Du Caire,
En décembre 2006, les 24 000 ouvriers de l’usine textile d’Al-Mahalla se mettaient en grève, renouant avec une longue tradition de lutte. Cette grève victorieuse, avec occupation, a provoqué des mouvements en cascade dans les autres usines du textile, ainsi que dans d’autres secteurs. Les travailleurs déjà en lutte ces dernières années, comme les conducteurs de train, se sont sentis soutenus dans leurs revendications. Ceux du privé (secteurs de la brique, de la céramique, du ciment, etc.) se sont lancés dans des sit-in pour revendiquer des primes et augmentations de salaires. Les précaires (conducteurs de microbus, entre autres) ne sont pas restés inactifs. Tout comme les 55 000 employés des impôts fonciers, partis en grève en octobre dernier et ayant obtenu gain de cause.
Cette nouvelle victoire a fait sauter le pas à des secteurs qui n’étaient pourtant pas des plus combatifs. Les professeurs d’université organisèrent, le 23 mars, une grève générale. Les médecins menacèrent de faire de même, reculant finalement du fait des tergiversations des Frères musulmans, très implantés dans les professions libérales. Dans un pays où les luttes se menaient auparavant usine par usine, où le principal syndicat peut légitimement être considéré comme une antenne du Parti national démocrate (PND, au pouvoir), cette coordination embryonnaire constitue une avancée d’importance.
Ce regain de luttes intervient dans un contexte économique dramatique. La politique libérale du gouvernement a aggravé les dysfonctionnements du système. L’inflation se mesure hebdomadairement et touche tous les produits de base (pâtes, huile, lait, sucre, œufs), 45 % de la population survivant avec moins de 1,5 euro par jour.
La crise du pain agit comme un révélateur. Subventionnée à hauteur de près d’un milliard d’euros par an (soit 60 % des subventions aux produits alimentaires de base), la production du pain est un secteur où la corruption bat son plein, les propriétaires des boulangeries revendant leurs quotas de farine subventionnée. La stagnation des subventions (alors que la population a augmenté et que les classes moyennes, appauvries, sont obligées de se rabattre sur le pain subventionné) et l’augmentation mondiale des prix du blé (l’Égypte importe annuellement près de 50 % de sa consommation) expliquent les bousculades devant les boulangeries. Ces dernières ont provoqué, ces deux derniers mois, la mort de près de vingt personnes.
Tous les regards étaient donc tournés sur l’usine d’Al-Mahalla, où des initiatives étaient organisées contre la hausse des prix et où une nouvelle grève était prévue le 6 avril, pour les primes. D’autant que, pour le même jour (et non sans forcer le mouvement), de jeunes activistes avaient lancé, sur Facebook, un mot d’ordre de « grève générale », prenant pour slogan : « Restez chez vous. » Ce mot d’ordre n’a pas été suivi par les salariés, mais a connu un certain succès sur Internet.
Le jour dit, à Al-Mahalla, un gigantesque déploiement policier encercla la ville. Si elle empêcha la grève, l’intimidation aura provoqué une émeute généralisée. Trains et voiture brûlèrent et les pavés volèrent. Très dure, la répression aura coûté la vie à deux passants (15 et 20 ans), on relèvera des dizaines de blessés graves et des centaines de personnes furent arrêtées. Cela n’a pas empêché un nouvel appel à grève générale pour le 4 mai, comme « cadeau d’anniversaire » à Hosni Moubarak, qui aura alors 80 ans… dont 29 comme président.
À Al-Mahalla, si le gouvernement a déboursé un mois de salaire en prime (et 15 jours dans les autres usines textiles, dont certaines se sont mises en grève pour exiger l’égalité), la ville reste sous le choc de la répression. Les familles des détenus font le siège des postes de police où leurs enfants sont enfermés. Le mouvement social est, lui, dans l’attente, craignant que cette vague de répression ne fasse avorter sa fragile renaissance. La solidarité internationale est déterminante.