À Hong Kong, Pékin et le gouvernement local poursuivent leur œuvre de normalisation et de mise au pas des voix d’opposition. La dernière victime de cette stratégie du boa constricteur est le principal syndicat des enseignants de la région autonome chinoise, fort de 95 000 adhérents, de 200 salariés et d’un patrimoine colossal (dont deux supermarchés). Il a été attaqué ces dernières semaines par l’exécutif local et par Pékin en raison de son engagement dans la mobilisation pro-démocratie de 2019.
Lors d’une conférence de presse mardi 10 août, le président du syndicat des enseignants de Hong Kong (HKPTU, Hong Kong Professional Teachers’ Union), Fung Wai-wah, a annoncé la dissolution de la fédération qu’il préside en raison des pressions politiques.
« Ces dernières années, l’environnement social, politique et économique a connu de profonds changements » , a-t-il souligné, entouré d’autres membres du comité exécutif du HKPTU. « Surtout ces dernières semaines, la situation s’est aggravée. À partir de maintenant, nous ne voyons pas d’avenir... Nous avons décidé de nous dissoudre. Nous allons commencer le processus de dissolution. »
Une « bombe politique », a jugé aussitôt le quotidien anglophone proche de Pékin et détenu par le groupe chinois Alibaba, le South China Morning Post.
Plus d’un an après l’adoption de la loi sur la sécurité nationale, la répression s’est renforcée dans l’ancienne colonie britannique à l’égard de ceux qui avaient manifesté en 2019 contre le projet de la loi sur l’extradition vers la Chine. De plus en plus de figures du camp démocratique ont été inculpées et placées en détention. Le principal journal d’opposition, Apple Daily, s’est sabordé en juin.
Dans un communiqué publié sur son site, le HKPTU a indiqué qu’il arrêterait « le processus de recrutement et de renouvellement des membres, remboursera[it] les membres qui viennent de renouveler leur adhésion, ne fera[it] plus de commentaires et ne participera[it] plus aux affaires sociales ».
Des attaques venues du continent
Pour le syndicat, il n’était plus possible de lutter. Samedi 31 juillet, le ministre de l’éducation de la région autonome, Kevin Yeung Yun-hung, avait envoyé une lettre à tous les enseignants de Hong Kong pour leur demander de réfléchir sur leur appartenance au syndicat, alors que son administration annonçait couper tout lien avec le HKPTU, qualifié d’organisation politique et non de regroupement professionnel.
Quelque temps avant, le HKPTU avait été qualifié de « tumeur » à éradiquer par deux des principaux médias officiels chinois, le Quotidien du peuple, organe du Parti communiste, et l’agence Chine Nouvelle (Xinhua), en raison de son engagement dans les manifestations de 2019.
Le syndicat avait tenté de répondre en annonçant la mise en place d’un groupe pour aider les enseignants à mieux comprendre l’histoire et la culture chinoises, une obsession de Pékin. Il avait également annoncé son départ de la fédération internationale basée à Bruxelles, Education International.
Mais cela n’a pas suffi. « La situation ne s’est pas améliorée au cours de la semaine dernière. Les critiques ont continué à fuser de toutes parts, et la pression était toujours aussi forte. Nous ne pouvons que constater que nos efforts de la semaine dernière n’ont pas porté leurs fruits », a expliqué M. Fung.
L’histoire du syndicat est étroitement liée au mouvement pro-démocratie. Il fut fondé il y a près de 50 ans, en 1973, par Szeto Wah. Mort en 2011 à l’âge de 79 ans, il était l’une des figures les plus connues du camp démocrate avec l’avocat Martin Lee.
Surnommé « Oncle Wah », il avait été membre du conseil législatif en 1985 comme représentant du secteur de l’éducation. Il avait même été consulté, tout comme Martin Lee, sur le projet de constitution pour la région autonome en vue de la rétrocession de Hong Kong à la Chine en 1997.
Mais en raison du massacre de la place Tiananmen et de la répression sanglante du mouvement démocratique en Chine en juin 1989, il était devenu critique de la politique de Pékin. Il avait fondé alors l’Alliance de Hong Kong en soutien aux mouvements démocrates et patriotes en Chine, qui organisait chaque 4 juin à Hong Kong une veillée en mémoire des victimes du 4 juin.
La prochaine cible pourrait être la confédération des syndicats de Hong Kong (Hong Kong Confederation of Trade Unions). Un de ses dirigeants, Mung Siu-tat, a reconnu que la dissolution du HKPTU était « un grand coup au mouvement syndical ». « Face à une telle adversité, nous resterons fermes », a-t-il mis en garde. Jusqu’à quand ?
François Bougon