Cette tribune est le fruit d’un constat partagé et d’une préoccupation collective de nombreux acteurs de la société civile en France : mouvements sociaux, organisations de défense des droits humains, syndicats, organisations de solidarité internationale. Certaines de ces organisations sont néanmoins contraintes de demeurer anonymes et ne peuvent apposer leur signature car cette dernière risquerait de mettre en danger leurs partenaires indiens.
Alors que Narendra Modi, Premier Ministre de l’Inde, a été désigné comme l’invité d’honneur de la fête nationale du 14 juillet prochain - censée célébrer les droits humains - nous, organisations de la société civile, faisons part de nos vives inquiétudes face à la restriction majeure de l’espace civique, aux atteintes aux droits humains et aux violences récurrentes en Inde, en particulier à l’encontre des minorités notamment religieuses.
Nous demandons au gouvernement français, et à travers lui à l’Union européenne, de s’exprimer fermement contre ces abus et ces discriminations et de conditionner toute collaboration avec le gouvernement indien avec le fait de les faire cesser sans délai.
En effet, depuis l’accession au pouvoir du Bharatiya Janata Party (BJP), parti d’extrême droite nationaliste hindou en 2014, la situation des droits humains et des libertés fondamentales en Inde ne cesse de se détériorer. La répression et la violence d’État subies par les minorités, en particulier les minorités religieuses, ethniques ou encore de genre, et toute la société civile, les journalistes, les avocat·e·s ou les syndicalistes ne cesse de croître.
Elle se traduit de différentes façons, en particulier les arrestations et intimidations de militant·e·s, les « cas fabriqués » contre des leaders communautaires ou des défenseur·e·s des droits humains, les assassinats de journalistes et les attaques multiformes contre les ONG critiques.
On constate également la multiplication des accusations de « sédition » et de « terrorisme » ou encore l’imposition d’un langage et d’un récit stigmatisant, marquant la volonté d’isoler ces forces citoyennes du reste de la nation en les accusant d’être des « traîtres à la patrie » ou autres « agent·e·s de l’étranger ». En outre, les attaques contre les législations obtenues de haute lutte et marquant de premières avancées se multiplient, avec la non-application et le détricotage des lois de protection des travailleur·euse·s, de l’environnement et des populations marginalisées et historiquement opprimées (Dalits, Adivasis, minorités religieuses, etc.).
L’Inde ne cesse de régresser dans tous les classements internationaux relatifs aux droits humains, quel que soit l’angle d’analyse retenu. Selon les dernières études, elle se classe 160e sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse de 2023, 180e selon l’Indice de Performance Environnementale de 2022, 132e selon l’Indice de Développement Humain du PNUD de 2021, 107e selon de l’indice sur la faim dans le Monde, 135e selon l’Indice Mondial sur l’écart entre les genres, 135e selon l’Indice Global sur la Paix (Global Peace Index) de 2022, etc.
Les dérives autoritaires du régime et ses attaques répétées contre les institutions publiques et les contre-pouvoirs (universités, justice, médias) nous interpellent, d’autant que des pans entiers de la population indienne sont mis au ban de la société et menacés. Nos organisations ont documenté des atteintes majeures à l’État de droit et au fonctionnement libre des institutions dans le pays, ainsi qu’une véritable crise des droits humains. Ces alertes ont également été massivement relayées par la presse. Pourtant, ces dérives s’avèrent souvent dissimulées, normalisées par l’Inde et ses partenaires au motif que celle-ci serait la « plus grande démocratie du monde ».
Si la France et l’Inde se déclarent régulièrement « attachées aux valeurs communes que sont, les libertés fondamentales, l’État de droit et le respect des droits de l’Homme », la France doit mettre en adéquation ses paroles et ses actes en cessant de passer sous silence la véritable crise des droits humains en Inde. Les intérêts économiques et géopolitiques de notre pays ne sauraient justifier la normalisation et la banalisation de cette crise au nom de la construction d’un partenariat stratégique privilégié entre la France et le pays.
Nous appelons ainsi la France à faire preuve de responsabilité et de cohérence en annulant l’invitation du premier ministre indien en tant qu’invité d’honneur et en dénonçant publiquement les violations des droits fondamentaux, la persécution des minorités marginalisées et les discriminations croissantes documentées dans le pays, et en jouant ainsi un rôle moteur au sein de l’Union européenne afin que celle-ci enjoigne l’Inde à les faire cesser sans délai.
Nous réaffirmons également notre solidarité avec les citoyens et citoyennes, les organisations de la société civile, les syndicats et les militant.es indien.nes qui prennent des risques majeurs pour défendre les droits humains, les libertés fondamentales et la Constitution indienne.
Signataires :
Sophie Binet, Secrétaire générale de la CGT,
Cybèle David, Secrétaire nationale de l’union syndicale Solidaires
Celine Meresse, Présidente du CRID
Alice Picard, Porte-parole d’Attac France
Claude Sarcey, Co-président de l’UJRE
Dominique Sopo, Président SOS Racisme
Benoît Teste, Secrétaire Général de la FSU
Kaltoum Gachi, co-Présidente du MRAP