La décision du président pakistanais Pervez Musharraf d’imposer l’état d’urgence, samedi 3 novembre, est perçue par la presse anglo-saxonne comme un revers de taille pour la diplomatie américaine. Selon l’éditorial du New York Times du mardi 6 novembre, la « répression » menée par Islamabad « souligne l’échec de la politique du président Bush à l’égard d’un allié clé dans la guerre contre le terrorisme ».
Pour le Financial Times, il s’agit « de la rupture la plus significative » entre le Pakistan et les Etats-Unis depuis 2001, lorsque le président Bush avait prévenu le général Musharraf : « Soit vous êtes avec nous, soit vous êtes contre nous. » Cet avertissement avait conduit le Pakistan à se retourner contre les talibans afghans, après les avoir financés, rappelle le quotidien économique londonien.
« L’ESSENTIEL » DE L’AIDE AU PAKISTAN « ÉVAPORÉ »
Un piège semble être en train de se refermer, et pour le New York Times, « les Etats-Unis n’ont plus devant eux que de mauvaises options ». C’est toute la stratégie d’alliance américaine qui paraît devoir être mise en question. « Les Etats-Unis peuvent-il faire pression sur Musharraf ? », interroge avec scepticisme le Time Magazine. Plusieurs analystes s’arrêtent sur l’aveu d’impuissance lâché à demi-mot lundi par Robert Gates, le secrétaire américain à la défense. Ce dernier a en effet concédé que les Etats-Unis sont en train de « reconsidérer tous les programmes d’assistance militaires » au Pakistan avant d’ajouter : « Nous sommes soucieux de ne rien faire qui pourrait saper les efforts anti-terroristes actuels. »
L’alliance entre le Pakistan et les Etats-Unis prête depuis longtemps le flanc à de nombreuses critiques. Pour le San Francisco Chronicle, « même avant cette dernière initiative de Musharraf, le Congrès [américain] avait bien des raisons d’examiner de très près la façon dont le Pakistan a dépensé les dix milliards de dollars versés par Washington au cours de six dernières années ». Le New York Times souligne que « l’essentiel » de ces aides débloquées depuis les attentats du 11 septembre 2001 « s’est évanoui ».
Evoquant « la nature faustienne » des relations entretenues par Washington à l’égard d’Islamabad, l’éditorialiste du quotidien new-yorkais apprécie amèrement la stratégie de Washington : « M. Bush (...) dit qu’il ne peut pas gagner la guerre anti-terroriste sans le général Musharraf, mais il ne parvient clairement pas à la remporter avec lui. »
« DE LONGUES ANNÉES D’ERREURS ET DE NÉGLIGENCES »
The Guardian affirme de son côté qu’un tournant géopolitique est proche. Selon le quotidien de gauche londonien, la diplomatie américaine est débordée non seulement sur le front pakistanais, mais également sur ceux de la Palestine et du Kurdistan irakien. Si Condoleezza Rice a évoqué « un moment très délicat », The Guardian juge son action inefficace : pour lui, elle s’est montrée à nouveau incapable « de fournir à la Turquie une bonne raison, publiquement acceptable, de ne pas envahir le nord de l’Irak pour poursuivre les militants kurdes (...) du PKK ». De même, « l’escale de Mme Rice samedi en Israël a été improductive (...), déclenchant de nouveaux doutes sur l’utilité de la conférence pour la paix promue par les Etats-Unis, vaguement programmée ce mois-ci ou le moins prochain à Annapolis ».
Tandis que l’éditorial du New York Times fustige « le gâchis pakistanais », le Guardian conclut : « En Israël-Palestine aussi bien qu’au Pakistan et en Turquie, Mme Rice et ses collègues sont en train de payer le prix de longues années d’erreurs et de négligences ».