Il nous faut donc trouver un équilibre délicat et unique en son genre. Nous sommes l’allié des États-Unis dans cette partie du monde en vertu d’un traité conclu en 1951, ce qui est une conséquence du fait que nous avons été leur ancienne colonie. Le Japon a envahi les Philippines au début de la Seconde Guerre mondiale, principalement en raison de la présence de bases militaires américaines dans le pays. Six ans après la fin de cette guerre, l’Amérique s’est engagée, dans le cadre du traité de défense mutuelle américano-philippin de 1951, à défendre les Philippines contre toute agression extérieure dans le futur.
Mais plus que ce traité, c’est la « relation spéciale » entre les deux pays qui, pour le meilleur ou pour le pire, a placé les Philippines plus étroitement que tout autre pays de l’Asean dans l’orbite de la puissance géostratégique américaine. Les États-Unis ont toujours considéré les Philippines comme leur principal avant-poste en Asie du Sud-Est. En retour, les dirigeants de notre pays ont reconnu ce fait en mettant en place des solutions permettant de maintenir la présence des forces américaines dans le pays, même après l’expiration de l’accord sur les bases militaires entre les États-Unis et les Philippines, en 1991. Aujourd’hui, nous continuons d’être non seulement la société la plus occidentalisée de la région, mais aussi la plus américanisée. Tous les sondages d’opinion confirment la solidité de ce sentiment pro-états-unien. Tous ces éléments ont malheureusement amené nos voisins, et pas seulement la Chine, à nous considérer comme un auxiliaire complaisant des intérêts américains.
Conscients des conséquences de ce lien avec les États-Unis sur les perspectives du pays dans un monde de plus en plus multipolaire, des voix nationalistes philippines n’ont cessé d’évoquer la nécessité de diversifier nos relations économiques et politiques avec le reste du monde en adoptant une politique étrangère indépendante des besoins de la grande puissance états-unienne. L’une des questions clés de ce dossier a été notre attitude à l’égard de la montée en puissance économique et militaire de la Chine.
En 1975, les Philippines de Marcos père ont décidé qu’il était temps d’établir des relations diplomatiques avec la « Chine rouge » voisine, malgré le soutien à peine voilé de cette dernière aux groupes rebelles maoïstes locaux. Cette ouverture ne s’est toutefois pas faite dans un espace vide. Elle a eu lieu dans le contexte du rapprochement entre les États-Unis et la Chine, qui a commencé avec la visite en 1971 de Henry Kissinger, conseiller à la sécurité nationale de Richard Nixon, suivie de la visite historique du président Nixon lui-même l’année suivante. Ce n’est donc pas une coïncidence si le rapprochement de l’Amérique avec la Chine s’est fait à un moment où les relations sino-soviétiques s’étaient détériorées jusqu’au point où les deux puissances socialistes risquaient de se faire la guerre.
Ainsi, après avoir été perçue comme un exportateur de révolution vers le tiers-monde, la Chine est devenue du jour au lendemain la coqueluche de l’Occident. Les États-Unis se sont empressés d’ouvrir leurs universités aux jeunes Chinois pour qu’ils y étudient les dernières avancées technologiques et, espérait-on, les valeurs susceptibles de transformer la Chine en une société capitaliste et en une démocratie à part entière. En retour, la Chine a ouvert ses portes aux plus grandes entreprises du monde, les attirant par sa réserve abondante de main-d’œuvre bon marché, travailleuse et docile, et par ses lois environnementales laxistes. L’objectif ultime des dirigeants chinois était, bien entendu, d’accélérer l’acquisition de technologies modernes qu’ils pourraient utiliser pour accélérer la modernisation de leur propre économie et de leur appareil militaire.
Quatre décennies de mise en œuvre méthodique et calibrée des technologies et des connaissances occidentales avancées ont conduit la Chine là où elle se trouve aujourd’hui : une économie hautement développée qui domine le reste du monde dans pratiquement tous les secteurs de la technologique de pointe, sous l’œil vigilant d’un Parti communiste où règne la plus grande discipline. C’est cette Chine qui défie aujourd’hui la suprématie des États-Unis dans presque tous les domaines - économique, technologique, militaire, etc. Comme le rappelle le dirigeant chinois Xi Jinping à son peuple, l’ère de la soumission à la domination étrangère est révolue. La Chine a trouvé et pris sa place dans le monde moderne, et elle fait savoir qu’elle ne tolérera plus aucune menace pour son existence et ses intérêts nationaux.
Il serait donc facile d’exprimer son admiration pour l’incroyable réussite de la Chine et pour sa détermination si nous pouvions un instant fermer les yeux sur l’arrogance glaciale et le cynisme avec lequel elle fait usage de sa puissance oppressive, lesquels semblent aller de pair avec sa montée en puissance phénoménale. L’un des moyens d’exercer une influence mondiale que la Chine semble avoir négligé de cultiver est la puissance douce, c’est-à-dire la capacité à influencer les comportements sur le long terme.
Dans sa détermination à faire valoir ses nouvelles capacités dans divers domaines, la Chine, avide de reconnaissance, a fait étalage de procédés agressifs, tels que le recours à la force brute pour imposer la soumission lorsque le recours à sa puissance financière ne fonctionne pas. Les États-Unis font de même, mais ils s’efforcent toujours de masquer leur agressivité sous des idéaux. La Chine, elle, cherche simplement à se faire craindre.
Randy David - @inquirerdotnet