCR la seule force politique nationale dans le lancement du NPA.
Nous avons pensé – nous pensons toujours – qu’il était juste de passer outre et de « faire » quand même, « par en bas ». A la fois parce que, après les présidentielles de 2007, la Ligue « avait la main » et parce que son projet de force politique nouvelle et/ou de nouvelle représentation politique risquait d’être décrédibilisé si jamais aucun effort n’était fait pour le
mettre en œuvre. Et, de fait, outre la présence d’un nombre substantiel de camarades ayant un passé militant – soit politique, soit syndical ou associatif –, la vraie promesse de la fondation du NPA a été d’impliquer une majorité de militant(e)s dont le NPA était la première affiliation partidaire. Caractéristique qui recoupe largement la dimension jeune et « plus
populaire que la LCR » des adhésions. Mais autant passer outre l’absence d’élargissement à d’autres courants pouvait être considéré comme un choix judicieux, autant transformer ce manque en vertu ne pouvait qu’amener à des errances.
Nous avons été les militants de l’auto-effacement de la LCR, ce qui était selon nous une condition pour mener à bien un processus sans partenaire. C’était aussi la seule manière d’éviter de reproduire les fonctionnements qui n’allaient déjà plus à une organisation fortement renouvelée de 3000 membres.
Mais avec l’affaiblissement et les échecs répétés, et le renforcement des différentes sectes partie prenante du processus, qui ont en commun leur hostilité au courant qui a pris l’initiative du lancement du NPA, c’est l’héritage même de ce courant marxiste ouvert issu de 68 qui s’est trouvé mis en difficulté, morcelé, car il avait fait le choix de ne pas se structurer ni d’imposer son point de vue. Cela ne signifie pas que nous n’aurions pas dû tenter l’auto-effacement, mais dans l’échec, il a précipité la dépolitisation.
Et maintenant...
Le bloc de direction qui s’est brisé lors de la CN était en place depuis la fin des années 90. Il y a une certaine logique que l’explosion ait eu lieu sur les questions unitaires car on peut considérer que nous sommes allés au bout de nos désaccords sur cette question. Ces derniers, qu’ils aient été connus de tous (à la LCR puis au NPA) ou soient restés confinés au sein de la direction, ont sans cesse resurgi depuis 2005 : des débats post TCE, aux collectifs unitaires de 2006, de la question des régionales de 2010 jusqu’à la conférence nationale du mois de juin.
En réalité cette question traduit une opposition plus fondamentale qui a été exacerbée par le succès initial du NPA. Un parti qui pèse sur le champ politique, suscite attentes et espoirs auxquels il faut répondre sous peine d’être ramené à une petite organisation sympathique... ou non. Pour réussir, cela suppose de rompre avec la conception des organisations d’extrême gauche issue de l’après 68, non en paroles, mais en actes.
Après les régionales, nous écrivions : "Le projet de fondation du NPA est à défendre et doit être poursuivi. C’est un premier débat absolument nécessaire. Le rassemblement des anticapitalistes, des écologistes radicaux, de militants du mouvement social syndical associatif, visant à construire une nouvelle force portant un projet de rupture avec le système et dans le but d’un socialisme débarrassé des impasses, impostures et crimes commis en son nom au XX° siècle, représente un objectif stratégique. L’écologie étant en ce sens non pas une question périphérique de plus mais le cœur même d’un projet socialiste réactualisé.
Notre projet repose sur des tendances lourdes : une crise aux multiples facettes d’un système capitaliste désormais mondialisé ; un effondrement du « socialisme réel » et le basculement vers un nouveau monde après la chute du mur de Berlin marqué par exemple par le retour des « guerres chaudes », les mutations d’un mouvement ouvrier qui, dans ses branches syndicales comme politiques, subit sur la longue durée un mouvement d’adaptation au capitalisme et aux politiques libérales. La nouvelle époque, dont il faut d’ailleurs constamment renouveler le travail d’analyse et de décryptage, implique une redéfinition du programme, de la stratégie et sans doute du type de parti à construire. En aucun cas, le bégaiement des modèles révolutionnaires du XIXe et du XX° siècle qui aujourd’hui ne sont plus opératoires. Un processus de transformation révolutionnaire d’une société capitaliste comme la société française ne ressemblera pas à la révolution russe mais sans doute pas non plus à un mai 68 qui irait « jusqu’au bout ».
Au moment où beaucoup s’interrogent sur le sens de leur engagement, le rappel de ces fondamentaux qui fixent un cap au NPA sans présager du moment où il sera atteint ne nous semble pas inutiles. Et pour nous, il n’y a pas d’équivoque possible : nous nous ne sommes pas trompés de projet. »
De tout cela, nous ne retirons pas un mot. De même, nous continuons à partager la conclusion de ce texte : « Entre le ralliement opportuniste au Front de gauche et l’éloge mortifère de la solitude, la voie peut apparaître étroite, mais si nous l’empruntons ensemble et avec détermination nous l’élargirons. »
La situation est désormais dégradée, et nos marges de manœuvres se sont rétrécies, il faut en prendre acte. Mais la gravité de la situation politique exige une direction claire. Il ne s’agit pas simplement de développer une orientation pour sortir de notre crise, il nous faut une politique pour être utile à celles et ceux qui souffrent dans ce pays.
Le champ politique tel qu’il sortira de la séquence électorale présidentielle/législatives est encore hautement aléatoire mais nous avons un positionnement à avoir et des tâches dans la période.
D’abord nous voulons la défaite de Sarkozy. Dans la rue bien sûr, si c’est possible, mais dans les urnes aussi et là on sait que les dates sont déjà fixées. Une politique agnostique sur cette question ou faisant mine de ne pas être concernée est l’assurance d’être balayée. Si l’élection est encore lointaine, les éléments à cette automne sont évidents, surtout après le succès des primaires socialistes.
Ensuite, et sans même attendre le résultat des élections, il nous faut commencer à regrouper les forces disponibles pour construire un bloc de gauche indépendant du PS. Il ne s’agit pas de se raconter d’histoires, à cette étape, ces forces sont extrêmement réduites. Cependant, sans tarder, nous devons nous adresser à celles et ceux qui ne se retrouvent pas dans la campagne de Jean-Luc Mélenchon pour poser les premiers jalons d’un rassemblement politique. Celui-ci doit essayer de trouver une première traduction politique dans le cadre des élections législatives de 2012.
Evidemment le vrai rendez-vous est après les élections de 2012. Une séparation s’opérera entre ceux qui iront ou soutiendront un gouvernement socialiste et les autres. Il est inutile de s’engager sur le terrain des pronostics - en général faux- pour savoir ce que nous devrons faire. Tenter de regrouper, de formaliser un bloc indépendant du PS pour affronter les inévitables remous sociaux à venir, telle devra être notre politique.
Une politique qui devra se développer sans exclusive vis à vis de forces politiques mais aussi envers les associations et les militants du mouvement social.
Ce ne sera pas facile, mais la situation économique et social, les plans d’austérité à venir qui ressemblent de plus en plus à des plans d’ajustements structurels exigent une réponse claire et une volonté politique de rassemblement.
Frédéric Borras, Pierre François Grond, Ingrid Hayes, Anne Leclerc, Guillaume Liégard, Myriam Martin, Coralie Wawrzyniak