Rostock, capitale alter-G8
REUTERS
Par Nathalie VERSIEUX
Libération du 2 juin 2007
Berlin de notre correspondante
Cent mille altermondialistes sont attendus samedi à Rostock. Cette petit ville de 200 000 habitants, en ex-RDA, s’est préparée à une situation proch de l’état d’urgence. La manifestation du jour doit marquer le coup d’envoi d contre-sommet d’une semaine organisé, dans cette ville des bords de l Baltique, à l’initiative, notamment, d’Attac et de l’ONG allemande Weed
Les mouvements les plus divers ont appelé à défiler : écologistes, tiers-mondistes, défenseurs des droits de l’homme, syndicats, représentants des églises, partis de gauche et d’extrême gauche... Tous partagent l’idée que les décisions prises aux sommets du G8 ne sont pas légitimées de façon démocratique et qu’elles ne contribuent pas à lutter contre le réchauffement, la guerre, ou la pauvreté. Les altermondialistes allemands insistent aussi sur la nécessité de contrôler davantage les mouvements de capitaux et les fonds d’investissement, très actifs outre-Rhin où le modèle de l’entreprise familiale joue un rôle primordial. Des groupes tels que BMW, Porsche, Metro ou Karstadt sont aujourd’hui encore contrôlés par des dynasties familiales.
Dans ce contexte, investisseurs étrangers et fonds d’investissement sont perçus comme une menace pour le modèle de cogestion à l’allemande, qui veut que les représentants du personnel soient associés aux décisions stratégiques des sociétés par actions de plus de deux mille salariés. La reprise du groupe chimique Aventis par Sanofi, avec délocalisation du siège vers la France, s’était traduite par une perte de pouvoir pour les salariés allemands du groupe, un des traumatismes économiques majeurs de l’après-guerre pour les syndicats.
La manifestation de Rostock, encadrée par plus de 10 000
policiers, devrait se dérouler de façon pacifique. Les rumeurs les plus folles circulent cependant sur la venue de casseurs d’extrême gauche, plus connus sous le nom d’ « autonomes » et généralement actifs lors des manifestations du 1er mai à Berlin. Si l’on en croit les services de sécurité allemands, 25 000 activistes d’extrême gauche devraient se rendre ce samedi à Rostock, soit la quasi-totalité du « réservoir » existant, estimé à 30 700 personnes.
Alexandre Polack, membre de l’ONG britannique Action Aid :
« Une résistance intacte »
Par Christian LOSSON
Libéation du 2 juin 2007
Dix fois. Dix fois depuis le G7 de Cologne, en 1998, que l’internationale citoyenne se mobilise pour faire pression sur les pays riches. Entretien ave Alexandre Polack, de l’ONG britannique Action Aid, partie prenante de la manifestation de Rostock
Faut-il repenser la confrontation habituelle sommet/contre-sommet ?
Si usure il y a, c’est surtout celle du G8. La montée de la mobilisation traduit en revanche une colère et une résistance intacte. On joue notre rôle de veille et de contrôle démocratique. On veut continuer à mettre le G8 devant ses contradictions, ses faillites. Les médias n’attendent qu’une chose : la violence. Le gouvernement allemand, lui, joue la stratégie de la peur. Mais cent mille personnes qui montrent leur visage, qui proposent, qui opposent des alternatives, c’est capital. C’est dire qu’on est autre chose que de vagues sondages qui militent pour une vraie révolte contre la pauvreté dans le monde ou s’indignent face aux dérèglements climatiques. On est la face émergée de la conscience de la société civile. Une sorte de matrice. Des réseaux et des mouvements sociaux d’Asie, d’Amérique latine, d’Afrique nous rejoignent. Et se structurent pour peser dans leurs pays. Et faire du lobbying auprès de leur propre gouvernement.
Vous avez pesé sur l’agenda, peu sur les résultats...
Cela commence à payer. Mais, c’est vrai, les promesses formulées en 2005 au G8 de Gleneagles ont été trahies. Le G8 avait promis de verser 50 milliards de dollars d’aide à l’Afrique d’ici à 2010 ? Rien qu’en 2006, il manque 8 milliards par rapport aux engagements. La France est en retard de 1,9 milliard, l’Italie de 1,8 milliard, l’Allemagne de 1,7 milliard, etc. Le G8 avait juré qu’il alimenterait le fonds mondial contre les pandémies ? Sur les 18 milliards nécessaires en 2007 pour financer les opérations, il manque au moins 8 milliards. Le peu de regain de crédibilité du G8 auprès des opinions publiques après Gleneagles est en train d’être dilapidé.
Mais le fossé entre les déclarations et les réalisations est-il quelque chose de nouveau ?
Non. Ce qui l’est, en revanche, depuis notre mobilisation, c’est l’option des G8 de prendre des engagements enfin précis, chiffrés, datés, et pas de vagues motions sur des sujets sur lesquels il n’y a pas consensus entre les grands. Lorsqu’on a rencontré le sherpa [principal conseiller diplomatique, ndlr] d’Angela Merkel, on a bien senti que le G8 cherchait à renouer avec ses vieilles lunes : la stabilité financière internationale, etc. Impossible. Sauf à faire la preuve que, définitivement, toute ébauche de gouvernance est impossible. Et que les Etats ont démissionné face à la mondialisation.
Incidents après la manifestation anti-G8
Une centaine de policiers blessés lors d’affrontements avec des activistes à l’issue d’une manifestation jusque là pacifique.
REUTERS, LIBERATION.FR : samedi 2 juin 2007
Des protestataires ont attaqué des policiers à coups de pierres et de bouteilles samedi dans le port allemand de Rostock après une manifestation globalement pacifique contre le sommet du Groupe des Huit (G8) prévu la semaine prochaine
Quelque 2.000 manifestants, présentés par les forces de l’ordre comme des activistes violents, s’en sont pris aux policiers après une série de marches auxquelles 25.000 personnes avaient participé à travers la ville, a dit la police. Selon des journalistes de Reuters, celle-ci a fait usage de gaz lacrymogènes et a procédé à un certain nombre d’arrestations.
« Il y a eu une ruée massive sur les policiers. Ils jetaient des pierres et se servaient aussi de bâtons », a dit un porte-parole de la police sans pouvoir donner de précisions sur le nombre de personnes interpellées. On dénombrait 146 policiers blessés.
Les organisateurs ont fait état de 80.000 participants au défilé de l’après-midi. Les manifestants avaient convergé sur la ville des bords de la Baltique pour protester contre le sommet prévu du 6 au 8 juin à Heiligendamm, où la chancelière Angela Merkel accueillera les dirigeants des huit pays les plus industrialisés pour discuter du changement climatique et de la pauvreté en Afrique.
Certains d’entre eux ont défilé par un temps couvert et froid jusqu’au port pour y entendre des discours et un concert. Leurs slogans allaient de « Halte aux privatisations ! » à « La Paix mondiale maintenant ! » et « L’Eau est un droit de l’homme ! »
Beaucoup portaient des masques à l’effigie du président américain George Bush et de son homologue russe Vladimir Poutine, qui seront tous deux les hôtes de Merkel dans la ville d’Heiligendamm, située à 25 km de Rostock.
Certains membres d’un groupe étaient déguisés en rois du Moyen Age. « Nous essayons de faire apparaître des similitudes entre les rois de l’époque médiévale et le comportement du Groupe des Huit aujourd’hui », a déclaré Sigurd Jakobsen, étudiant danois arrivé à Rostock de Copenhague.
Des bateaux arborant des banderoles de Greenpeace étaient regroupés dans le port et des chars circulaient dans les rues ; l’un d’eux transportait une pilule gonflable géante préconisant des médicaments pour tous, un autre des personnages représentant des enfants faméliques.
Groupes ecclésiastiques, militants écologistes, associations culturelles et féministes ont pris part aux manifestations, rejoignant les altermondialistes anti-G8 pour lesquels mondialisation et capitalisme perpétuent la pauvreté dans les pays en développement.
A Rostock, les boutiquiers du principal quartier commerçant ont pris des précautions contre les actes de vandalisme en barricadant leurs devantures tandis que la police surveillait les arrivants pour en exclure d’éventuels fauteurs de troubles.
Un porte-parole de la police a déclaré qu’il importait peu qu’il y ait moins de personnes dans les rues si cela permettait d’éviter des violences. Werner Raetz, l’un des organisateurs de manifestations, a fait valoir que des contrôles trop stricts risquaient de susciter des réactions de colère.
« Nous craignons que les initiatives de la police dans les prochains jours ne provoquent la colère au point que certains en viennent à agir de façon incontrôlée », a dit Raetz.
Une clôture de 12 km a été mise en place autour du village d’Heiligendamm et quelque 16.000 policiers sont de service cette semaine, ce qui représente la plus grosse opération de sécurité depuis l’immédiat après-guerre en Allemagne.
Le sommet du G8 de Gênes, en juillet 2001, avait été l’occasion d’une confrontation d’une très grande violence entre forces de sécurité et manifestants. L’un de ces derniers avait été abattu par un carabinier lors d’une manifestation.
Les manifestants, qui contestent en justice le fait que la police les interdise de se rapprocher d’Heiligendamm, comptent notamment bloquer des routes conduisant à ce village, et empêcher certaines délégations officielles de s’y rendre.