Les travailleurs de la Société bretonne de fonderie et de mécanique (SBFM) ont mené en 2008 une lutte exemplaire pour la sauvegarde de leur usine, sous-traitante de la filière automobile [1]. Par leur victoire, ils se sont montrés les dignes héritiers des ouvriers des forges d’Hennebont et d’Inzinzac-Lochrist mais également les dignes héritiers de la grande grève de 1906 de la vallée du fer blanc [2]. La lutte de la SBFM s’inscrit non seulement dans l’histoire de la lutte des classes mais également dans la mémoire des résistances bretonnes au même titre que Plogoff, l’hôpital public de Carhaix, ou encore contre les différentes marées noires. Un livre, écrit par celui qui fut sacré « meilleur interviewer de France » après sa prestation face à Sarkozy, revient sur l’histoire de cette lutte.
NPA Morbihan – Dans quel cadre et pourquoi as-tu écrit ce livre ? Peux-tu expliquer le choix d’intituler ton livre « La France d’en bas face à Sarkozy » ?
Pierre Le Ménahès – C’est déjà le prolongement d’un combat et, à mon grand étonnement, une sollicitation d’un éditeur national qui m’a proposé d’écrire un livre sur les étapes d’une lutte menée par les salariés de SBFM et du face à face avec Sarkozy, bref de faire un mixte d’un combat, d’une victoire historique et du prolongement d’un combat politique contre Sarkozy. Et comme on dit : les paroles s’en vont, les écrits restent. Il s’agit aussi, au-delà d’avoir été le porte-parole des salariés de la SBFM, d’écrire leur histoire : c’est eux, je le rappelle, les véritables auteurs de ce livre, les orfèvres de ce combat historique. Il était nécessaire de se servir de tous les tremplins qui nous ont été proposés pour faire entendre notre voix au niveau national et de faire savoir qu’une lutte n’est pas perdue d’avance. On connaît le théorème qui dit que toute lutte qui n’est pas menée est sûre d’être perdue, il faut donc la mener « jusqu’au bout, jusqu’à la victoire » ! Pour moi, la France d’en bas c’est péjoratif, car c’est Raffarin qui l’a mise en avant ; une ligne de démarcation qui privilégie ceux qui ont toujours été des nantis et appauvrit ceux qui subissent leur politique depuis des décennies. Ce livre est donc un cocktail Molotov pour certains et un cocktail aux fruits de la passion à déguster pour d’autres, avec une préface de Lavilliers, qui généralise là aussi la lutte des salariés au-delà de la SBFM. On est peut être une exception au niveau de l’Hexagone mais ce qui a été possible à la SBFM est possible ailleurs, à condition de créer un climat de confiance, être à l’écoute des salariés, les respecter sans jamais les trahir.
Lors du conflit, comment avez-vous gardé votre cohésion face aux stratégies patronales visant à diviser les salariés dans leur lutte ? Quels sont les éléments déterminants qui ont permis votre victoire totale avec, rappelons-le, le rachat par le groupe Renault sans licenciement et sans avoir touché aux protections des salariés ?
Là encore ce sont les salariés de la SBFM, les orfèvres d’une mobilisation basée sur tout le monde ou personne. Quand on a été confronté au choix entre une liquidation ou la perte de 50 % d’effectifs sur 540 salariés,
la mobilisation a été spontanée avec dès le départ comme revendications : zéro licenciement et pérennité de l’entreprise, auxquelles l’ensemble des salariés a adhéré. Quand on monte sur l’échafaud, personne n’a envie de se faire couper la tête. Certains ont douté de cette stratégie qui peut paraître jusqu’au-boutiste. Mais cette cohésion a permis de ne pas varier en fonction des étapes. Nous avons également calqué nos revendications sur les propres déclarations de nos principaux clients, Renault et PSA, qui considéraient la SBFM incontournable. Nous avons contraint en deux étapes les actionnaires, les pouvoirs publics et les politiques sur leur responsabilité à s’engager : dans un premier temps sur la reprise de la SBFM par Renault avec le maintien des droits sociaux et de l’emploi, et dans un deuxième temps, avec une victoire économique et sociale le 16 juillet 2010, deux ans après, en obligeant Renault à investir 85 millions d’euros pour pérenniser le site. Nous maintiendrons la pression pour que Renault tienne ses engagements. Ce qui montre que sans la lutte des salariés de la SBFM, rien n’aurait été possible, y compris les négociations nécessaires. Sans ce levier, le résultat était connu d’avance !
Souvent dans ton livre, tu fais référence au concept d’un syndicalisme de classe et de masse. Peux-tu revenir sur ce concept ? L’orientation actuelle de la CGT confédérale n’est-elle pas un frein à la convergence des luttes légitimes des salariés ?
Je considère qu’au niveau des instances, il y a éloignement par rapport aux bases syndicales : elles ne sont pas à l’écoute et sont déconnectées d’un certain nombre de réalités au quotidien dont on débat régulièrement avec les salariés. On l’a bien mesuré au moment du mouvement des retraites. C’est vital aujourd’hui de prendre des positions de classe et de masse, la lutte de classe n’a jamais été autant d’actualité ! L’orientation confédérale est très certainement un frein, pas encore un frein à main, je dirais que l’on est sur la pédale douce. On s’oriente plus vers un syndicalisme d’accompagnement et d’adhérents. Cela me fait penser à la CFDT. Certes il faut des adhérents, mais il faut surtout être en phase avec les revendications des salariés. L’exemple de la SBFM est significatif : 80 % de syndiqués sur un effectif de 440 salariés, soit plus de 300 syndiqués actifs et 98 % aux élections professionnelles. Cela prouve que l’on est en phase avec les revendications des salariés et forcément en marge des positions formatées de la confédération et de la fédération. Ce n’est pas les effets d’annonce qui créent une mobilisation, il faut les fédérer et ne pas opposer les luttes les unes aux autres. Quand je dis cela, je fais référence à l’année 2009 qui a été émaillée de grandes grèves dans les filières de l’automobile et de la chimie, qui ont été des luttes exemplaires au même titre que la nôtre et à partir de là je salue les luttes des Conti, Molex et New Fabris. Face aux Conti, la confédération a prétexté qu’ils n’avaient pas assez de syndiqués. Moi je veux bien mais les syndiqués, ça ne s’invente pas. Et je me pose souvent et encore la question : quelle aurait été la position des instances si on avait annoncé le 26 juin 2009 la liquidation de la SBFM ? Quelle aurait été leur solidarité, leur soutien si on avait décidé de continuer la lutte de manière plus radicale ? Nous aurait-on considérés jusqu’au-boutistes ?
Que dirais-tu aux partisans de la politique « rose bonbon bonbon rose » de Hollande présentée comme l’alternative à Sarkozy et au diktat de l’oligarchie financière ?
C’est la formule que j’ai employée : tirer les enseignements « blanc bonnet bonnet blanc » avec une formule qui pourrait être « bonbon rose rose bonbon ». Ce n’est pas moi qui ai qualifié le candidat à la présidentielle de gauche molle : c’est venu de son propre parti. à l’écoute des premières prises de position, on peut se rendre compte des premières démarches : c’est manger dans un premier temps dans la main des Verts avec des tractations plus que nébuleuses et dans un second temps du Modem. Le décor commence à être déjà planté. Moi je tire les enseignements, au même titre que dans les luttes c’est-à-dire les hautes trahisons : du programme commun à l’union de la gauche en passant par la gauche plurielle. Chat échaudé craint l’eau froide comme on dit.
Il est clair que sous le prétexte de la crise de la dette, les capitalistes veulent faire les poches des peuples d’Europe, la grève des masses semble être l’unique solution pour les peuples. Comment construire cette grève générale du xxie siècle ? Comment les organisations syndicales et politiques les plus combatives peuvent-elles jouer un rôle d’avant-garde ?
On sait très bien, même si on le revendique, que la grève générale ne se décrète pas d’un coup de baguette magique. C’est une certitude. Par contre ce que je regrette, là encore, c’est que l’on a eu l’occasion, à plusieurs reprises à partir des différentes mobilisations en 2009-2010, de créer ces conditions, c’est-à-dire d’élargir le mouvement, d’être force de propositions auprès des salariés à la hauteur des coups portés que ce soit sur les retraites, les conditions de travail, les salaires… Encore une fois, les instances n’ont pas été à l’écoute de la base. Encore une fois c’est ça qui me dérange, la grève générale est un sujet tabou, voire un délit d’opinion. Cela a été le cas lorsque l’idée a été évoquée au sein de la CGT et dans d’autres organisations syndicales (même si je rappelle que cela doit se construire). En clair « c’est au pied du mur qu’on reconnaît les maçons… ».