Depuis septembre, l’Iran bombarde des camps du PDKI, parti d’opposition réfugié dans le Nord irakien, qu’il accuse de fournir des armes aux contestataires.
Ce sont des dizaines de sacs de vêtements, de casseroles et quelques bidons d’eau que Karim Kayffe charge précipitamment dans son pick-up blanc. Ce combattant kurde de 68 ans récupère les affaires de sa famille. Il quitte le camp Azadi à Koya, dans le Kurdistan irakien, bombardé à plusieurs reprises par Téhéran.
L’Iran est tout proche, derrière les montagnes jaunies par le soleil qui dessinent l’horizon. La vie ici a basculé le 28 septembre à 10 h 20. C’était la première attaque, mais aussi la plus violente.
Les Gardiens de la révolution, corps armé à la solde du Guide suprême, ont lancé une salve de missiles et de drones suicides contre ce camp du Parti démocratique du Kurdistan d’Iran (PDKI).
Le régime les accuse d’envoyer des armes par-delà les montagnes aux protestataires du mouvement né après la mort en détention de Mahsa Amini, très suivie dans la région kurde iranienne, où la répression est la plus violente. Bilan : 13 morts, surtout des femmes et des enfants, et 58 civils blessés.
La menace vient du ciel
Car, en réalité, il s’agit plus d’un village que d’un camp. Il y a encore quelques semaines, 700 familles vivaient ici, dont une majorité d’Iraniens réfugiés. Femmes et enfants de peshmergas, abrités par le PDKI depuis 1995. Les maisons sont faites de parpaings, les toits sont en taule. Certaines ont même des petits jardins abrités par des grenadiers, des vignes et des oliviers. Il y a l’eau courante, l’électricité et la télévision.
Mais aujourd’hui, tout est désert : les familles se sont enfuies dès les premiers bombardements. En marchant au milieu des gravats qui jonchent les rues, Karim passe devant une école, une infirmerie, un parc pour enfants et une petite bibliothèque. Le silence sourd n’est interrompu que par les pick-up de combattants revenus pour récupérer les affaires de leurs proches. Des déménagements qui se font en vitesse, fusil de guerre à l’épaule et un œil toujours tourné vers le ciel : c’est de là que vient la menace. Les drones kamikazes iraniens peuvent surgir à n’importe quel moment. Personne ne sait ce qui se prépare de l’autre côté des montagnes.
Le PDKI, ancré à gauche et qui a toujours milité pour la défense des droits humains et pour une région kurde iranienne autonome, soutient ouvertement le mouvement de contestation contre la République islamique.
Pour autant, les dirigeants du parti démentent formellement envoyer des armes ou préparer une incursion armée en Iran pour soutenir les manifestants.
Karim Kayffe a pris les armes à l’âge de 17 ans. Il a le cœur lourd de devoir quitter sa maison, dont certains murs ont fondu sous la chaleur des bombardements : « Ils savent que nous, les peshmergas, nous n’avons pas peur d’eux. Alors ils frappent là où ça fait mal en s’en prenant à nos familles, à nos femmes, à nos enfants ! Même ceux qui ne sont pas encore nés : ma voisine enceinte a été tuée dans un bombardement. »
« J’ai vu la mort dans toutes ses couleurs »
Pour rencontrer les familles qui ont fui le camp Azadi, il faut s’éloigner et gagner la confiance des combattants kurdes. La méfiance règne : les services de renseignement iraniens sont partout. Les femmes et les enfants ont été dispersés pour plus de sécurité. Certains ont trouvé refuge chez des Kurdes irakiens qui ont ouvert leurs portes par solidarité.
La maison de Faranak, une mère de famille, était juste à côté du point d’impact du premier missile balistique. « J’ai vu la mort de très près. J’avais juste peur pour Joni, ma fille de 3 ans. Rien d’autre ne comptait plus que la sauver. L’ensemble des faux plafonds se sont écroulés sur nous.
Heureusement, nous n’avons pas été blessées. » En entendant sa mère parler, la petite fille se bouche les oreilles. En larmes, Faranak explique que le blast des explosions l’a profondément marquée : « Le soir, elle fait des cauchemars en continu. Au moindre bruit un peu fort, elle court se cacher en se bouchant les oreilles. »
Aujourd’hui, Faranak aimerait que les Nations unies leur offrent une aide d’urgence : en dépit du statut de réfugiés accordé par l’ONU aux Iraniens du PDKI, aucune assistance ne leur a été offerte après les bombardements.
Malgré le traumatisme, la foi de la mère de famille dans le combat mené des deux côtés de la frontière iranienne reste le même : « Ce sera la mort ou la liberté. »