En proclamant l’état d’urgence (pratiquement la loi martiale), le 3 novembre dernier, avec l’aval officieux des Etats-Unis, le général Musharraf a réalisé un nouveau coup d’Etat contre le peuple du Pakistan. Pour lui, il s’agissait au départ de mener une opération chirurgicale contre les milieux de la justice et des médias, de plus en plus critiques à l’égard du pouvoir mafieux de l’armée. En effet, les juges pointaient du doigt la disparition de prisonniers d’opinion, de même que la corruption entourant l’accélération des privatisations. De leur côté, les médias laissaient filtrer de plus en plus souvent des informations gênantes et des opinions critiques.
Le coup du 3 novembre a cependant suscité une courageuse résistance des avocats et des militant-e-s des droits de l’homme, en partie liés au Parti du Peuple de Benazir Bhutto. De ce fait, les négociations entre le pouvoir militaire et l’ancienne présidente, encouragées par les Etats-Unis, ont été subitement interrompues. De nombreux militant-e-s du Parti du Peuple Pakistanais sont aujourd’hui réprimés… et Mme Bhutto est maintenue sous contrôle militaire, malgré la levée de son assignation à résidence.
Depuis le milieu de la semaine du 5 au 11 novembre, la polarisation politique a poussé à la polarisation sociale. Celle-ci se nourrit de l’appauvrissement général de la population, causée par l’un des programmes néolibéraux les plus brutaux d’Asie... Jeudi 8 novembre, The News International titrait ainsi : « Le pouvoir étudiant sort de sa léthargie ». Le lendemain, les ouvriers proches du Parti du Peuple s’affrontaient à la police à Rawalpindi, débouchant sur 5000 interpellations. La longue Marche de Lahore à Islamabad (275 km) contre l’état d’urgence, appelée le 13 novembre par Benazir Bhutto, a été interdite…
Plateforme d’intervention des Etats-Unis dans toute la sous-région, le Pakistan est aussi un laboratoire néolibéral de la pire espèce. Comme le relevait une note des services économiques du gouvernement Musharraf, datée du 17 février dernier : « les trois piliers de l’économie pakistanaise sont la dérégulation, la libéralisation et la privatisation ». On ne pouvait être plus clair ! En effet, depuis 1991, le pays a privatisé 163 entreprises publiques et un rapport de l’International Finance Corp. et de la Banque Mondiale, intitulé « Doing Business in 2006 », place le Pakistan en tête des pays « ouverts aux réformes » de l’Asie du Sud.
Enfin, la Suisse n’est pas insensible aux charmes de ce pays. En 2006, les exportations du Pakistan vers la Suisse ont crû de 50%, motivant la visite, au début de cette année, d’une délégation officielle de Berne, dirigée par Monika Ruhl Burzi, ambassadrice et membre de la direction du SECO, responsable du développement des relations bilatérales avec les pays émergents. Celle-ci a affirmé à M. Zahid Hamid, Ministre de la privatisation et de l’investissement du Pakistan (sic !), que « les compagnies suisses opérant au Pakistan se sentaient très à l’aise et avaient l’intention de continuer à augmenter le volume de leurs investissements ». Les exportations d’armes de la Suisse vers ce pays en crise s’inscrivent dans ce contexte.
Le général Musharraf est de plus en plus isolé, dénoncé aux Etats-Unis même par l’Association des avocats… Le 5 novembre dernier, la bourse de ce pays perdait 5 milliards $, sa pire journée depuis 17 ans. Et malgré l’annonce du maintien des élections législatives en janvier, le régime de Pervez Musharraf ne peut se maintenir qu’avec le soutien effectif de l’Administration Bush, quelles que soient les précautions oratoires de Condolezza Rice…
Contre la logique du fait accompli et contre le pouvoir des casernes, solidaritéS revendique la levée immédiate de l’état d’urgence au Pakistan, la libération de tous les prisonniers politiques (plus de 10 000 aujourd’hui) et le rétablissement de l’ensemble des libertés garanties par la Constitution. Nous soutenons les organisations de la société civile, plus précisément le mouvement syndical et la gauche anticapitaliste, en particulier le Parti du travail du Pakistan. Nous revendiquons l’arrêt de toute ingérence extérieure dans la politique du Pakistan, l’annulation de la dette odieuse de ce pays, ainsi que l’interruption de toute collaboration militaire et économique de la Suisse avec le régime pro-impérialiste et néolibéral de choc du général-président Pervez Musharraf.