Pékin a déroulé le tapis rouge à Emmanuel Macron lors de sa visite en Chine de mardi à samedi, mais le président français s’est pris les pieds dedans. Battant les records d’impopularité en France en raison de la réforme des retraites, il pensait s’accorder une pause et redorer son blason grâce à sa première visite chez le géant asiatique depuis la pandémie de Covid-19.
Accompagné d’une délégation d’une cinquantaine de chefs d’entreprises avides de contrats, le président français était aussi parti avec l’idée de placer l’Ukraine au cœur de sa visite et de persuader Xi Jinping de jouer un rôle de modérateur auprès de Vladimir Poutine.
Naïveté ? Péché d’orgueil ? Arrogance ? Sûrement un peu de tout cela, car, finalement, comme l’ont raconté les envoyés spéciaux du Monde, il n’a rien obtenu. « Je sais pouvoir compter sur vous pour ramener la Russie à la raison et tout le monde à la table des négociations », a-t-il flatté Xi Jinping lors d’un tête-à-tête. Mais cela n’a pas suffi. Le dirigeant chinois a répondu par quelques généralités et promis d’appeler le président ukrainien Volodymyr Zelensky sans donner de date précise. Et surtout sans dévier de sa position de faire quoi que ce soit qui nuirait à son partenaire russe.
Xi Jinping et Emmanuel Macron le 7 avril 2023, à Guangzhou © Thibault Camus / POOL / AFP
Le voyage du président français était d’autant plus risqué qu’il intervenait à un moment de tensions autour de l’épineuse question de Taïwan ; or c’est sur ce dossier qu’il a fait une sortie de route et provoqué le mécontentement aux États-Unis – « Macron se trompe sur Taïwan – et l’Ukraine », a écrit le Wall Street Journal – et de certains pays européens.
La question de Taïwan est un dossier complexe et volatil, en raison de la présence de la Chine, qui revendique cet archipel, et des États-Unis, qui se sont déclarés prêts à défendre la République de Chine, dénomination officielle de cet État démocratique isolé diplomatiquement.
Ces dernières années, la République populaire de Chine a augmenté la pression sur Taïwan en raison de l’élection de Tsai Ing-wen, qui refuse la solution proposée par le Parti communiste chinois (PCC) : celle d’« un pays, deux systèmes ». On a vu à Hong Kong comment le PCC a balayé ce système qui était censé permettre aux habitant·es de l’ancienne colonie britannique de bénéficier d’une semi-autonomie et de certaines libertés jusqu’en 2047. On comprend donc que la majorité des Taïwanais, qui vivent en démocratie et se sentent de moins en moins chinois, rejettent toute réunification sous l’égide d’une dictature communiste.
De manière de plus en plus évidente, depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, Pékin cherche à remettre en cause le statu quo qui existait jusqu’à présent, permettant à la Chine continentale et à Taïwan d’échanger, de commercer et de vivre en paix.
Alors que Macron rencontrait Xi Jinping, la présidente de Taïwan Tsai Ing-wen voyait, en Californie, le président de la Chambre des représentants, Kevin McCarthy. Colère de Pékin qui a déclenché des manœuvres militaires autour de l’archipel, juste après le départ du président français.
Dans ce contexte, l’interview qu’il a accordée à trois médias (Les Échos, Politico et France Inter) dans son avion de retour a suscité un sentiment de malaise. Le président français, qui s’est déjà illustré récemment lors d’une tournée en Afrique, est allé à l’encontre de toutes les positions prises par la France sur la question en se mettant au diapason de la position chinoise.
« Avons-nous intérêt à une accélération sur le sujet de Taïwan ? Non. La pire des choses serait de penser que nous, Européens, devrions être suivistes sur ce sujet et nous adapter au rythme américain et à une surréaction chinoise », a-t-il dit, selon Politico, ce qui revient à absoudre la République populaire de Chine de ses responsabilités dans la montée des tensions. Il a également déclaré : « Les Européens n’arrivent pas à régler la crise en Ukraine, comment pouvons-nous dire de manière crédible sur Taïwan : attention, si vous faites quelque chose de mal, nous serons là ? Si vous voulez vraiment augmenter les tensions, c’est le meilleur moyen de le faire. »
Alors, certes, on peut s’accorder pour que l’Europe soit moins dépendante des États-Unis – la fameuse « autonomie stratégique » prônée par Macron –, mais pas au point d’apparaître comme des obligés de Pékin en reprenant son argumentaire sur Taïwan, alors qu’une guerre dans le détroit aura des conséquences planétaires vu son importance commerciale.
Dans une série de tweets, le spécialiste de la région Antoine Bondaz a jugé qu’« au prétexte de réalisme […], Macron ne fait qu’amener de l’incohérence et de l’ambiguïté dans sa politique étrangère, fragilisant ainsi la coopération avec nos partenaires affinitaires ». « Je n’aurais jamais pensé que la communication du président soit à ce point catastrophique et contre-productive », a-t-il ajouté.
Catastrophique, c’est l’adjectif que l’on peut utiliser pour qualifier la vidéo promotionnelle publiée sur son compte Twitter par Emmanuel Macron. On l’entend dire à son entourage, au sujet de Xi Jinping : « Oui, moi je suis à l’aise. Y compris sur le fond avec lui. Après j’attends de voir la dynamique. » Et la gêne est encore plus forte lorsque le président de la République française explique alors qu’apparaissent des images de militaires chinois défilant : « Je crois qu’il y a une attraction réciproque entre la Chine et la France, une fascination, une amitié, un chemin un peu singulier. »
Emmanuel Macron avait invité pour l’accompagner la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen afin d’afficher l’unité européenne. Mais les Chinois ont fait payer à cette dernière un discours critique tenu fin mars. Elle avait en particulier souligné « l’importance de la paix et de la stabilité dans le détroit de Taïwan ». « Tout affaiblissement de la stabilité régionale en Asie, la région du monde qui connaît la croissance la plus rapide, affecte la sécurité mondiale, la libre circulation des échanges et nos propres intérêts dans la région », avait-elle déclaré.
Comme l’explique Politico, Ursula von der Leyen a été accueillie par le ministre de l’écologie à l’aéroport et tenue à l’écart des accueils fastueux réservés à Macron.
Les déclarations du président français ne peuvent que renforcer le sentiment que les Européens sont plus que jamais divisés sur le dossier chinois. Dans l’avion de retour, face aux journalistes, Emmanuel Macron a expliqué avoir déjà « gagné la bataille idéologique de l’autonomie stratégique » de l’Europe, mais il a surtout perdu beaucoup de crédibilité auprès de nombre de ses partenaires, en Europe et ailleurs, alors que la guerre fait rage en Ukraine, où les États-Unis jouent un rôle essentiel.
« Si c’est ainsi que la France comprend l’autonomie stratégique, même en partie, alors ce sera la France toute seule - et dans une position très inconfortable », a réagi le directeur de l’Institut polonais des affaires internationales Sławomir Jan Dębski.
François Bougon