En Italie, après avoir annoncé la fermeture de l’usine de Termini-Imerese (Sicile) à l’horizon de 2012, la direction de la Fiat a exercé le chantage à l’emploi sur les salariés de l’usine de Pomigliano d’Arco (près de Naples, Campanie) en les mettant en concurrence avec les travailleurs de Fiat Auto Poland (Tychy, Silésie, Pologne, qui produisent actuellement les Fiat 500 et Panda). En faisant miroiter aux salariés le rapatriement en Italie de la production du modèle Panda, la direction a fait adopter par référendum un accord [2] qui bafoue la convention collective de branche. L’usine a été extraite du groupe à la faveur de la création d’une « nouvelle entreprise » qui ne respectera plus les anciennes règles sociales. Le nombre d’heures supplémentaires passera de 40 à 120 annuellement. L’usine tournera 24 heures sur 24, six jours sur sept. Les ouvriers perdront dix minutes de pause journalière. Les trois premiers jours de congés maladie ne seront plus payés systématiquement [3].
Dans la foulée, la direction de Fiat Auto Poland a tenté d’imposer la flexibilité du travail. Devant le refus du syndicat majoritaire — WZZ « Sierpien 80 » (Syndicat libre « Août 80 ») — et ne pouvant passer outre du fait du code du travail polonais qui exige que les syndicats représentatifs acceptent les modifications des accords collectifs, le patronat a commencé à harceler les membres du syndicat : « Voici une lettre de démission du syndicat, si tu veux que ton contrat de travail soit renouvelé, signe ici ! » — c’est ce qu’entendaient les salariés sous contrat à durée déterminée, convoqués par leurs contremaîtres. « On ne peut renouveler votre contrat… à moins que vous convainquiez vos collègues (en contrat à durée indéterminée) pour qu’ils quittent “Août 80“, alors nous pourrions faire un effort… ». Le but : réduire le syndicat qui, s’il comptait moins de 10 % de salariés dans ses rangs, cesserait d’être représentatif et sa signature ne serait plus indispensable… Le patronat n’a réussi à faire céder qu’une centaine de syndiqués [4], pas assez pour briser le syndicat ! Mais les agressions se poursuivent, la direction a réduit cette année la prime de Noël en accusant « Août 80 » d’en porter la responsabilité. Le harcèlement continue.
En 2008, Fiat a acquis 67 % des parts de l’usine Zastava de Kragujevac (Serbie), reconstruite par les travailleurs après les bombardements de 1999, en obtenant en plus des autorités serbes 200 millions d’euros d’aides, gratuitement les terrains et en promettant d’investir. La « nouvelle entreprise », Fjiat Automobili Srbje (FAS) devait en principe reprendre les salariés de Zastava. Mais en décembre ceux-ci apprennent par un article de l’hebdomadaire Polityka qu’il y aura 1566 licenciements… Face à la grève Marchionne fait l’innocent : ce n’est pas la FAS, c’est le gouvernement serbe, propriétaire de Zastava, qui est concerné ! Et le gouvernement annonce un « plan social » pour les 910 salariés qui ont plus de cinq ans à attendre la retraite et une préretraite pour les plus âgés. « C’est à prendre ou à laisser, si vous ne voulez pas, vous n’aurez même pas les 20 000 dinars [environ 200 euros] d’allocation mensuelle ». Après cinq jours de grève et l’occupation d’un immeuble au centre de la ville, les grévistes se divisent, le syndicat Samostalni décide de signer l’accord. Rajka Veljovic, responsable des relations internationales du syndicat, explique à Il Manifesto : « Nous avons perdu. (…) Les travailleurs de Fiat du monde entier devraient s’unifier et coordonner leurs initiatives de luttes. Faire une sorte de grève internationale. C’est l’unique moyen de gagner la lutte. On en parle depuis 1999. Il faut une nouvelle coordination syndicale en Italie. » [5]
En même temps Marchionne s’est attaqué au cœur historique de Fiat, l’usine Mirafiori de Turin. Là encore, c’est le chantage à l’emploi qui lui sert de levier pour finir de liquider tous les restes des acquis ouvriers du mai rampant italien (1969). A l’instar de Pomigliano, la direction de Fiat a proposé aux syndicats l’augmentation du temps de travail, son intensification, la remise en cause du payement des trois premières journées de congés-maladie, la limitation du droit de grève, autrement dit un acco.0rd exorbitant à la convention collective de la métallurgie. Le tout en transformant Fiat-Mirafiori en une « nouvelle » entreprise, « Chrysler-Fiat Joint Venture ». Un tel accord, signé le 23 décembre par les syndicats UGL et FISMIC (minoritaires), est refusé par le syndicat majoritaire, la FIOM, qui explique : « ils veulent un contrat dans lequel ils prendraient les articles qui leur plairaient comme on choisit des produits dans les étagères d’un super marché. Ils veulent un contrat qui s’affranchit des règles sociales italiennes et européennes, c’est-à-dire une sorte de zone franche ». La direction de la Fiat menace que l’investissement prévu à Mirafiori soit délocalisé dans l’Illinois aux États-Unis. Elle est soutenue par le gouvernement Berlusconi, dont le ministre de l’industrie annonce que « L’investissement prévu pour la Fiat Mirafiori est tellement important pour l’avenir de l’économie italienne que cela exige l’abandon de tous les préjugés et du formalisme rigide ». Fiat organise — encore — un référendum les 13-14 janvier 2011. Les salariés de Mirafiori ont le choix : votre « oui » ou « non » à l’accord du 23 décembre — mais, comme le dit Marchionne, « le déménagement de production de l’usine de Turin pour les États-Unis est une option si un accord n’est pas atteint… ». Le « oui » l’emporte (54,3 % des votants), mais seulement grâce aux voix des employés de la direction et de l’encadrement. Les ouvriers des chaînes de montages se prononcent majoritairement contre l’accord.
Dans une interview à La Repubblica du 18 janvier 2011 Marchionne ne cache plus son jeu : « L’accord était déjà établi à Pomigliano et je ne peux pas accepter deux systèmes différents dans une même société et pour le même travail. » Il annonce qu’il n’y aura plus de négociations, même si la moitié des salariés n’acceptent pas l’accord, parle de la FIOM comme d’une « réalité du passé » et explicite que « ceux qui ne sont pas des contractants ne peuvent pas bénéficier du contrat », autrement dit que la FIOM, non signataire de l’accord, ne peut être choisie par les salariés de Fiat !
Le 28 janvier à l’appel de la FIOM et des syndicats de base — COBAS et USB ont également refusé l’accord du 23 décembre 2010 — une grève générale a bloqué la métallurgie italienne. La lutte continue…
Réunion du travail polono-italienne
Face aux attaques de la direction de Fiat, le syndicat polonais « Août 80 » et l’organisation anticapitaliste italienne Sinistra Critica (Gauche critique) ont pris l’initiative de commencer un échange d’expériences et d’informations entre les salariés de Fiat des deux pays. Plusieurs dizaines de travailleurs de Fiat et des entreprises sous-traitantes ont ainsi participé le dimanche 5 décembre, dans un local de l’ARCI [6] de Turin, à un séminaire, en présence des syndicalistes de la FIOM-CGIL, de COBAS et de l’USB [7] de Fiat et des entreprises sous-traitantes italiennes, ainsi que de deux représentants d’« Août 80 » de Fiat Auto Polonad de Tychy et des entreprises sous-traitantes de Pologne. Il s’agissait d’abord, comme l’a souligné Franco Turigliatto, ancien sénateur et dirigeant de Sinistra critica, en ouvrant les débats, de se connaître et de comprendre la diversité des cultures, expériences et situations ainsi que d’établir des liens entre les plus grands syndicats de Fiat en Pologne et en Italie.
Franciszek Gierot, président d’« Août 80 » de Fiat en Pologne, a ainsi raconté l’histoire de son syndicat, comptant aujourd’hui 2400 membres, créé en 1991 par huit syndicalistes qui refusaient la compromission du syndicat « Solidarité » avec le gouvernement restaurant le capitalisme et, en particulier, les privatisations. Fin juillet 1992, le gouvernement polonais a vendu à Fiat pour une bouchée de pain — l’équivalent alors de quatre mois de salaire d’un ouvrier, soit autour de 400 euros actuels — l’usine de production des Polski-Fiat 126p, FSM, construite au début des années 1970. Les salariés, à qui on avait fait miroiter « l’actionnariat salarié » et qui n’ont pas eu accès même à une action, se sont révoltés. Une grève d’occupation a démarré. Au bout de quelques jours les syndicats alors dominants — « Solidarité » et l’ancien syndicat officiel OPZZ — ont choisi leur camp : champagne et petits-fours aux côtés des dirigeants de Fiat et du gouvernement. Un comité de grève a été élu. La grève d’occupation de l’usine de montage de Tychy a duré 56 jours, encerclée par les forces de police, faisant face à la mobilisation des non-grévistes auxquels les syndicats jaunes ont fait croire que la grève conduira à la liquidation de l’entreprise et au chômage des 26 000 salariés… « Nous n’avons pas réussi à empêcher la privatisation au profit de Fiat — explique Krzysztof Mordasiewicz, vice-président d’« Auto 80 » de Fiat en Pologne — mais nous avons réussi à préserver le service de santé de l’entreprise, une fierté des salariés de Fiat et des usines sous-traitantes issues de la FSM aujourd’hui, un centre récréatif qui permet aux salariés de se détendre et nous avons obtenu des augmentations de salaire, qui les placent au-dessus de la moyenne des salaires de la métallurgie en Pologne ». A l’issue de cette grève le syndicat « Août 80 » est devenu le plus grand syndicat dans l’ex-FSM, fonctionnant comme un syndicat inter-entreprises à la fois à Fiat et dans les entreprises extériorisées. Il a réussi également à mettre à jour les magouilles qui ont permis à Fiat de s’emparer de l’entreprise, qui ont été confirmées par le rapport de la Chambre suprême de contrôle de l’État, enterré par les gouvernements néolibéraux successifs. « Mais si nous n’avons pas empêché le vol du bien public dans notre entreprise, notre grève a obligé le gouvernement à ralentir les privatisations et à ne plus les organiser de manière aussi grossière… »
Prenant la parole au nom de la FIOM de Mirafiori, Edi Lazzi a expliqué la stratégie actuelle de Fiat en Italie. La production italienne baisse — 900 000 voitures en 2007, moins de 600 000 en 2010. Mirafiori est encore la plus grande usine italienne de Fiat, mais alors qu’en 2006 elle produisait 217 000 voitures, en 2010 elle n’en produira que 119 000. Marchionne utilise cette baisse de la production pour réduire l’emploi et les salaires, pour remettre en cause les droits des travailleurs, pour mettre ses salariés en .concurrence jouant une entreprise contre l’autre, un pays contre un autre. Tout ce que la direction arrache aux salariés dans une usine, elle l’utilise comme exemple pour l’imposer dans une autre. A Pomigliano ils disaient que si les travailleurs ne cèdent pas, alors les Polonais produiront aux conditions de Fiat. Aujourd’hui c’est Pomigliano qui sert de « modèle » pour faire céder Mirafiori… A Pomigliano, la FIOM a été le seul syndicat qui a refusé de signer l’accord, maintenant Marchionne veut imposer à Mirafiori la même chose, le contrat est encore en cours de négociations, mais tel qu’il se dessine, la FIOM ne le signera pas. « De quoi s’agit-il ? D’intensifier le travail pour le même salaire, de liquider les droits acquis par les travailleurs, d’enterrer les conventions collectives de branches — l’accord proposé est en deçà de la convention nationale de la métallurgie, la “nouvelle” entreprise qui prendrait la place de Fiat-Mirafiori ne ferait pas partie du syndicat patronal, la Confindustria [8], pour ne pas devoir respecter la convention collective signée par lui ! (…) La direction de Fiat veut imposer la réduction des pauses de 40 à 30 minutes, imposer que les repas soient pris à la fin du travail et non aux heures normales de repas — la cantine ne serait plus ouverte à ces heures là ! —, ne plus payer les congés maladie dès le second congés au cours de l’année, faire signer aux salariés “une clause de responsabilité” qui les empêcherait de faire grève contre l’accord en faisant peser sur eux la menace de “licenciement pour faute“, augmenter à 120 heures le nombre d’heures supplémentaires que la direction pourrait imposer aux salariés sans contrôle des syndicats, faire tourner la production six jours sur sept, avec des équipes travaillant 10h par jour, quatre jours de suite, par rotation… La FIOM refuse cela. Demain Mirafiori reprend la production, après cinq semaines de chômage technique, pour quatre jours, avant une nouvelle période de chômage technique jusqu’au 11 janvier. A 5h la FIOM diffusera un tract, appelant à discuter le contrat et à voir comment les travailleurs peuvent réagir… »
Alberto Tridente, ancien dirigeant de la Fédération des travailleurs métallurgistes (FLM) et ancien député européen de Democrazia Prolétaria, aujourd’hui retraité, qui fait son possible pour aider les syndicats des divers pays à établir des relations et à lutter ensemble, a ensuite rappelé l’expérience de l’internationalisme syndical, entre Fiat de Turin et Seat de Barcelone, alors que sévissait la dictature de Franco au cours des années 1970. « Aujourd’hui il est bien plus facile de passer les frontières, d’organiser des rencontres. Il faut empêcher que l’Union européenne impose des règlements qui mettent en concurrence les travailleurs des diverses entreprises, il est possible d’empêcher la direction de Fiat de jouer sur les divisions syndicales. Nous devons non seulement nous défendre, nous devons reprendre l’initiative. Il est possible de lutter contre la concurrence entre salariés de Fiat d’Italie, de Pologne, de Serbie, de Turquie… La stratégie des syndicats peut commencer par une défense commune, mais nous devons aussi être capables de passer à l’attaque contre le patronat. Et il rappelle qu’au cours des années 1950 le revenu du PDG était cinquante fois celui de l’ouvrier — ce que nous considérions comme excessif… — et qu’il est 500 fois plus important aujourd’hui ! »
Luigi Casali, de la direction nationale de l’Unione Sindacale di Base, insiste sur l’importance de se connaître, de socialiser les expériences. Il propose d’organiser une réunion internationale avec les camarades polonais.
Un délégué de FIOM de Mirafiori annonce que le lendemain les travailleurs de Fiat se mobiliseront pour la réouverture des négociations rompues la veille par Marchionne, que la FIOM proposera un débrayage, une sortie dans les rues et un meeting. « Nous espérons que les camarades polonais pourront être présents ! »
Unifier les travailleurs en Europe
Edi Lazzi : « La stratégie de Fiat, c’est de nous diviser, nous avons donc besoin au moins des échanges entre nous, pour aller vers la coordination, puis vers la lutte commune » Krzysztof Mordasiewicz (« Août 80 ») reprend : « Nous devons connaître mieux nos acquis respectifs et lutter ensemble pour égaliser vers le haut les conditions de travail et les salaires ». « Pour ce faire, ajoute Franciszek Gierot (« Août 80 »), il faut des rencontres des travailleurs de l’automobile européenne pas seulement de Fiat, aussi de Renault, Peugeot, Opel, Volkswagen, Volvo… C’est la seule façon pour chercher une matrice commune qui permette de lutter contre le capitalisme sauvage. Nous sommes au dernier moment. Si le patronat arrive à nous casser à Mirafiori, il nous détruira à Tychy et ailleurs en Europe. » Alberto Tridente : « La Serbie, la Turquie sont sur la liste d’attente pour intégrer l’Union européenne. Soit nous arrivons à imposer des salaires européens, soit le dumping social va l’emporter. » Luigi Malabarba, dirigeant de Sinistra critica, ancien sénateur et ancien dirigeant syndical d’Alfa Romeo de Milan (déjà liquidée) : « Aujourd’hui les syndicalistes combatifs des divers pays, même s’ils ont le même patron, ne se connaissent pas… Ce n’est pas une question de distance ni de barrière linguistique — en 1906, lorsque le syndicat national a été fondé en Italie, nous ne parlions pas la même langue et les voyages étaient autrement difficiles. C’est un problème subjectif, de volonté, d’imagination. La Fédération européenne des métallurgistes pourrait le faire, la FIOM a les moyens, même les syndicats de base, plus faibles, pourraient organiser des rencontres et une coopération internationale des syndicalistes. Il a été possible de faire une grève européenne contre la fermeture de Renault Vilvoorde (Belgique) en 1997… La FIOM pourrait prendre l’initiative d’une réunion européenne des syndicats de la Fiat pour commencer à élaborer une plate-forme commune… »
Après avoir souligné la nécessité de l’unité des syndicats combatifs — non seulement entre FIOM et « Août 80 », mais aussi entre FIOM et les syndicats de base italiens, Franco Turigliatto souligne qu’à l’image de la réunion en cours, il faut aussi faire travailler ensemble les syndicalistes et les militants politiques qui sont du côté des travailleurs (« même si la majorité des politiques, dans les gouvernements, les institutions régionales, les municipalités sont du côté de Marchionne et non du côté des travailleurs, il y en a quand même quelques-uns du côté des travailleurs ! »). Reprenant l’idée lancée par Franciszek Gierot, il propose une rencontre européenne des travailleurs de l’automobile, avec les partis anticapitalistes et les syndicats combatifs, le plus vite possible, et annonce que l’Institut International de Formation et de Recherche d’Amsterdam est prêt à l’accueillir.
Echanges d’informations
La discussion se poursuit sur l’échange des informations, les salaires chez Fiat (en moyenne autour de 850 euros net, avec les heures supplémentaires et les primes, en Pologne ; autour de 1250 euros net en moyenne à Mirafiori), les heures supplémentaires (150 heures en Pologne contre 40 heures encore en Italie, mais si les syndicats donnent leur accord en Pologne le nombre d’heures supplémentaires peut monter à 416 dans l’année…), les contrats de travail (en Italie les CDD ont été licenciés, à Fiat Auto Poland sur les 6401 salariés, 1200 sont employés sur des contrats renouvelables tous les mois…), l’intensification du travail (Krzysztof Mordasiewicz : « Nous sommes passé de 20 voitures produites par an par salarié à près de 100… Mais attention, cela témoigne non seulement de l’intensification du rythme, mais aussi de l’externalisation de tout ce qui n’est pas le travail de montage… »), les conventions collectives de branches. Nina Leone, déléguée de la carrosserie de Mirafiori : « En Italie c’est l’idée même des conventions collectives de branches permettant d’imposer, grâce au rapport de forces dans les grandes entreprises, un minimum de conditions dans les plus petites, qui est aujourd’hui attaquée, avec Marchionne en première ligne… Et en Pologne ? » Krzysztof Mordasiewicz : « En Pologne nous avions négocié pendant près de 6 ans, puis quand la convention était prête, les patrons opposés ont quitté l’organisation patronale pour en créer une deuxième… et elle n’a pas été signée par le patronat… Est-ce que c’est cela qui a inspiré Marchionne pour envisager sa sortie de la Confindustria ? ».
Des échanges aussi sur la stratégie de Fiat. En Pologne, la direction essaye de briser le syndicat « Août 80 ». Ce dernier se défend, ne cède pas, passe à l’attaque. Ainsi « Août 80 » a recueilli les enregistrements des pressions exercés sur les travailleurs — pour les forcer de quitter le syndicat, pour les obliger à prendre des congés sans solde lorsque la production a stoppé pour préparer l’introduction du nouveau modèle qui sera produit l’année prochaine… — et a fourni cette documentation à l’inspection du travail. Des travailleurs de Fiat se sont déplacés pour participer à leur manière à la décoration du directeur Arlet de la médaille d’« excellent manager », déployant des banderoles qui clamaient « excellent manager = harcèlement », « un prix pour le kapo », « Fiat bon dans les médias, à l’intérieur c’est un camp de travail »… Et le syndicat a invité la ministre du Travail pour qu’elle se rende compte des conditions à Fiat — la direction lui a refusé l’accès, prétextant que le syndicat n’avait le droit d’inviter que les syndicalistes (!), la rencontre a donc eu lieu au siège central d’« Août 80 » à Katowice — mais pour les salariés de Fiat Auto Poland ce fut la preuve que leur syndicat est fort, peut avoir des relations même avec une ministre alors que la direction de Fiat en a peur. « L’enjeu pour Marchionne, c’est de casser la résistance ouvrière, et donc de profiter de la crise pour briser les syndicats combatifs. Nous arrivons à nous défendre, mais pour reprendre l’initiative, nous devons le faire à l’échelle internationale, car Marchionne lui, sait jouer à cette échelle-là », explique Krzysztof Mordasiewicz. En Italie aussi le but est de casser la FIOM : « La direction joue la division syndicale dans le but d’isoler la FIOM », explique Edi Lazzi. « La clause de responsabilité » est aussi une arme antisyndicale : Marchionne veut que les syndicat qui refuseraient de la signer perdent leurs droits dans l’entreprise…
Concluant la réunion, un des organisateurs disait : « La force de Marchionne, c’est sa capacité à diviser les travailleurs, syndicat contre syndicat, entreprise contre entreprise, pays contre pays… Mais il a peur de notre coopération. Ainsi, la direction de Fiat Auto Poland est sortie de ses gonds en apprenant que les camarades d’“Août 80“ vont rencontrer les travailleurs de Mirafiori. Marchionne leur a visiblement demandé immédiatement comment ils contrôlaient “leurs“ salariés… Cette réunion a ainsi une portée symbolique. Mais imaginez Marchionne face à une grève démarrant en même temps à Tychy et à Mirafiori… Notre réunion est un pas dans cette direction… »
Un échange très utile. « En une journée j’ai plus appris sur le travail en Italie qu’en cherchant des informations durant 18 ans », me disait Franciszek Gierot à l’issue de la journée.
Débrayage à Mirafiori
Lundi 6 décembre, il fait frais, des flocons de neige tombent. Depuis 5h du matin les discussions n’arrêtent pas sur les chaînes de montage, la tension monte. « Marchionne veut faire de nous des esclaves, taillables et corvéables à merci », explique un délégué de la FIOM. A 10h, c’est le débrayage. Plusieurs centaines de salariés, syndicalistes de la FIOM, des militants de COBAS et des non-syndiqués sortent dans la rue. Préparée par les camarades italiens, une banderole en italien et en polonais les accueille : « Nous luttons pour la même chose ! Prolétaires de tous les pays, unissez vous ! ». Edi Lazzi de la FIOM-Mirafiroti et Federico Bellono, secrétaire général de la FIOM de la province de Turin, rendent compte des négociations, expliquent pourquoi la FIOM refuse un tel accord, appellent à poursuivre la lutte. Franciszek Gierot d’« Août 80 » est invité à la tribune. Il appelle à un front unique syndical au-delà des frontières et salue la détermination des travailleurs italiens, prêts à débrayer alors qu’ils ont déjà perdu un cinquième de leurs revenus du fait du chômage technique. Pour la première fois depuis 18 ans la preuve est faite que la direction ne peut jouer la concurrence entre salariés de Pologne et ceux d’Italie. « Polacchi ? Italiani ? Metalmeccanici ! » [9] me dit un gréviste.
Les relations syndicales commencées en décembre 2010 se poursuivent. Le 13 janvier 2011, juste avant le référendum de Mirafiori, « Août 80 » à envoyé une déclaration de soutien à la FIOM : « Nous appelons les travailleurs de Fiat : rejettez cet accord honteux ! ». Le 17 janvier 2011 Giorgio Airaudo, secrétaire national de la FIOM en charge du secteur automobile, était en Pologne où il a rencontré les syndicalistes d’« Août 80 » à Katowice. Interviewé par l’agence polonaise de presse, il a expliqué que « Fiat voudrait que les travailleurs n’élisent que les représentants des syndicats et accord avec sa politique, ce qui est une atteinte à la liberté qu’au moins la moitié des salariés de Fiat refuse » et que « la FIOM considère que les négociations sont toujours ouvertes, car il est impossible de gérer une usine divisée. » « La FIOM poursuivra donc la lutte, a-t-il poursuivi, en s’opposant à ce que les travailleurs de l’Italie soient opposés à ceux de Pologne et réciproquement. C’est pour cette raison que nous ouvrons le dialogue avec les syndicats représentatifs chez Fiat en Pologne. Il faut des actions syndicales communes. Nous avons l’impression, que Fiat veut imposer la même politique de l’emploi dans toutes ses usines et que cela a été accéléré par l’acquisition de Chrysler. » Boguslaw Zietek, président du syndicat « Août 80 » a pour sa part souligné que la coopération avec la FIOM a permis aux syndicalistes polonais de connaître mieux les « véritables intentions » de Fiat en Italie et que « les mêmes événements ont lieu aussi en Pologne » en présentant aux journalistes les documents et les enregistrements qui témoignent de la volonté de Fiat de forcer les travailleurs à démissionner du syndicat [10].
A la veille de la grève des métallurgistes italiens du 28 janvier, le syndicat « Août 80 » écrivait : « Le Syndicat libre “Août 80” de Fiat Auto Poland SA et les représentants de notre syndicat du secteur automobile, ainsi qu’une grande partie des travailleurs de Fiat en Pologne, soutiennent l’action de la FIOM en défense des accords collectifs en vigueur des travailleurs italiens de la Fiat. “Août 80” proteste fermement contre les solutions du plan Marchionne, dont la mise en œuvre est en préparation et qui consistent à limiter de manière systématique les droits des travailleurs, a liquider leurs acquis obtenus durant plusieurs décennies et à obliger les travailleurs à des efforts supplémentaires sans augmenter pour autant leurs salaires. La tentative d’éliminer le FIOM des entreprises de Fiat, parce que ce syndicat refuse une telle limitation draconienne des droits des travailleurs, indique que la Fiat et Marchionne ont de facto déclaré la guerre à leurs salariés. (…) La tâche et l’obligation d’un syndicat c’est de défendre les droits des travailleurs. C’est pour cette raison que nous envoyons l’expression de notre total soutien aux actions de la FIOM. Nous vous souhaitons la victoire, car ce sera la victoire de tous les travailleurs. » Le 28 janvier, une centaines de travailleurs de Fiat Auto Poland ont manifesté devant l’Ambassade d’Italie à Varsovie (à 350 km de leur entreprise à Tychy) en solidarité avec la grève des métallos italiens à l’appel d’« Août 80 ». A Turin, prenant la parole à la manifestation, Giorgio Airaudo a fait applaudir les délégations syndicales solidaires présentes de la CGT (France) et de l’IG Metall (Allemagne) ainsi que le syndicat « Août 80 », qui « non seulement se solidarise avec nous, mais soutient nos revendications ».
Jan Malewski