Le ministère de la Santé a annoncé, ce vendredi 30 décembre , des restrictions aux frontières pour les voyageurs en provenance de Chine. Le résultat négatif d’un test de moins de 48 heures sera exigé des voyageurs et le masque rendu obligatoire dans les avions en provenance de Chine, dès la parution d’un décret de la Première ministre. À partir du 1er janvier, des tests itératifs seront également réalisés à l’arrivée sur des voyageurs. S’ils sont positifs, ils seront séquencés pour déterminer le variant en cause, « à des fins de surveillance épidémiologique ».
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La Chine est en train de faire la preuve, dans une tragique expérience en vie réelle, de l’impasse de la stratégie zéro Covid depuis l’émergence du variant Omicron, hyper-transmissible. Depuis trois ans, le pays de 1,4 milliard de personnes a imposé à sa population des privations de liberté sans précédent dans l’histoire moderne, se targuant de sauver ainsi des vies humaines.
Confrontées à l’exaspération d’une population soumise à des confinements à répétition, des isolements forcés, un dépistage massif et un traçage numérique, les autorités ont brutalement mis un terme à la politique zéro Covid, début décembre.
La politique de dépistage à grande échelle, qui servait d’outil de contrôle du virus et de la population, a pris fin. Les Chinois sont désormais invités à se confiner volontairement en cas de symptômes, ce qui n’est plus suffisant pour freiner le virus, puisqu’un grand nombre de personnes infectées ne présentent pas de symptômes et peuvent transmettre avant qu’ils se manifestent.
L’opacité chinoise
Officiellement, au 6 décembre, la Chine n’avait enregistré que 350 000 cas de Covid et 5 235 morts. Depuis, plus rien ne filtre, comme aux premiers temps de la pandémie début 2020. Avec beaucoup de diplomatie, Tedros Adhanom Ghebreyesus, le directeur général de l’Organisation mondiale (OMS) de la santé, l’a regretté lors d’une conférence de presse le 21 décembre : « Nous demandons à la Chine de partager leurs données […]. Nous avons besoin d’informations détaillées sur la sévérité de la maladie, les admissions à l’hôpital et en unités de soins intensifs. » Autrement dit, toutes ces informations manquent à l’OMS.
Comme le montrent les sites qui compilent les données internationales sur le Covid, la Chine n’en transmet plus aucune.
Seulement, ces informations officielles sont en complète contradiction avec les images qui circulent sur les réseaux sociaux d’hôpitaux débordés, où des patients âgés en détresse respiratoire engorgent les couloirs, installés à même le sol. Des images de morgues encombrées de dépouilles fuitent également. La télévision centrale ne cache pas cependant l’afflux dans les hôpitaux, comme dans ce reportage réalisé mardi à l’hôpital Xiehe de Pékin.
À rebours du reste du monde
La politique zéro Covid a un temps fonctionné dans des pays insulaires démocratiques – la Nouvelle-Zélande, le Japon ou la Corée du Sud – et dans la dictature chinoise. Mais toutes les démocraties ont mis fin à cette politique, début 2022, avec l’apparition du variant Omicron.
Le variant historique était contrôlable avec des mesures barrières et une stricte politique de test, de traçage et d’isolement, car son taux de reproduction R0 était évalué à 2,5 : une personne contaminait en moyenne 2,5 personnes. « On pense que les premiers sous-variants d’Omicron étaient associés à des R0 de l’ordre de 8 à 10, et certains ont évoqué des valeurs de 16, 18 ou même 20 pour les sous-variants d’Omicron circulant actuellement en Chine », explique Antoine Flahault. Omicron est l’un des virus le plus transmissibles au monde, incontrôlable.
À l’exception de la Chine, tous les pays développés, qui ont une population vieillissante très sensible au virus, ont adopté sensiblement la même politique : une large couverture vaccinale initiale, des rappels pour les plus fragiles, et une immunité entretenue naturellement par un virus dont la circulation reste sous contrôle, avec l’aide de mesures barrières plus ou moins appliquées.
Cet équilibre est précaire, oscillant entre l’impératif de santé publique de protéger la population la plus fragile, notamment celle ne répondant pas à la vaccination, et l’aspiration légitime à un retour progressif à une vie normale, sans privations de liberté. La situation est loin d’être parfaite, comme en France, où la population rechigne à réadopter volontairement les gestes barrières lors des pics épidémiques.
Mais le prix de l’irrationalité face au virus revient sans conteste aux Chinois, dont les autorités ont fait des choix à rebours du reste du monde. « Les résultats sanitaires étaient au rendez-vous jusqu’à la fin de l’été dernier, rappellel’épidémiologiste Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale de l’université de Genève. La confiance de la population s’est érodée lorsque la stratégie s’est avérée incapable d’endiguer les poussées incessantes des sous-variants très transmissibles d’Omicron à partir de l’automne. De plus en plus de gens étaient mis en quarantaine, les mesures devenaient brutales et liberticides. Les réseaux sociaux laissaient alors percer la colère mais aussi l’épuisement de la population. Puis il y a eu en novembre les débordements de rue que l’on a vus, et le sentiment d’un gouvernement qui ne tenait plus la barre, dépassé par une situation épidémique et sociale devenue explosive. »
Une couverture vaccinale large, mais incomplète et trop ancienne
Obnubilée par sa politique zéro Covid, qui a mobilisé toutes ses forces sanitaires et policières, la Chine a dans le même temps négligé sa couverture vaccinale. Les vaccins Sinovac et Sinopharm ne sont pas inefficaces, comme l’explique Antoine Flahault : « Les deux vaccins utilisés en Chine ont été très largement utilisés dans le monde. Même si on ne dispose pas de la même qualité d’évaluation de leur efficacité que les vaccins occidentaux, une équipe de l’université de Hong Kong a procédé l’an dernier à leur comparaison avec les vaccins à ARN messager. Il est apparu assez clairement qu’avec seulement deux doses vaccinales les vaccins chinois étaient inférieurs aux vaccins occidentaux ; en revanche, avec trois doses de vaccins chinois, leur efficacité était comparable. »
Or si la Chine revendique une couverture vaccinale de sa population à 90 %, c’est seulement avec deux doses de vaccins chinois. Seulement 57 % de la population a reçu les trois doses assurant une protection optimale.
Et même lorsqu’ils ont reçu une troisième dose, celle-ci a « plus d’un an », a rappelé le 21 décembre le docteur Michael Ryan, l’un des directeurs de l’OMS. Aujourd’hui, ces doses ne protégeraient qu’à « 50 % ou moins les plus de 60 ans. Ce n’est pas une protection adéquate pour une population âgée aussi importante que celle de la Chine ».
Selon Antoine Flahault, « le problème que rencontrent les cultures chinoises, tant à Taïwan, à Hong Kong ou en Chine continentale, est en effet la faible vaccination des personnes âgées. Elles sont réticentes à se faire vacciner, préférant recourir aux médecines traditionnelles, craignant les effets indésirables des vaccins. Le problème est accentué avec les vaccins chinois vis-à-vis desquels elles n’ont pas confiance. Le faible recours à la médecine ambulatoire en Chine et la faible proportion de personnes âgées institutionnalisées (en équivalent Ehpad) n’aident pas non plus à les atteindre pour leur proposer la vaccination ».
Mi-décembre, trois chercheurs hongkongais ont pré-publié des modèles épidémiologiques de sortie de la politique zéro Covid en Chine, qui servent aujourd’hui de repère à la communauté scientifique. P our limiter le nombre de morts, ils recommandent une 4e dose de vaccin administrée à au moins 85 % de la population, trente à soixante jours avant une réouverture, des antiviraux distribués largement, en particulier le nirmatrelvir-ritonavir, les molécules du Paxlovid du Pfizer, fabriquées par l’industrie chinoise, et des mesures de santé publique modérées. La Chine n’a pas suivi ces recommandations et a finalement ouvert de manière précipitée.
Ce n’est que ce mardi 27 décembre que les autorités chinoises ont appelé « fortement à une augmentation des vaccinations pour les personnes âgées afin de prévenir et de réduire l’incidence des maladies graves et des décès ». Elles ont aussi assuré que les vaccins étaient disponibles. L’OMS estime de son côté que le recours à la vaccination augmente très fortement en Chine actuellement. « La question reste de savoir si ces vaccinations seront suffisantes pour l’impact de cette vague », selon l’OMS.
Quelle est la mortalité attendue en Chine ?
Les chercheurs hongkongais ont tenté de modéliser la mortalité attendue selon plusieurs scénarios. Le premier prévoit une large vaccination, des antiviraux administrés à 60 % des personnes âgées infectées et des mesures de santé publique graduées (du port du masque généralisé à la fermeture des écoles et des restaurants) maintenues. Dans le pire des scénarios – sans vaccins, traitements et mesures barrières –, les chercheurs prévoient une submersion du système de santé, jusqu’à trois à quatre fois ses capacités, et une mortalité cumulée jusqu’à 770 morts par million d’habitants. Rapportée à la population de 1,4 milliard d’habitants, la mortalité serait, dans ce scénario du pire, de plus de 1 million de morts. Les chercheurs estiment que les mesures qu’ils préconisent pourraient réduire la mortalité de 26 à 35 %.
Pour l’épidémiologiste Antoine Flahault, ces projections sont encore trop optimistes : « Ces projections basées sur la transposition à la Chine de la mortalité observée à Hong Kong en mars dernier sont probablement “optimistes” si l’on peut dire. Les États-Unis ont enregistré plus d’un million de morts avec une population de seulement 337 millions d’habitants. La Chine avec une population de 1,4 milliard d’habitants pourrait malheureusement connaître des chiffres plus élevés que les projections basées sur le scénario de Hong Kong. D’une part parce que la population chinoise âgée est probablement encore moins triplement vaccinée que l’était celle de Hong Kong l’an dernier, d’autre part parce que le niveau de vie et les infrastructures sanitaires sont beaucoup plus développés à Hong Kong que dans la plupart des régions de la Chine. »
Quel risque fait peser cette flambée chinoise pour la santé mondiale ?
Le virus continue à circuler partout dans le monde, dans une population largement immunisée par la vaccination et les infections à répétition. Le variant Omicron, le plus transmissible à ce jour, s’est démultiplié en de multiples variants. Plus de cinq cents ont été dénombrés à ce jour. La crainte, comme à chaque flambée virale, est de voir émerger un nouveau variant plus dangereux et plus transmissible, qui supplanterait les autres.
Pour se protéger face à cette éventualité, plusieurs pays ont pris des initiatives dispersées. Les États-Unis viennent d’exiger un test négatif aux voyageurs chinois, comme le Japon et l’Inde. L’Italie, elle, a choisi de tester les voyageurs chinois à leur arrivée sur le territoire. Selon les autorités sanitaires, près de la moitié des passagers de deux vols originaires de Pékin à Shanghai étaient positifs au Covid ce mercredi. L’Italie séquence actuellement ces tests pour déterminer s’il existe de nouveaux variants en provenance de Chine.
Ce choix italien pourrait s’imposer en Europe. Le président de la République française vient de demander au gouvernement « des mesures adaptées de protection des Français ». Elles pourraient être décidées au niveau européen : une première réunion s’est tenue ce jour, sans qu’une position commune émerge pour l’instant.
Ce jeudi matin sur France Inter, la présidente du Comité de veille et d’anticipation des risques sanitaires (Covars), l’immunologue Brigitte Autran, a expliqué que « le dépistage aux frontières n’a jamais arrêté un virus. Ceci n’a pas d’intérêt si c’est décidé uniquement en France. Il faut que ce soit une décision européenne ». Elle a aussi expliqué que les différents conseils scientifiques européens échangeaient eux aussi et convergeaient sur « un test systématique de dépistage pour analyser le type de variants que portent les Chinois qui arrivent en France. C’est lourd, mais ce serait la seule justification d’un dépistage ».
Pour Antoine Flahault, « connaître avec une meilleure précision quels variants entrent sur le territoire et en quelle proportion est très important. Ces renseignements nous aideraient à mieux anticiper notre riposte ». Et la mesure ne serait pas compliquée à mettre en œuvre : « Il s’agirait juste de demander un peu de salive à tous les voyageurs en provenance de Chine et de séquencer systématiquement tous les virus identifiés. »
Un risque de pénurie de médicaments essentiels
Un risque plus certain semble se dessiner : une pénurie de médicaments, en raison d’un besoin massif de la population en Chine, qui reste l’un des premiers pays producteurs des substances actives, et qui pourrait se les réserver. Les craintes portent sur le paracétamol, mais aussi les produits de sédation administrés aux patients en réanimation, notamment les curares, qui ont manqué lors de la première vague de Covid.
Caroline Coq-Chodorge