La Chine sème la peur dans le monde et un conflit militaire avec elle n’est plus à écarter. Ces propos pour le moins alarmistes sont ceux du président philippin, qui a décidé de hausser le ton à propos de la dispute maritime qui oppose son pays à la Chine.
Dans une interview accordée à l’Agence France-Presse publiée mardi 14 avril, Benigno Aquino n’hésite pas à dire que le grignotage incessant par les Chinois de zones contestées de la région a des raisons de « faire peur au monde entier ». Selon lui, « tous les dirigeants mondiaux devraient avoir à l’esprit le fait que [cette dispute] peut susciter une escalade incontrôlable », même si le chef de l’Etat philippin pense que les Chinois n’iront pas jusqu’à s’engager dans un conflit militaire. Mais, selon lui, le risque de dérapage existe. Les propos de M. Aquino visent très nettement à internationaliser la portée de la dispute quand il prévient que, compte tenu que « 40 % du commerce mondial transitent à travers ces eaux », les menaces sont sérieuses.
Bancs de sables consolidés
Depuis 2012, parmi tous les pays de la région avec lesquels Pékin entretient des contentieux territoriaux, les Philippines se sont montrées les plus acerbes. Tout avait commencé au printemps de cette année-là quand la Chine avait envoyé ses chalutiers aller pêcher au large des îlots de Scarborough, situés dans la zone économique exclusive des Philippines que garantit le droit de la mer sur le plan international. Ces îlots, qui ne sont rien que des bancs de sable ou des rochers parfois immergés à marée haute, sont situés à plus de mille kilomètres des côtes chinoises les plus proches et à quelques centaines de kilomètres des côtes philippines. Un face à face tendu s’était ensuivi entre une frégate de la marine philippine et des patrouilleurs chinois.
Les images satellites publiées récemment montrant une flottille de bateaux chinois en train de consolider les bancs de sable autour de l’îlot de Mischief ont provoqué une nouvelle tension entre Pékin et Manille, dans une zone située à une centaine de kilomètres de l’île de Palawan, au sud de l’archipel philippin. Et encore à un millier de kilomètres des côtes chinoises…
Des images d’autres îlots du même ordre également situés dans l’archipel des Spratleys, l’une des deux grandes zones revendiquées par la Chine, sont également un motif de préoccupation pour le président philippin : « On y voit des pistes d’atterrissage, l’une déjà opérationnelle, dont deux construites à portée de main » de l’archipel philippin, précise Benigno Aquino, évoquant une menace militaire directe.
Manœuvres militaires
Selon un diplomate européen contacté à Manille, le président philippin « ne croit plus à la possibilité de négociation avec la Chine ; il n’hésite donc plus à user de la carte de la provocation verbale. » Le chef de l’Etat a beau avoir saisi, il y a deux ans, un tribunal arbitral dans le cadre de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM), il sait « néanmoins que les chances de voir cette procédure aboutir sont très faibles », en dépit du fait que Manille a reçu sur ce dossier l’appui du Japon et des Etats-Unis, estime aussi la même source.
Le soutien accordé par Barack Obama à Benigno Aquino au début de la crise n’a cependant jamais été très explicite, même si les récentes critiques américaines à l’égard de l’expansion chinoise en mer de Chine méridionale ne peuvent que renforcer l’attitude du président philippin. La semaine dernière, Washington et Manille ont en outre annoncé que leurs manœuvres militaires communes, qui débutent lundi prochain, seront les plus importantes en quinze ans et comprendront des exercices le long de côtes faisant face à la mer de Chine méridionale. Notamment dans l’ancienne base navale américaine de San Miguel, située dans la province de Zambales, qui est à moins de deux cents kilomètres des îlots de Scarborough, là où la crise a débuté il y a trois ans.
Les manœuvres vont engager environ 11 000 soldats et marins des deux armées, ce qui est le double des troupes mobilisées durant les exercices de l’année dernière. Officiellement, a assuré un porte-parole des armées philippines, ce déploiement de troupes n’est en aucun cas un message envoyé à la Chine.
Bruno Philip (Bangkok, correspondant en Asie du Sud-Est)
Journaliste au Monde