Depuis le 20 juillet, la municipalité de Nankin a annoncé avoir enregistré en un peu plus d’une semaine un total de 220 cas de Covid-19 d’origine locale. Au niveau national, la chaîne de contamination ne cesse de s’étendre.
Face aux attaques du variant Delta, la ligne de défense de notre pays est rompue par endroits. Dans le même temps, le taux de vaccination en Chine grimpe : au 2 août, il atteignait 60 % pour une couverture complète, avec 1,68 milliard de doses administrées dans tout le pays [sur près de 1,4 milliard d’habitants].
Comment va évoluer l’épidémie au niveau mondial ? Comment la Chine doit-elle y faire face de nouveau ? Feng Zijian, chercheur au Centre chinois de contrôle et de prévention des maladies, a bien voulu répondre pour nous à ces questions en exclusivité.
Selon vous, quelles sont les failles qui se cachent derrière cette flambée épidémique et les mises en garde que l’on doit en tirer ?
Le coronavirus est très contagieux. Après avoir remporté la bataille contre l’épidémie à Wuhan l’an dernier, la Chine a recensé une trentaine de foyers épidémiques dus à des importations de l’étranger, aux modes de transmission très divers.
Leur apparition, malgré les mesures très strictes adoptées visant à “empêcher toute importation du virus et rebond épidémique sur le sol national”, montre toute la difficulté de se protéger contre ce virus qui s’immisce partout. En effet, une société n’est pas un instrument de précision aux maillons parfaitement imbriqués.
Cette fois-ci, la transmission s’est faite par le biais d’agents de l’aéroport chargés de nettoyer l’avion d’une compagnie étrangère, infectés par le virus laissé sur des objets dans la cabine par un voyageur étranger contaminé, et qui n’ont pas été détectés à temps. Il nous faut donc réfléchir à des solutions pour améliorer encore les mesures de prévention sanitaire au quotidien chez le personnel travaillant à des postes-frontières, tels que les agents de nettoyage.
Par ailleurs, avec la poursuite de la pandémie de Covid, l’ensemble de la planète se trouve confronté à un problème commun, celui de la lassitude face à l’épidémie. Si des mesures strictes sont faciles à appliquer sur une courte période, il n’en est pas de même sur le long terme : la société et les individus ont tendance à relâcher leurs comportements en supportant de moins en moins bien certaines contraintes, comme le port du masque ou la prise de température. De plus, l’épidémie pose des problèmes croissants en matière de moyens de subsistance dans de nombreux pays ou régions. Il s’agit d’un énorme défi ; nous devons donc tout faire pour le surmonter, mais il nous faut aussi, dans une certaine mesure, le comprendre et l’accepter.
Vous parlez de “lassitude face à la pandémie”. Récemment, Singapour et le Royaume-Uni ont modifié leur stratégie de lutte contre l’épidémie, avec une levée des mesures de quarantaine au Royaume-Uni et l’annonce par Singapour de son intention de ne plus se focaliser sur la détection mais de s’intéresser surtout aux cas graves. Que pensez-vous de tels ajustements et de leurs effets sur la pandémie ?
Tout cela découle bien sûr du sentiment de lassitude face à la pandémie, mais c’est surtout lié à la généralisation de la vaccination. Dans les pays qui la pratiquent depuis longtemps et qui possèdent une couverture vaccinale élevée, on observe clairement toute son importance en matière de transmission de la maladie, puisqu’elle permet de diminuer de manière significative les formes les plus graves du Covid-19, ainsi que les taux d’hospitalisation, de mortalité et de létalité. Bien qu’on assiste à un rebond du taux d’incidence, il faut relativiser : l’ampleur de l’épidémie ne devrait pas faire peser une charge trop importante sur le système sanitaire des pays à forte couverture vaccinale, ni aboutir à une surcharge de leurs hôpitaux, d’où cet ajustement de stratégie de leur part.
Alors que notre couverture vaccinale ne cesse d’augmenter, nous subissons les attaques du variant Delta. Pensez-vous que la stratégie chinoise consistant à “empêcher toute importation du virus et rebond épidémique sur le sol national” pourrait être revue également ?
Tant que nous ne serons pas parvenus à un niveau élevé d’immunité collective, nous maintiendrons les mesures de prévention actuelles, qui sont très efficaces. Mais il arrivera bien un moment où il faudra prendre la décision de revoir certains éléments de notre stratégie, en particulier le nombre de personnes autorisées à entrer sur notre territoire ou à en sortir, ainsi que les conditions d’isolement et de tests PCR des nouveaux arrivants. Après l’apparition de foyers de contamination sur le sol chinois, on peut se demander s’il convient de conserver des mesures de contrôle sanitaire aussi drastiques, en particulier les campagnes de dépistage massif et ces confinements sévères de quartiers ou de villes entières.
Il faut avant tout que notre système de santé se tienne prêt, car, après l’assouplissement des mesures, le coronavirus pourrait encore réapparaître, soit sous forme de pics saisonniers, soit en étant présent toute l’année. Le modèle d’organisation sanitaire qui prévaut en Chine est dominé par les grands centres hospitaliers où se concentre l’offre de soins, avec une redondance des services très limitée. Une augmentation, même petite, du nombre de malades pourrait faire peser une pression importante sur les hôpitaux, et la grande question qui se pose, c’est de savoir si, dans ces circonstances, nous disposerions d’un système d’orientation des malades suffisamment performants pour soulager ces établissements [en 2009, le Conseil d’État chinois a proposé que les centres de santé communautaires traitent les maladies mineures, l’hôpital étant réservé aux cas les plus graves].
Le Covid-19 risque-t-il de devenir aussi fréquent que la grippe, comme on le dit ?
Si c’était le cas, au début, cela pourrait être à un niveau assez élevé. En fait, tout dépendra de nos taux de vaccination et d’injection de rappel reçus. Si tout le monde accepte de subir une dose de base, puis un rappel, on atteindra une immunité de plus de 90 %, et le niveau de contamination devrait rester très bas. Cependant, pour atteindre un tel objectif, il faudra un temps extrêmement long, peut-être jusqu’à la fin de l’année prochaine, mais sans certitude ; et il est possible qu’on n’y arrive jamais, car certaines personnes ne veulent pas se faire vacciner ou ne peuvent pas l’être pour différentes raisons. Par conséquent, il faudra sans doute accepter la prévalence de la maladie dans une certaine mesure. L’ensemble de la société pourrait subir quelques tensions, et les établissements de soins être sous pression du fait de l’afflux de malades. Aussi, la seconde chose que nous devons faire, c’est nous préparer au niveau de toute la société à passer d’une stratégie zéro Covid et de tolérance zéro à un certain niveau d’acceptation de la maladie.
Au niveau mondial, quelle forme doit prendre le contrôle de l’épidémie pour que cela constitue un véritable tournant permettant un retour du monde à un état d’ouverture mutuelle ?
J’estime que, pour l’instant, la propagation du virus reste extrêmement forte à l’échelle planétaire. L’évolution de la pandémie va dépendre de trois facteurs majeurs : premièrement, le rythme de vaccination, car si les vaccins font déjà sentir leurs effets, c’est surtout dans les pays développés, tandis que la proportion de personnes vaccinées reste très faible dans la plupart des autres pays. Il faut donc que la couverture vaccinale soit élevée dans tous les pays du monde pour arriver à une immunité collective au niveau de la planète.
Le deuxième facteur concerne la mutation du virus susceptible de nuire à l’efficacité de la protection vaccinale, en conférant au variant un profil d’évasion immunitaire, en modifiant la transmissibilité et la contagiosité du virus ou en changeant sa pathogénicité et sa virulence. Cependant, la probabilité qu’un vaccin soit totalement inefficace face à ces variants reste faible à l’heure actuelle, mais il pourrait s’avérer moins protecteur, facilitant la propagation du virus.
Enfin, il reste à savoir combien de temps il est possible de maintenir les mesures sanitaires mises en place dans les différents pays pour lutter contre la pandémie ; celles-ci sont de plus en plus remises en question et traduisent un sentiment de lassitude face à l’épidémie. L’Inde en est un exemple frappant : en plus de la propagation du variant Delta, il y a aussi le fait que la société n’en peut plus de toutes ces contraintes. Selon moi, il s’agit des trois facteurs les plus déterminants appelés à jouer un rôle lors de la deuxième mi-temps de la pandémie de Covid-19.
Du Wei
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