Non, la vie politique italienne ne se résume pas aux seules conséquences des frasques sexuelles et tarifées d’« Il Cavaliere ». Alors qu’une contre-réforme touche l’école, qu’une autre ravage l’université, le dirigeant de la Fiat, Sergio Marchionne cherche à défaire frontalement la classe ouvrière dans son secteur. Mais le pari n’est pas encore totalement gagné.
Une guerre totale contre les travailleurs : c’est ainsi que le porte-parole de l’organisation anticapitaliste Sinistra Critiqua, Franco Turigliatto, a qualifié le plan de Marchionne. Pour l’ancien sénateur, « Marchionne veut et exige tout : des syndicats de façade, expression directe de la volonté patronale, n’existant qu’en enchaînant les travailleurs ; l’exclusion de l’usine de tout syndicat qui voudrait représenter les intérêts des travailleurs et défendre leurs droits, leur salaire et leurs conditions de travail ; l’abolition de droits constitutionnels fondamentaux, à commencer par le droit de grève et de la liberté d’organisation syndicale ; de lourdes sanctions et des licenciements pour les travailleurs qui chercheraient à promouvoir une quelconque action individuelle et/ou collective ; une flexibilité et un régime d’exploitation bestiaux pour extraire jusqu’au dernier centime les profits de ces maîtres de forges modernes et brutaux. »
Un référendum en forme de chantage
Pour arriver à ses fins, le repreneur de Chrysler et ancien membre du Conseil d’administration d’UBS a mis au point le chantage suivant : l’attribution de la production de la nouvelle Panda à l’usine de Pomigliano (près de Naples) et des nouveaux modèles de Jeep et d’Alfa Romeo à celle de Mirafiori (Turin) est liée à la création de nouvelles entreprises. Mais – et là réside l’arnaque – ces deux nouvelles entreprises ne seraient plus membre de l’organisation patronale (la Confindustria) et donc libérées de l’obligation d’appliquer la convention collective de travail.
Pour le PDG de Fiat, l’exemple syndical à suivre est celui du syndicat américain de l’automobile, l’UAW, en pleine dégénérescence corporatiste. Petit problème : dans les usines de Fiat, les ouvriers et ouvrières sont majoritairement organisés auprès d’un syndicat « lutte de classe », la FIOM. Marchionne a donc commencé par l’isoler en trouvant d’autres syndicats, plus collaborationnistes. Devenus d’authentiques syndicats jaunes, ceux-ci – au premier rang desquels les organisations se revendiquant du christianisme social et de la social-démocratie – ont donc signé un accord sur la création de la nouvelle entreprise à Pomigliano et la disparition subséquente de la convention collective et des droits syndicaux. Seuls la FIOM et les Comités de base (COBAS) refusèrent ce plan.
Fiat a ensuite organisé un « référendum » parmi les travailleurs de l’usine, afin d’obtenir leur accord individuel. Pris dans le chantage « perdre son emploi ou perdre ses droits », 62 % des votants apportèrent leur soutien au projet de Marchionne. Qui, furieux, attendait au moins un score plébiscitaire de l’ordre de 80 %.
A la fin de l’année 2010, Fiat répète cette stratégie à Mirafiori. Les mêmes syndicats que dans la région napolitaine (CISL, UIL, FISMIC et UGL) brisent la convention collective et excluent le syndicalisme « rouge ».
Une riposte sous forme de grève générale
Tout en menant une campagne vigoureuse et exemplaire contre le chantage de la direction de l’entreprise, la FIOM, avec les Comités de base, appelle le 29 décembre à une grève générale de la métallurgie pour le 28 janvier 2011.
Les 13 et 14 janvier, une courte majorité des salarié·e·s de Mirafiori (54,3 %) appuie la proposition de Marchionne. Avec un très gros bémol : les travailleurs de jour des chaînes de montage la refusent à 53 %.
Quant au déroulement de la grève générale de la branche, c’est un succès incontestable pour la FIOM. Le taux de participation est de 70 % dans les usines et secteurs où le mot d’ordre a été lancé, certaines usines dépassant les 75 % de grévistes ; à Mirafiori – où seule la mécanique travaillait ce jour-là, carrosserie et presses étant au chômage technique –, la participation monte à 80 %. Dans les autres usines de Fiat (Cassino, Melgi), la participation est de 50 %. Présent dans la manifestation de Turin, Franco Turigliatto déclare : « L’appel lancé par les ouvriers de Fiat a été massivement repris dans tout le pays par les travailleurs. Malgré le soutien bi-partisan apporté à Marchionne par le centre droit et le centre gauche, Parti démocrate y compris, l’appel à la grève de la FIOM et des comités de base a été un grand succès et a permis une belle et grande journée de protestation. »
La prise de conscience que Marchionne et Berlusconi sont les deux faces d’une même politique et que c’est seulement par la lutte que l’on pourra battre l’un et l’autre a progressé. La manifestation n’exprime pas seulement la demande d’une mobilisation qui devra unir tous les travailleurs, mais indique aussi la possibilité concrète de réaliser dans les prochaines semaines un « bloc » à partir de la base pour aller vers une grande grève générale étendue à tous les secteurs.
Après le vote de l’usine de Mirafiori, c’était un deuxième round et ce doit être le début d’une lutte prolongée toujours plus large et unie. »
Avec Franco Turigliatto (www.sinistracritica.org)
et le blogue « automobile » du NPA www.npa-auto-critique.org