Une alliance qui n’empêche pas une certaine prise de distance. Quelques jours après que le président des Etats-Unis, Donald Trump, eut lancé une invitation à son homologue philippin, Rodrigo Duterte (aucune date n’a été fixée pour l’instant), Manille et Washington ont commencé lundi leurs exercices militaires annuels – nom de code : « Balikatan » (épaule contre épaule).
Ces manœuvres conjointes, effectuées sur le sol philippin, n’ont toutefois pas la même ampleur que les années précédentes. De fait, les effectifs déployés sur zone pendant dix jours – 2 800 soldats côté philippin, 2 600 du côté américain, soit 5 400 hommes au total – sont très inférieurs à ce qu’ils étaient l’an dernier (11 500 participants). [1], Voice of America, https://www.voanews.com/a/us-philippines-engage-in-joint-military-exercises/3842140.html]].
Bien que le ministre de la défense philippin, Delfin Lorenzana, ait appelé à la poursuite d’un « lien sécuritaire fort et d’une relation bilatérale solide », les deux partenaires semblent désormais poursuivre des routes, sinon parallèles, du moins divergentes. Cet éloignement relatif tient essentiellement à la volonté du chef de l’Etat philippin de privilégier un rapprochement avec la Russie de Vladimir Poutine et la Chine de Xi Jinping. [2]
Depuis son élection à la tête de l’archipel de 100 millions d’habitants, en mai 2016, le très capricant Rodrigo Duterte a, en effet, exprimé à plusieurs reprises son intention de s’éloigner des Etats-Unis, auxquels les Philippines sont liées par un traité de défense mutuelle depuis 1951 [3], pour mieux se tourner vers Moscou et Pékin (avec qui Manille entretient pourtant un contentieux territorial en mer de Chine méridionale).
La semi-volte-face philippine n’est pas fortuite. M. Duterte n’a guère goûté les critiques qu’il a essuyées il y a quelques mois de la part de Barack Obama à propos de la guerre quotidienne livrée aux trafiquants de drogue. Une lutte sans merci qui a déjà fait plus de 7 000 morts et a été vitupérée par la communauté internationale [4] et diverses associations de défense des droits de l’homme.
D’ailleurs, dans un récent éditorial, le Los Angeles Times [5] n’a pas manqué de se demander pour quelle raison Donald Trump voulait convier à la Maison Blanche un « tueur autoproclamé ». Est-ce par pure « realpolitik » ? Adrian Chen, du New Yorker [6], estime que cela reflète plutôt sa dilection pour les hommes d’action, autoritaires de préférence, et son dédain pour les institutions internationalistes, perçues comme des freins à l’esprit d’initiative.
Pour Michael Mazza, chercheur au sein du cercle de réflexion conservateur American Enterprise Institute, cet éventuel face-à-face à Washington serait salutaire. « Après tout, à long terme, dans une Asie dominée par la Chine, Pékin risque de faire bien plus de tort à la cause des droits de l’homme que Rodrigo Duterte, un président démocratiquement élu et limité par la loi à un mandat unique de six ans. » [7]
Aymeric Janier