Septembre 2009, nous sommes dans un centre de vacances comme on en construisait en Union soviétique dans les années 1970, près de Kiev, en lisière du parc Holosilvskyi, poumon vert de la banlieue sud de la capitale ukrainienne. Réunis pour ce que dans notre jargon nous appelons un SIDU (acronyme anglais de « séminaire international pour le dialogue et la compréhension mutuelle »), des réunions de jeunes militants associatifs (la majorité a autour de 25 ans) initiées par notre petite Assemblée européenne des citoyens (AEC) française avec des partenaires locaux. Cela fait une dizaine d’années que nous organisons pareilles rencontres, qui ont eu lieu dans divers endroits exotiques de la Bretagne au Sud-Caucase, de la Corse à la Moldavie, dans les Balkans, en Turquie ou en Pologne… Cette fois-ci ils sont une quarantaine, venus principalement de la région, d’Ukraine, de Russie et autres pays post-soviétiques.
Sasha Delemenchuk vient de présenter un petit film. Cette jeune femme, de famille ukrainienne et géorgienne, est l’une des co-organisatrices du séminaire. Le film s’appelle « Message from Douarnenez » et raconte le festival annuel de cinéma qui se déroule dans cette ville bretonne. Un festival créé en 1978 mettant en valeur la filmographie et la culture « des peuples ou des groupes de personnes, proches ou lointains » (à titre d’exemple en 2021 c’était la Grèce, en 2022 ce sera les Suisses). Elle vient de participer à l’ édition 2009, quelques semaines plus tôt, consacrée aux « Peuples du Sud-Caucase ». « Imaginez, explique-t-elle, un joli petit port où des centaines d’habitants sont mobilisés de manière bénévole chaque année pour accueillir et héberger les invités, où quelques milliers de personnes viennent découvrir les cultures, les créations, les luttes d’autres peuples et communautés… Là-bas, pendant une semaine, on a l’impression, ajoute-t-elle, qu’un autre monde est possible ».
« Pourquoi, ajoute-t-elle, n’organisons-nous pas dans nos petites villes, par exemple en Géorgie ou en Ukraine, des manifestations de ce genre, elles-aussi autogérées par les habitants ou nous pourrions, par le partage d’œuvres et par des débats, parler de problématiques qui traversent nos sociétés, des crises qui affectent d’autres peuples proches ou lointains… Ce serait en soi une forme d’internationalisme ».
Internationalisme ? Ce mot est largement discrédité dans l’ancien espace du « socialisme réel ». Des agressions comme l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes du pacte de Varsovie en 1968 ou l’intervention soviétique en Afghanistan en 1979 ont été présentées comme des actions de « solidarité internationaliste ». On a appelé ainsi certaines manifestations « d’amitié », plus ou moins imposées d’en haut par le pouvoir, et peu ou pas prises en charge par la population, tout le contraire de rencontres comme celles du festival de Douarnenez (ou pour prendre un autre exemple français, celui de la petite ville drômoise de Die – où nous avons d’ailleurs tenu un SIDU).
Pendant ce SIDU en Ukraine, nous avons évoqué, à partir de témoignages, de films, d’exposés, diverses situations de conflits anciens ou actuels, d’oppression de populations ou de minorités, des actions qui pouvaient être entreprises ou qui avaient été entreprises pour faire face à ces guerres, pour faire connaitre ces oppressions, pour soutenir ceux qui s’y opposent… Les exemples choisis portaient sur des situations assez bien connues et parfois directement vécues par des participants comme les guerres du Caucase, mais aussi d’autres situations comme les relations entre Turcs et des Arméniens ou les guerres de l’ex-Yougoslavie. Nous avons écouté des témoignages et discuté des cas de la Palestine, du Liban, de Chypre et d’autres exemples ailleurs dans le monde… L’Ukraine était alors traversée de tensions dont nous avons bien entendu beaucoup parlé…
Le solidarité internationale consiste d’abord à comprendre ce qui se passe, à éprouver de l’empathie et de l’écoute pour les autres, à savoir comment les Etats (y compris les nôtres) interfèrent, parfois de manière très brutale, dans les situations des autres pays, à intervenir, avec les moyens dont nous disposons dans nos sociétés civiles, pour aider les peuples en détresse, pour construire des partenariats solidaires… Cela peut passer par un festival dans un petit port breton, une rencontre microscopique dans une banlieue ukrainienne, ou des coopérations robustes et durables « people to people », de peuple à peuple, de mouvements à mouvements, ou parfois en organisant de grandes manifestations contre des agressions et oppressions…
Nous avions aussi chanté souvent. Et, très volontairement, parmi ces chants quelques grands classiques « internationalistes ». Quelques anciens (et moi) ont entonné Varsovienne (Warszawianka), ce magnifique chant révolutionnaire écrit à la fin du XIXe siècle en Pologne, repris par les Russes en 1905 et 1917, adapté en 1933 avec A las Barricadas par les anarchistes espagnols. Et tout le monde ou presque connaissait Bella Ciao, l’hymne des partisans italiens repris par toutes sortes de résistances autour de la planète.
L’Ukraine était en paix à l’époque… Avant de quitter Kiev, Sasha m’avait fait cette réflexion devant une affiche électorale de Viktor Yanoukovytch, le leader du Parti des régions, les « bleus », alors dans l’opposition et considéré comme pro-russe.
« Tu vois ce type », m’avait-elle dit, « c’est une brute et un gangster, mais il va gagner les prochaines élections ». Le président en place, leader des « oranges », était en effet totalement discrédité. La révolution orange, le mouvement populaire de 2003-2004, avait amené au pouvoir les pro-occidentaux Viktor Iouchtenko et sa rivale Ioulia Tymonchenko, « mais ils n’ont en rien mis fin à la gabegie et à la corruption, bien au contraire », précisait Sasha, qui ajoutait « Demain nous aurons Yanoukovytch, et après ? Je suis inquiète pour ce pays ». Yanoukovitch a en effet gagné les élections de 2010, la situation a continué de se dégrader, puis en 2014 il a été renversé par le grand mouvement de Maidan (plus ample et plus diversifié que le mouvement orange de 2004), qui sera suivi par l’intervention russe en Crimée, la guerre dans le Donbass et l’arrivée au pouvoir en Ukraine de l’oligarque du chocolat, Petro Porochenko, nouveau leader « orange ».
En huit années les combats dans l’Est ukrainien ont fait 14 000 morts, des centaines de milliers de déplacés - 40% de la population de la province du Donbass. En 2019 les électeurs qui, à chaque échéance depuis quinze ans, viraient les sortants, ont récidivé et élu Volodimir Zelinsky le candidat surprise qu’ils espéraient capable de lutter contre la corruption et de trouver des accommodements avec les Russes. Pendant la même période le régime de Poutine s’est durci, les opposants ont été muselés, le discours fait d’autoritarisme néo-tsariste belliqueux, conservateur et ultranationaliste a envahi les médias à l’intérieur du pays et dans le monde, une parole admirée et souvent relayée par les nationalistes autoritaristes et xénophobes dans bien des endroits en France, en Hongrie, en Serbie, aux Etats-Unis, au Brésil, en Algérie, en Egypte etc.
Et puis la guerre aujourd’hui. Et alors ? Que peut être la solidarité internationale face à l’agression ? Les festivals, les rencontres, les chansons ne vont pas suffire…
Lever le brouillard du campisme, retrouver l’internationalisme
Le 21 mars 2022, presque un mois après le début de la guerre, je lis un article de notre camarade Saïd Bouamama sur son blog [1]. Brillant, et clair comme à son habitude, Saïd analyse « La campagne des présidentielles [françaises] comme analyseur social et politique : cinq premières leçons ». Après les régressions précédentes (régression sur le plan légal avec les atteintes aux libertés, sur le plan social avec les inégalités, sur le plan idéologique avec les racismes et conservatismes), développées par les politiques mises en œuvre pour soi-disant répondre aux effets de la crise financière de 2008, de la menace terroriste, de la pandémie de la Covid 19, les thèmes qui émergent de la campagne des présidentielles de 2022 peuvent « faire fonction d’analyse de l’état de notre société et de l’amplification du vent mauvais qui souffle sur elle depuis plusieurs décennies ». Il souligne « six traits significatifs révélés avec force (…) qui en interaction entre eux font système » : « le racisme d’en haut a fini par imbiber une partie non négligeable de la société, une banalisation d’un maccarthysme prenant la forme d’une multiplication des interdictions d’associations et de collectifs, une tendance lourde à la disparition du parlement comme un des lieux du débat démocratique, un paysage médiatique de plus en plus monopolistique ».
Je suis, hélas, tout à fait d’accord avec lui sur la réalité de ces cinq constats calamiteux. Le vent mauvais souffle de plus en plus fort en France (et pas qu’en France évidement). Quant au sixième constat : « un traitement médiatique et politique de la guerre dominé par une logique de « va-t’en guerre », qu’est-ce que cela signifie exactement ? A l’évidence il y a, contrairement à ce que pensait Saïd (cf.ci-dessous), une guerre déclenchée par la Russie contre l’Ukraine. Pas une opération défensive contre l’imminence d’une attaque américaine ou otanienne contre la Russie, mais une guerre planifiée selon les objectifs néo-tsaristes de Vladimir Poutine. Qu’un tel évènement entraine chez nous le renforcement d’un discours militaro-sécuritaire – déjà présent, l’augmentation des budgets militaires et de la course aux armement – déjà bien relancée depuis quelques années (y compris au bénéfice de notre importante industrie française exportatrice d’armes), c’est certain… Mais quid de cette guerre elle-même ?
Quelques jours auparavant sur son même blog, Saïd avait posté deux vidéos dans sa série « Le monde d’en bas ». D’abord la n°42, le 1er février, « Crise en Ukraine : qui est l’agresseur ? » expliquant qu’en aucun cas il ne fallait craindre une agression armée russe contre l’Ukraine, que par contre la politique d’encerclement de la Russie par l’OTAN était le principal facteur de la crise. Cette communication ne parlait absolument pas de la dynamique interne de la Russie, à peine et de manière plus que superficielle de la situation en Ukraine. Cette « géopolitique » très abstraite était illustrée aussi par une autre vidéo, la n°41 du 24 janvier « Contre l’embargo qui tue le peuple syrien ». Saïd rappelait que la Syrie subit depuis des années des sanctions mises en œuvre par Washington contre le régime de la famille Assad. Une critique juste de l’arbitraire de telles sanctions décidées et calibrées par les seuls Etats Unis à l’encontre d’Etats qu’ils jugent voyous (mais pas à l’encontre d’Etats voyous qui leurs sont alliés comme Israël ou l’Arabie Saoudite). Sanctions s’imposant à tous leurs partenaires (grâce à l’exceptionnalité du dollar qui permet de sanctionner toute banque au bon vouloir des Américains). Ces sanctions, précisa-t-il ont été étendues et reprises par les Européens du fait « de la guerre civile syrienne ». Mais il ne revient pas sur le déclenchement de la guerre civile syrienne : une attaque américaine contre la Syrie ? une attaque syrienne contre les intérêts américains ou européens ? Non, cette guerre c’est le régime des Assad, dans sa version kleptocratique des gangsters du clan Assad Makhloof, qui a décidé très délibérément de noyer un mouvement social, populaire et pacifique dans le sang au printemps 2011 croyant pouvoir régler la question en quelques mois, et qui n’a dû sa survie qu’a l’intervention des Iraniens et des Russes, et à la réserve des Américains et Européens occupés à réduire Daech.
On peut, on doit, critiquer les actions américaines et européennes au Proche Orient, le soutien inconditionnel aux agressions israéliennes ou l’attaque contre l’Irak de 2003, sans parler des alliances avec les dictatures et les pétromonarchies. De la même façon, on peut critiquer la politique d’expansion de l’OTAN et le non-établissement d’un système de sécurité commune en Europe centrale et orientale depuis les années 1990. … Toujours est-il que c’est bien Bachar Al Assad hier, Vladimir Poutine aujourd’hui, qui ont décidé que la solution à leurs problèmes réels ou supposés c’était la guerre.
Par ailleurs on peut, on doit, s’interroger sur la nature, l’efficacité et les conséquences de sanctions, quand elles portent préjudice aux population, et pas toujours aux pouvoirs fauteurs de guerres qui sont censés être sanctionnés. Sanctions d’hier contre la Serbie de Milosevic, contre l’Irak de Saddam, sanctions d’hier et d’aujourd’hui contre l’Iran, et qui, en ce moment en Syrie ou en Afghanistan frappent des pays détruits. Et l’on peut s’interroger sur les effets des sanctions demain sur la Russie. On doit questionner : qui décide des sanctions, qui contrôle les mécanismes financiers internationaux qui permettent d’appliquer certaines sanctions ou au contraire, à certains fauteurs de guerre d’y échapper grâce aux paradis fiscaux … Et comment évaluer les effets de ces sanctions par rapport aux buts de celles-ci (en Russie aujourd’hui, arrêter la machine guerrière néo-tsariste) et sur les populations victimes ?
Saïd qui est un camarade avec qui je partage une longue histoire commune et partagerai tant de luttes demain adopte, face à la crise puis la guerre en Europe orientale, une posture. Il critique l’agressivité de l’impérialisme « occidental », suppose que ceux qui semblent s’y opposer ont toujours de bonnes raisons, et absout, ou au moins oublie, les impérialismes non-occidentaux. Une telle posture n’est pas isolée. Elle est partagée par de très nombreux mouvements et camarades qui s’affirment « anti-impérialistes » et « internationalistes », « progressistes »… C’est une vision appelée « campiste ».
Ce terme a une histoire. Quand l’URSS et ses vassaux du pacte de Varsovie ont mis fin par invasion armée en aout 1968 à l’expérience du « socialisme à visage humain » de la Tchécoslovaquie, Fidel Castro, depuis Cuba, a mis quelques temps à s’exprimer avant d’approuver l’invasion car pour lui, quelques soient les griefs que pouvaient avoir les peuples de Tchécoslovaquie envers leurs anciens dirigeants, leur expérience affaiblissait le « camp socialiste ». J’étais déjà militant à l’époque et, comme de nombreux camarades, je pensais au contraire que cette invasion allait entrainer à moyen terme la chute du « socialisme réellement existant » (mais ceci est un autre débat). Toutefois je pouvais concevoir, quoiqu’on pense du régime social et politique interne au dit « camp » que l’URSS pouvait apporter un soutien aux luttes des peuples du Sud et contrebalancer l’hégémonie d’un « camp occidental » capitaliste et impérialiste.
La situation est totalement différente aujourd’hui. Nous vivons une époque qui n’est ni celle de l’affrontement multipolaire des impérialismes de la fin du XIXe siècle, ni l’affrontement des deux blocs antagonistes de la deuxième partie du vingtième siècle, avec un tiers-monde qui s’exprimait dans le mouvement des non-alignés, lequel avait un double objectif d’émancipation (des peuples colonisés) et de paix (contre la menace de guerre mondiale). Nous sommes aujourd’hui dans un monde profondément globalisé, avec une hégémonie capitaliste généralisée, plus ou moins néolibérale, un affaiblissement politique relatif de l’ancien bloc « occidental », quoi que toujours dominé par les Etats Unis, l’émergence d’un autre impérialisme à aspiration globale du côté de la Chine et de divers pôles régionaux cherchant à se tailler leur place, à commencer par la Russie post-impériale et néo-tsariste.
Cette Russie-là n’est pas, même en rêve, un appui pour des peuples cherchant à se dégager d’une hégémonie occidentale ou autre. Soutien fondamental du pouvoir assassin d’Assad en Syrie, alliée circonspecte de la République des Mollah en Iran, interlocutrice et toutefois rivale de celle d’Erdogan en Turquie, liée par mille liens d’intérêts, pétroliers et maffieux, avec les dirigeants israéliens et les pétromonarques, bien insérée dans le système des paradis fiscaux de Dubaï à Jersey, active militairement en Lybie aux côtés de la fraction réactionnaire locale cliente de l’Egypte et des Emirats, partenaire d’une Chine qui commence à la toiser de haut, coopérant depuis des années avec les extrêmes-droites xénophobes et nationalistes d’Europe, des Etats Unis, d’Asie du sud, envoyant ses corsaires mercenaires dans des expéditions prédatrices en Afrique…
Cependant dans plusieurs régions du monde, des groupes, des intellectuels, des mouvements reprennent sans discuter certains arguments néo-tsaristes, se justifiant par les lunettes surannées du campisme. La Russie a forcément raison puisque nous, là où nous vivons sommes confrontés à « l’OTAN », à l’impérialisme américain, à la France-Afrique, à la finance de Londres… qui tous « s’opposent à la Russie »… Ainsi s’expriment des voix diverses, celles des Greens ou autres mouvements progressistes nord-américains, de marxistes indiens, de la gauche sud-américaine, de juntes militaires avides de pouvoir et de jeunes africains avides de justice en Afrique de l’ouest. Pour justifier l’agression, Evo Morales, l’ancien président bolivien, a même repris la sinistre fable poutinienne d’un « génocide en cours envers les russophones d’Ukraine ».
En parlant de la guerre qu’a menée Poutine dans son pays, la militante syrienne Leila Al-Shami constatait en avril 2018 [2] que « de nombreuses organisations anti-guerre ont justifié leur silence vis-à-vis des interventions russes et iraniennes en affirmant que l’ennemi principal est à la maison. Cela les dispense d’effectuer une analyse sérieuse des rapports de force afin de déterminer les acteurs principaux engagés dans cette guerre ». De même aujourd’hui ces mêmes organisations s’affranchissent de toute analyse sérieuse de la situation concrète en Europe orientale, de la réalité de la Russie et de l’Ukraine, et ignorent systématiquement les voix des militantes et militants qui s’y trouvent. Bref ils adhérent à ce que Leïla appelle « l’anti-impérialisme des imbéciles », celui pour qui l’impérialisme équivaut uniquement à l’action des États-Unis.
En ce début avril 2022 Catherine Samary ne dit pas autre chose. Ce conflit oppose la Russie (l’agresseur) et l’Ukraine (l’agressé), l’agresseur mettant en cause explicitement « les choix exprimés par les populations agressées – en l’occurrence le droit du peuple ukrainien à disposer de lui-même face à cette guerre et dans les relations internes et internationales où il s’inscrit (…). Un tel accent sur la société concrète est contradictoire avec des lectures « géostratégiques » des conflits qui réduisent les peuples à des pions instrumentalisés par les uns ou les autres. » [3].
Il y a un mois l’italien Andrea Ferrario critiquait la posture de la gauche italienne, qui considère que l’agression russe et de la responsabilité de l’OTAN et en conclue qu’il faut rester « non aligné » et combattre « tout armement » de la Resistance ukrainienne : [4] : « au vu des faits, la théorie de l’OTAN qui menace la Russie et est donc coresponsable de cette guerre a la solidité du brouillard d’un jour d’automne. On serait plus près de la vérité en disant que dans la dernière décennie, les pays de l’OTAN ont déroulé un tapis rouge à Poutine, qui a pu choisir le moment de son agression ».
Ce campisme nourrit en réaction l’autre campisme, celui qui considère que « l’Occident » mène en Ukraine une « guerre de la civilisation » ou a minima « une guerre pour des valeurs européennes », occultant au passage les agressions, crimes et négations de ces dites « valeurs » dont cet « Occident » a été – et est aussi toujours en ce moment - responsable : on pense par exemple à la Palestine. Que des anti-impérialistes – des partis, parfois des Etats – qui sont, ou qui se veulent progressistes, soutiennent ou excusent le néo-tsar, est une excellente occasion pour les droites capitalistes de discréditer toute idée de rupture avec l’ordre néo-libéral et inégalitaire, « complice des autoritarismes totalitaires ». En Europe centrale et orientale, comme malheureusement dans d’autres parties du monde, dominent les forces néo-libérales et sont actives les extrême droites illibérales (extrême droite au gouvernement en Pologne, en Hongrie, en Slovénie ou en Serbie – mais, soulignons-le, pas en Ukraine – mais qui exercent par ailleurs tout le pouvoir dans la dictature russe). Des partis, mouvements et syndicats de gauche sociale, féministes, écologistes existent et se développent pourtant dans tout ces pays, y compris en Ukraine. Mais loin de leur apporter solidarité et aide, toute une partie de la gauche globale, altermondialiste et anti-impérialiste, les ignore. Pire, elle donne l’impression – et parfois il ne s’agit pas que d’une impression – d’apporter sa caution à l’agresseur impérial russe… Croyez-vous qu’en Europe orientale et centrale, et ailleurs, la droite conservatrice et l’extrême-droite nationaliste vont se priver d’une occasion d’attaquer des idées progressistes que l’on dira portées par « des complices de l’agresseur » ou du moins par leurs amis ?
Il faut que je discute de tout ça avec Saïd, et les autres.
En attendant, à mon modeste niveau, avec mes camarades, je suis actif dans le Collectif inter-associatif Solidarité Ukraine qui comprend de nombreuses ONG françaises, et dans le Réseau européen de solidarité avec l’Ukraine, solidaire de la résistance ukrainienne, initié par des militants qui se veulent internationalistes, en soutien à la Résistance (armée et non armée) ukrainienne et aux mouvements antiguerres russes et biélorusses et qui œuvre en étroite relation avec des Ukrainiens, des Russes, des Est-européens… Des Internationalistes !
Commencent à nous parvenir des noms de camarades ou connaissances arrêtés en Russie, morts en Ukraine…
Le 7 avril 2022
Bernard Dreano
(à suivre…)