Un incendie et des affrontements se sont produits samedi soir dans cette prison de Téhéran, connue pour y détenir de nombreux prisonniers politiques. Le bilan continue de s’alourdir.
(Article mis à jour le 17 octobre 2022 à 8h31 : le bilan est passé de quatre à huit morts.)
Des flammes et des tirs. Samedi soir, au terme d’une nouvelle journée de manifestation contre le pouvoir en Iran, la prison d’Evin, au nord de la capitale Téhéran, s’est embrasée.
De sinistre réputation dans le pays, la bâtisse est connue pour abriter dans ses geôles de nombreux prisonniers politiques, notamment depuis le début du mouvement de contestation déclenché par la mort de Mahsa Amini.
Sur les réseaux sociaux, de nombreuses vidéos ont été publiées dans la soirée de samedi. Elles montrent de hautes flammes et des panaches de fumée s’échapper du bâtiment, le tout sous les claquements des tirs d’armes à feu et des bruits d’explosion. On y entend aussi « mort au dictateur », le slogan maintes fois scandé au sein des cortèges depuis le 16 septembre.
« Des troubles et des affrontements ont été observés samedi soir », a confirmé un haut responsable de sécurité cité par l’agence officielle Irna. Mais « en ce moment, la situation est complètement sous contrôle et le calme est revenu dans la prison », a-t-il ajouté, imputant le départ de feu à des « voyous ». Pourtant, huit prisonniers sont décédés. Un précédent bilan faisait état de quatre morts et de 61 blessés - dont quatre dans un état grave. Ces derniers, « sont décédés à l’hôpital », a indiqué ce lundi Mizan Online, le site de l’Autorité judiciaire. Toutes les victimes sont des condamnées pour vol, d’après cette source. Citant un procureur de Téhéran, Irna précise que les affrontements n’avaient « rien à voir avec les troubles récents dans le pays ».
« Un établissement notoirement brutal »
Depuis des années, la prison est connue pour les mauvais traitements infligés aux prisonniers politiques. Depuis le 16 septembre, des centaines de personnes arrêtées lors du mouvement de contestation y auraient été envoyées. Selon CNN, la prison est un « établissement notoirement brutal où le régime incarcère des dissidents politiques ». Cette vocation à accueillir des prisonniers politiques et le climat insurrectionnel en cours valent à la prison d’être comparée à la Bastille par certains acteurs de la mobilisation.
Sur Twitter, le journaliste irano-américain Jason Rezaian, incarcéré durant 544 jours à Evin, confirme la réputation terrible de la prison. « Evin n’est pas une prison ordinaire. Beaucoup d’Iraniens parmi les meilleurs et les plus brillants ont passé de longues périodes confinées là-bas, où des femmes et des hommes courageux se voient refuser leurs droits fondamentaux de dire la vérité au pouvoir. Le régime est responsable de ce qui arrive à ceux qui sont à l’intérieur en ce moment », a-t-il dénoncé, avec des photos de la prison en feu.
La prison d’Evin détient également des étrangers ou binationaux comme l’universitaire franco iranienne Fariba Adelkhah et l’Américain Siamak Namazi, qui a été réincarcéré cette semaine après une libération temporaire, selon sa famille. Le groupe de soutien de Fariba Adelkhah a affirmé avoir eu des nouvelles « rassurantes » la concernant. L’avocat américain de Siamak Namazi a déclaré que ce dernier avait parlé à sa famille et qu’il avait « été transféré dans une zone sécurisée de la prison ». La sœur d’un autre citoyen américain détenu à Evin, l’homme d’affaires Emad Shargi, a tweeté que sa famille était tout autant « morte d’inquiétude ».
L’universitaire australienne Kylie Moore-Gilbert, qui a séjourné à Evin pendant l’essentiel de ses 800 jours d’emprisonnement en Iran, a déclaré au Sydney Morning Herald que des proches de prisonnières politiques s’y trouvant lui avaient assuré que « toutes les femmes au sein du quartier des prisonnières politiques d’Evin sont en sécurité et indemnes ». Selon elle, « il est trop tôt pour savoir ce qui va se passer [dans le pays], mais il semble que ce sera une révolution. L’Iran ne peut pas revenir à ce qu’il était avant, ça c’est sûr ».
Côté gouvernement américain, l’inquiétude est de mise. « L’Iran est pleinement responsable de la sûreté de nos citoyens détenus à tort, qui doivent être libérés immédiatement », a averti sur Twitter Ned Price, porte-parole de la diplomatie des Etats-Unis. Il a également ajouté que Washington suivait le développement de l’incident « avec urgence ».
Le célèbre réalisateur iranien Jafar Panahi, lauréat de plusieurs prix internationaux, et le politicien réformiste Mostafa Tajzadeh se trouveraient eux aussi prisonniers au sein de cet établissement pénitentiaire.
« La vie de chaque prisonnier politique et de droit commun à Evin est menacée »
L’inquiétude est vive du côté des ONG de défense des droits humains. « La vie de chaque prisonnier politique et de droit commun à Evin est menacée », estime Iran Human Rights (IHR), une ONG basée à Oslo, en affirmant que les autorités avaient fermé les routes menant à la prison afin d’empêcher des manifestants de s’y rendre.
Des vidéos postées sur Twitter hier soir montrent en effet un important embouteillage sur la route menant à la prison. Selon des ONG, des manifestations ont eu lieu dans la nuit en solidarité avec les détenus d’Evin, après une journée de protestations contre la mort de Mahsa Amini, portée par le slogan « le début de la fin ! » du pouvoir.
« Des prisonniers, y compris des détenus politiques, sont complètement sans défense » à Evin, a souligné Hadi Ghaemi, directeur du Centre pour les droits de l’homme en Iran (CHRI) basé à New York. Pas de quoi rassurer non plus l’ONG pour la défense de la liberté d’expression Article 19 qui a quant à elle souligné être « extrêmement inquiète pour la sécurité des prisonniers ». Ce dimanche, dans une vidéo publiée par le média indépendant 1500tasvir, on peut apercevoir des dizaines de familles réunies devant les portes de la prison Evin.
Depuis le début du mouvement de contestation, au moins 108 personnes ont été tuées dans la répression, selon l’ONG Iran Human Rights (IHR). Amnesty International a affirmé qu’au moins 23 enfants de 11 à 17 ans avaient été « tués par les forces de sécurité ». Et des centaines de personnes ont été arrêtées.