Mojtaba Khamenei, le fils du guide suprême iranien Ali Khamenei, en 2019 (Reuters/Morteza Nikoubazl/NurPhoto)
Ali Khamenei prenant de l’âge sans clair favori pour le remplacer au poste de guide suprême de l’Iran, les spéculations se multiplient sur la possibilité que son fils Mojtaba lui succède.
Pourtant, un membre de l’Assemblée des experts, l’organe constitué de personnalités de haut rang qui élit les guides suprêmes, a insisté sur le fait qu’Ali Khamenei s’opposait à l’idée que son fils puisse un jour diriger la République islamique.
L’ayatollah Mahmoud Mohammadi Araghi a déclaré dans une interview accordée le mois dernier à l’agence de presse ILNA qu’Ali Khamenei rejetait l’idée que l’assemblée puisse ne serait-ce qu’envisager la possibilité que l’un de ses quatre fils devienne le guide suprême.
L’ayatollah Araghi a évoqué une discussion au sujet de l’un des fils du guide suprême, qui, selon lui, dispose d’une expertise de haut niveau en matière de fiqh islamique, soit la connaissance de la charia.
D’après Mahmoud Mohammadi Araghi, Ali Khamenei est intervenu, estimant que cela revenait à évoquer la possibilité d’un leadership héréditaire, et a interdit toute nouvelle évaluation sur l’aptitude de son fils à occuper ce poste.
Mahmoud Mohammadi Araghi a ensuite partagé une autre anecdote, selon laquelle Ali Khamenei a clairement indiqué qu’il s’opposait à ce que les proches des hauts dirigeants, et en particulier leurs enfants, acceptent des postes officiels.
En novembre, un membre de l’Assemblée des experts, l’ayatollah Rahim Tavakol, a révélé qu’une commission secrète de trois personnes avait été créée pour dresser une liste de personnes susceptibles de succéder à Ali Khamenei.
Les candidats qualifiés font l’objet d’une évaluation avant toute consultation auprès d’Ali Khamenei, a déclaré Rahim Tavakol.
Il semblerait que ce soit au cours des discussions au sein de cette commission que le guide suprême ait fait connaître sa position à l’égard de son fils Mojtaba Khamenei.
L’ascension de Mojtaba
Le débat sur la succession d’Ali Khamenei devient de plus en plus houleux.
Les détracteurs du guide suprême, tant à l’intérieur du pays qu’à l’étranger, accusent l’establishment de préparer le terrain pour que Mojtaba Khamenei puisse le remplacer.
Depuis 2005, des rumeurs circulent selon lesquelles Mojtaba Khamenei, le deuxième des quatre fils d’Ali Khamenei, joue un rôle de premier plan dans la prise de décision, rumeurs qui n’ont fait que s’amplifier au fil des ans.
Lors des élections de 2005, le leader réformiste Mehdi Karroubi a écrit à Ali Khamenei pour l’exhorter à réduire l’influence de Mojtaba Khamenei.
Il a mis en garde le guide suprême contre ce qu’il percevait comme « les interventions de Mojtaba Khamenei en faveur de Mahmoud Ahmadinejad » et a prié Ali Khamenei de s’y opposer.
Ali Khamenei vote lors des élections de l’Assemblée des experts le 1er mars à Téhéran (Sobhan Farajvan/ Reuters)
À la suite de l’élection contestée de 2009 qui s’est soldée par la victoire de Mahmoud Ahmadinejad, des milliers de manifestants iraniens ont scandé « Mojtaba, tu mourras, mais tu ne seras pas le dirigeant » à travers les villes du pays.
Mir Hossein Moussavi, le leader réformiste assigné à résidence pour avoir déclaré que les élections de 2009 étaient truquées, a publié une déclaration il y a deux ans mettant en garde contre le « leadership héréditaire ».
« Les dynasties iraniennes, vieilles de 2 500 ans, sont-elles de retour pour qu’un fils accède au pouvoir à la suite de son père ? », a-t-il demandé.
« Cela fait treize ans que nous entendons parler de cette conspiration. S’ils ne la poursuivent vraiment pas, pourquoi ne nient-ils pas pour une fois de telles intentions ? »
Dans une réponse indirecte, l’Assemblée des experts a ensuite insisté sur le fait que le processus de sélection du guide suprême serait basé sur « la méritocratie en choisissant la personne la plus qualifiée ».
Voie bloquée ?
Une source bien informée parmi les conservateurs n’a laissé planer aucun doute sur le fait que l’intervention de Mahmoud Mohammadi Araghi était loin d’être improvisée.
« Mohammadi Araghi est également le président discret du bureau du dirigeant à Qom, et ce qu’il a dit était sans aucun doute planifié à l’avance – une décision visant à tester la réaction de la société et à rendre le public moins sensible à Mojtaba », affirme-t-il à Middle East Eye, sous le couvert de l’anonymat.
« Je pense que Khamenei peut dire ce qu’il veut au sujet de son fils, mais cela ne signifie pas nécessairement que la voie vers le leadership est bloquée pour Mojtaba. De plus, si l’Assemblée le nomme guide suprême, cela sera considéré comme une élection démocratique par des membres élus par le peuple, ce qui écarte les préoccupations de nature monarchique ».
Une autre personnalité conservatrice, qui a exercé au sein de l’establishment dirigeant iranien, fait remarquer qu’Ali Khamenei n’a pas réellement nié, dans l’anecdote rapportée par Mahmoud Mohammadi Araghi, que Mojtaba Khamenei possédait les qualifications jurisprudentielles et politiques requises pour devenir le guide suprême.
« Le point essentiel est que Khamenei a pratiquement confirmé les capacités politiques et jurisprudentielles de Mojtaba »
- Source conservatrice
« Plutôt, il n’a fait qu’exprimer ses inquiétudes quant à l’aspect héréditaire de la désignation du leadership. Il pourrait donc s’agir d’une simple formalité politique. Le point essentiel est que Khamenei a pratiquement confirmé les capacités politiques et jurisprudentielles de Mojtaba », précise-t-il.
« Supposons que le guide soit opposé à cette idée, mais ce qui est décidé maintenant peut changer plus tard, d’autant plus que Mojtaba détient à présent un pouvoir et des alliés importants. »
La source évoque l’exemple du roi Abdallah d’Arabie saoudite qui a nommé Mohammed ben Nayef vice-prince héritier de l’époque afin d’orienter les futures lignes de succession. Pour autant, note la source, Mohammed ben Salmane a pu écarter Mohammed ben Nayef en 2017 et le remplacer en tant que prince héritier. « Par conséquent, rien n’est définitif et certain. »
D’après la source conservatrice, Ali Khamenei aurait également fait barrage à l’accession de Mojtaba Khamenei à la fonction de guide suprême.
« Il avait découvert que Mojtaba se préparait à occuper une telle position après sa publication d’un manuscrit de fatwa. Toutefois, le dirigeant a déclaré qu’il ne voulait pas que la République islamique se transforme en monarchie », poursuit-il.
« Malgré tout, je pense que la mort du guide suprême peut tout changer et que Mojtaba pourrait accéder au pouvoir. »
Efforts ultraconservateurs
Début mars, les Iraniens ont voté pour renouveler les 88 sièges de l’Assemblée des experts. Cette élection devrait être la dernière de l’assemblée avant la mort d’Ali Khamenei, qui sera alors chargée de choisir le prochain dirigeant.
Le sondage et l’examen des candidats par le Conseil des gardiens de la Constitution ont été largement considérés comme des indicateurs des candidats qui pourraient arriver au pouvoir. Le Conseil des gardiens de la Constitution a notamment exclu de manière controversée l’ancien président Hassan Rohani et d’autres personnalités modérées.
Selon un éminent religieux basé dans la ville sainte de Qom, un groupe de « radicaux » ultraconservateurs, connu sous le nom de Front pour la stabilité de la révolution islamique, fait partie de ceux qui prétendent au pouvoir.
Fondé en 2012 par l’ayatollah ultraconservateur Mohammad Taqi Mesbah Yazdi, qui a dirigé le groupe jusqu’à sa mort en 2021, le Front pour la stabilité de la révolution islamique compte des membres et des partisans dans toutes les institutions iraniennes et bénéficie d’une présence importante au Parlement.
« J’ai appris qu’ils nourrissaient des ambitions et faisaient pression pour qu’une personne très proche de Mesbah Yazdi devienne le prochain dirigeant », indique-t-il.
Cette personne n’est pas le président Ebrahim Raïssi, précise-t-il.
Cependant, Ebrahim Raïssi ne manque pas d’ambition. Selon un rédacteur d’un journal conservateur, l’équipe du président Ebrahim Raïssi et son cercle proche, y compris ses gendres, veulent le positionner en tant que successeur possible d’Ali Khamenei.
Le rédacteur déclare toutefois à MEE ne pas penser qu’Ebrahim Raïssi ait une chance du fait de l’incompétence perçue à son sujet, qui a écorné son image au cours de ces dernières années. « Toute chance qu’il aurait pu avoir est désormais considérée comme perdue », ajoute-t-il.
« Sadeq Amoli Larijani, ancien chef du pouvoir judiciaire et conservateur, était auparavant un candidat de poids. Mais il est désormais écarté de la course par d’autres. »
Le rôle de Hassan Rohani
Si les conservateurs ont la mainmise sur le gouvernement et les institutions iraniennes les plus puissantes, des figures réformistes et modérées ne perdent pas l’espoir d’accéder à la fonction de guide suprême.
Selon un militant réformiste bien informé, Hassan Rohani et Hassan Khomeini, le petit-fils de l’ayatollah Rouhollah Khomeini, se considèrent tous deux comme des leaders potentiels.
L’establishment a essayé d’anticiper cela, affirme le militant, en rejetant leur candidature à l’Assemblée des experts pour les récentes élections.
Rien n’est certain, souligne-t-il, précisant que le fait d’avoir été disqualifié en tant que candidat à l’Assemblée des experts ne disqualifie pas un candidat pour le rôle de guide suprême. Le lobbying habile de Rohani pourrait convaincre les membres de l’Assemblée le moment venu.
Néanmoins, pour sa part, « les chances de Hassan Rohani [de devenir guide suprême] sont très faibles et il lui faudrait une sorte de miracle ».
Dans ce contexte de spéculation, s’ajoute une autre anecdote, rapportée une fois de plus par Mahmoud Mohammadi Araghi.
D’après ce dernier, Ali Khamenei a raconté que lorsqu’il a été désigné guide suprême à la succession de Rouhollah Khomenei, Ahmad Khomeini, le fils du défunt, a déclaré à l’Assemblée : « Vous avez choisi quelqu’un de très bien. Vous avez choisi un jeune leader. Pour l’instant, il ne sera pas nécessaire d’en choisir un autre prochainement. »
Il convient de préciser que Mojtaba Khamenei n’a que 55 ans.
Traduit de l’anglais (original) par Imène Guiza.
Correspondant de MEE