Quelques semaines après son intronisation en grande pompe pour un troisième mandat à la tête du Parti communiste chinois (PCC), le numéro un Xi Jinping est confronté à un mouvement de colère provoqué par sa politique « zéro Covid ». Comment l’expliquer et quelles peuvent être les réactions du régime ? Entretien avec Zhang Lun, professeur d’études chinoises à Cergy-Paris-Université, membre du laboratoire Agora et chercheur associé de la Fondation Maison des sciences de l’homme (FMSH).
Mediapart : Comment peut-on expliquer cette vague de protestation ? Est-elle exceptionnelle ?
Zhang Lun : Pour moi, cette vague de protestation est normale. Ce qui me surprend, c’est qu’il n’y en ait pas eu autant avant, car, près de trois ans après le début de la pandémie, la population chinoise est sur le point de craquer.
Les gens ne supportent plus ces mesures de contrôle drastiques, inhumaines. Beaucoup n’ont plus assez de nourriture, ils ne peuvent pas travailler, ni mener une vie normale. C’est presque trois ans de prison. D’où ce sentiment de ras-le-bol, de révolte. C’est normal. Même si l’on sait que, à la fois culturellement et dans le cadre de ce régime autoritaire, les Chinois peuvent faire preuve de retenue et de sagesse, ils restent des êtres humains ayant des sentiments humains, comme tout le monde, et, à certains moments, arrive ce genre de phénomène.
Par ailleurs, le 11 novembre, le gouvernement avait adopté un plan en 20 points pour assouplir la politique « zéro Covid », mais, faute d’une campagne de vaccination efficace, les cas de contamination sont repartis à la hausse dans l’ensemble de la Chine et les autorités locales ont été forcées de confiner à nouveau. Ce qui aboutit à ce qu’on voit aujourd’hui, un sentiment de désespoir, surtout chez les plus jeunes, car l’espoir d’un relâchement des règles rigoureuses s’éloigne.
On est frappés également par la participation des étudiantes et des étudiants...
On se souvient de l’exaspération des étudiantes et des étudiants en France lors des confinements. En Chine, cela dure depuis près de trois ans et l’on peut imaginer leur état psychologique. Ils n’en peuvent plus. Ces étudiants ont plus accès à l’information de l’étranger. Ils voient que le monde est retourné à un mode de vie normal et ils ne comprennent pas sur quels arguments la Chine reste confinée, et ils rejettent la propagande du régime qui ne cesse d’affirmer que le virus est très dangereux. Ils voient bien que le reste du monde vit désormais avec le virus.
Enfin, l’une des explications de leur mobilisation est qu’ils sont très connectés entre eux et se mobilisent facilement grâce aux réseaux sociaux. Et ils vivent sur des campus où il est aussi facile de se retrouver pour manifester leur mécontentement.
De quelle manière Xi Jinping peut-il répondre à ces manifestations ?
C’est un défi direct à Xi Jinping. Certains slogans ont réclamé sa démission. On est arrivés à un tournant. Les autorités vont, comme dans le passé, manier la carotte et le bâton. D’un côté, elles vont réprimer certains meneurs, les manifestants les plus audacieux, tout en laissant faire certaines manifestations qu’elles peuvent tolérer.
Mais on a franchi un cap, car, jusqu’à présent, les critiques envers Xi Jinping restaient cantonnées aux réseaux sociaux, sous forme notamment de caricatures, souvent anonymes. Désormais, elles s’expriment dans l’espace public, c’est un moment important. Il faudra surveiller dans les prochains jours la manière dont les autorités arriveront à gérer la situation. Le risque est grand d’éventuels dérapages. Un énorme défi se présente au régime, le premier depuis le 20e Congrès du Parti communiste chinois.
François Bougon