C’est un choix politique, guidé par la volonté de se doter de l’arme atomique à la fin de la Seconde Guerre mondiale, qui a fait de la France le pays le plus nucléarisé avec plus de 75 % de sa production électrique assurée par le nucléaire. Les premiers réacteurs ont d’abord été construits pour fournir le plutonium nécessaire à la bombe atomique. Ce choix a aussi dicté une politique de surconsommation et de gaspillage énergétique, par exemple en généralisant le chauffage électrique. Depuis c’est la fuite en avant pour construire et exporter toujours plus de centrales. Aujourd’hui, le gouvernement français et EDF se félicitent de la décision du gouvernement britannique de construire deux réacteurs EPR à Hinkley Point.
C’est un choix politique, une décision nette et franche qui permettra d’arrêter la folie nucléaire et de répondre aux besoins réels en électricité exclusivement à partir d’énergies renouvelables. Mais cette décision politique, ce ne sont pas les marchandages électoraux qui l’arracheront : seule une mobilisation puissante pourra l’imposer.
Nous savons, surtout depuis Fukushima, que la catastrophe est inscrite dans le choix de cette énergie. En France, avec un EPR plus qu’inquiétant avant même d’être terminé, avec un parc de réacteurs vieillissant, la question n’est pas de savoir si on sortira du nucléaire, mais dans quelles conditions et à quel coût humain et environnemental. Soit cette sortie sera tôt ou tard imposée par un accident dramatique. Soit l’arrêt du nucléaire est décidé et mis en œuvre au plus vite, en développant de manière volontariste les énergies renouvelables et en déployant un vaste programme d’économie d’énergie alliant isolation des bâtiments, interdiction de la publicité, efficacité des appareils électriques, traque systématique de toutes les pertes et gaspillages... L’entêtement pro-nucléaire du gouvernement français montre l’ampleur du rapport de forces nécessaire pour lui imposer ce second choix, pourtant le seul possible.
Il est urgent que la mobilisation nationale, visible, massive pour sortir du nucléaire occupe réellement le devant de la scène.
Dossier réalisé par le Commission nationale écologie
L’EPR et ses (nombreux) déboires
Le fiasco de l’EPR symbolise aujourd’hui le naufrage du nucléaire civil français, mais aussi l’inanité de la politique énergétique du pays.
Une faillite financière
Comme tous les grands projets inutiles imposés, le coût de l’EPR a été largement sous-estimé puisqu’il est passé de 3,4 milliards d’euros lors de la présentation du dossier par EDF en 2004... à 10,5 l’année dernière. Et ce n’est pas fini ! À Hinckley Point en Angleterre, le coût a plus que doublé pour atteindre maintenant 24,5 milliards d’euros. Du coup, les usagerEs devront payer deux fois le prix actuel de l’électricité pendant 35 ans.
Ces surcoûts mènent à la faillite : Areva, c’est de facto déjà fait, et EDF s’en rapproche dangereusement, au point que le directeur financier, Thomas Piquemal, a démissionné en mars dernier pour ne pas cautionner les risques pris par l’entreprise avec le projet anglais. Et 6 500 travailleurs auront perdu leur emploi d’ici 2017.
Un désastre industriel
Alors que les EPR étaient censés placer EDF et Areva en leaders mondiaux du nucléaire, leur construction a mis en évidence leur incapacité à mener ces projets à bien. Les malfaçons ne se comptent plus : mise en œuvre défectueuse du béton ou du ferraillage, soudures mal faites ou « anomalies » dans le couvercle des cuves en acier, éléments clefs des réacteurs. L’EPR finlandais est exempt de ce défaut car la cuve a été fabriquée par Mitsubishi et pas par Areva, mais pas les deux EPR chinois. Ce défaut est rédhibitoire et ne peut pas être rafistolé, comme l’ont été par exemple les trous dans le béton. Mais changer une cuve, une fois en place, nécessiterait de démolir l’enceinte du réacteur. Il est prévisible que l’ASN donne un blanc-seing à EDF malgré le risque pour la sécurité.
Les travailleurs, premières victimes
La logique de la sous-traitance en cascade a été poussée à l’extrême, avec 80 % des travaux confiés à des entreprises qui ont elles-mêmes sous-traité. Selon les époques, ce sont des centaines d’ouvriers d’Europe de l’Est (Roumanie, Pologne principalement) ou du Portugal qui travaillaient sur le site dans des conditions déplorables, jusqu’à 15 heures de travail par jour, des ouvriers sans couverture sociale, du travail dissimulé qui a mené plusieurs entreprises en correctionnelle. Deux accidents mortels ont endeuillé le chantier (un intérimaire salarié par Tissot, sous-traitant de Bouygues, a fait une chute de 18 mètres et un salarié d’Endel est lui aussi décédé quelques mois plus tard d’une chute de 10 mètres).
Une catastrophe environnementale
Conçu après l’accident de Tchernobyl, l’EPR est supposé répondre aux normes de sécurité… des années 1990, revues à la marge suite aux attentats du 11 septembre 2001 à New York et à la catastrophe de Fukushima. Mais tous les experts s’accordent pour dire qu’aucun des 58 autres réacteurs ne résisterait au crash d’un avion de ligne chargé en kérosène (ainsi évidemment que les piscines dans lesquelles est stocké le combustible usagé). Sans parler des multiples maillons faibles du confinement (ouvertures, traversées de réseaux…). De plus, l’EPR, comme 22 autres réacteurs d’EDF, est conçu pour fonctionner au MOX, un combustible encore plus dangereux que l’uranium.
Une filière ridiculisée
Les dernières centrales nucléaires construites en France datent des années 1990. Aucune industrie ne peut se permettre de laisser passer des dizaines d’années sans production. Sinon elle risque de perdre tout son savoir-faire. EDF décide donc de lancer le programme EPR en 2004. Peu importe qu’il n’y ait aucune utilité, EDF est passée maître dans la création de besoins (chauffage électrique, aujourd’hui voitures électriques), ou que la rentabilité ne soit pas assurée par rapport aux énergies renouvelables, puisque les usagerEs paieront...
Mais EDF/Areva a maintenant démontré qu’elle ne sait pas construire une centrale. En Finlande, on en est à 9 ans de retard, avec un surcoût de 6 milliards d’euros et les Finlandais réclament des milliards en dommages et intérêts. Le contrat signé avec Londres fait porter tous les risques à EDF.
Démanteler l’EPR de Flamanville aujourd’hui sera long et cher, mais moins que le coût social et écologique. Une fois en fonctionnement, le démantèlement total sera quasi impossible, le coût astronomique, et le site pollué à jamais.
L’EPR de Flamanville ne doit jamais être mis en service.
Rafistolage et prolongation : l’épée de Damoclès
Dans les 10 prochaines années, 42 des 58 réacteurs électronucléaires français vont dépasser les 30 ans, c’est-à-dire la durée pour laquelle ils avaient été techniquement conçus...
Selon EDF, qui veut prolonger leur durée de vie à 60 ans, aucun problème : les centrales seraient presque plus neuves aujourd’hui qu’à l’origine, les composants étant prétendument remplacés au fur et à mesure ! Mais c’est loin d’être le cas pour toutes les pièces.
Des composants vieillissants et irremplaçables
Par exemple, au Tricastin en 2013, un joint d’origine, irremplaçable et devenu poreux avec le temps, a entraîné une contamination en tritium des eaux souterraines de la centrale. Encore plus problématique : le réacteur n°5 du Bugey, arrêté depuis l’été 2015 à cause d’un taux de fuite de l’enceinte de confinement en augmentation depuis plusieurs années. Cette enceinte est censée limiter les rejets radioactifs en cas d’accident majeur. Pour le moment, personne ne sait comment colmater la fuite due à la corrosion du revêtement d’étanchéité interne de l’enceinte. Enfin, les cuves des réacteurs, pièces maîtresses des centrales soumises à rude épreuve, sont impossibles à remplacer.
Des documents falsifiés
Si le vieillissement affecte des composants initialement en bon état, que dire des 400 pièces pour lesquelles Areva est soupçonnée d’avoir falsifié les documents de conformité ? Selon Greenpeace (en juin 2016), plus de la moitié « sont des pièces de gros équipements essentiels au fonctionnement des réacteurs : des éléments de la cuve, qui renferme le combustible nucléaire, de son couvercle, du pressuriseur qui maintient le circuit primaire sous pression, des viroles et calottes de générateurs de vapeur qui évacuent sa chaleur vers le circuit secondaire, etc. ». Selon le journal les Échos, la suspicion pèse sur 18 réacteurs, et notamment sur le réacteur n°2 de Fessenheim, arrêté depuis juin dernier pour cette raison.
Des éléments mal entretenus et dans un état préoccupant
C’est le cas des groupes électrogènes de secours dont le Journal de l’énergie révélait en mars 2016 qu’aucun n’est dans un état correct (44 % en état dégradé et 13 % en état inacceptable) d’après un bilan fait par EDF en 2014. C’est le non-démarrage de ces mêmes diesel de secours qui a conduit à la catastrophe de Fukushima.
Le gouffre du grand carénage
Enfin, pour rendre le parc exploitable au-delà de 30 ans, EDF s’est lancé dans un chantier titanesque, le « grand carénage » dont le coût est évalué à 100 milliards d’euros selon la Cour des comptes.
Dans ce cadre, à Paluel, un générateur de vapeur est tombé en mars dernier. Dans sa chute, cet élément de 465 tonnes et 22 mètres de long a endommagé la dalle de béton et la piscine de combustible du réacteur n°2. On ne sait pas si ce réacteur redémarrera un jour. Au-delà de ce cas spectaculaire, les générateurs de vapeur sont l’un des maillons faibles du dispositif. Au fil du temps, certaines tuyauteries se colmatent, et des parties sont fragilisées par les vibrations. Ainsi, en 2015, EDF a détecté au bout de plusieurs mois un corps étranger à la base d’un générateur de vapeur du réacteur n°3 de la centrale de Cruas, ce qui a usé un tube à 75 % ! La catastrophe était proche : une rupture aurait entraîné des rejets radioactifs.
Ces quelques exemples montrent que le parc nucléaire actuel comporte donc des risques du fait de composants vieillissants qui ne peuvent être remplacés, mais également de composants censés être entretenus et qui ne le sont pas suffisamment. Par ailleurs, le programme même de rénovation comporte des risques. Désormais, les autorités considèrent qu’un accident est possible, et nous y « préparent » en augmentant les seuils de contamination et en proposant de « restaurer une liberté individuelle vis-à-vis du risque radiologique ». Il est vraiment urgent d’arrêter le nucléaire !
Nucléaire : EDF, c’est la crise !
Les démissions du directeur financier d’EDF le 6 mars et d’un des six administrateurs de l’État au conseil d’administration d’EDF en juillet 2016, ont presque totalement masqué la suppression de 8 000 emplois dont 4 200 en France, prévue sur les trois prochaines années.
EDF, ce sont 160 000 salariéEs dans le monde, 67 000 en France. L’énergie électrique nucléaire représente 82 % de sa production en 2016, grâce à un parc composé des 58 réacteurs nucléaires (19 centrales) en France et de 15 réacteurs au Royaume-Uni.
Avec un bénéfice net divisé par trois en 2015 et une action en forte baisse (– 58 % sur 5 ans), EDF subit la chute des prix du marché de gros de l’électricité et est sorti du CAC40 en décembre 2015. Fin 2015, la suppression des tarifs réglementés pour les entreprises a fait perdre à EDF 30 % de parts de marché. Et son endettement s’envole (40 milliards, plus de la moitié de son chiffre d’affaire).
À cela s’ajoute une fusion difficile avec Areva qui totalise de son côté 4,8 milliards de pertes, et qui dépend encore d’une sanctuarisation du projet OL3 (EPR en construction en Finlande) et de la conformité de la cuve de l’EPR de Flamanville. Deux objectifs loin d’être acquis !
Enfin, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) prévoit que la part du nucléaire dans le mix électrique mondial restera constante, soit de 6 à 10 %.
En conclusion, EDF dépend donc du soutien financier de l’État… qui n’a plus d’argent !
Au bord du gouffre, EDF fait trois pas en avant
Le parc nucléaire d’EDF est vieillissant. De 2014 à 2030, EDF devra assurer la maintenance de ses 58 réacteurs nucléaires afin qu’ils puissent fonctionner au-delà des trente années pour lesquelles ils ont été conçus. Facture estimée de ce « grand carénage » : jusqu’à 100 milliards d’euros.
Deux à huit unités atteindront l’âge de 30 ans tous les ans entre 2020 et 2030. Cela signifie que, sans « grand carénage », 1 800 à 7 200 MW seraient retirés annuellement du réseau. Il faudra donc les compenser par de nouveaux outils de production, nucléaires ou pas.
En plus, cerise sur la gâteau, la révision du coût du site de stockage de déchets nucléaires Cigeo à Bure a imposé à EDF une provision supplémentaire de 800 millions d’euros.
Faut-il sauver le soldat EDF ?
Dans les années 1930, 200 entreprises privées assuraient la production de l’électricité, une centaine son transport et plus de mille sa distribution. L’approvisionnement et les tarifs de l’électricité étaient alors très différents selon les prestataires. La loi de nationalisation de 1946 a eu pour objectif d’assurer à toutes et tous la fourniture du courant au même prix (ce que l’on appelle la péréquation).
La libéralisation de l’électricité effectuée ces vingt dernières années par les gouvernements de droite comme de gauche, avec le soutien des principaux syndicats et sous la pression des directives européennes, ont créé une situation proche de celle des années 1930. Selon l’Insee, près de 3,8 millions de ménages, soit 8 millions de personnes et 14,4 % des foyers, sont considérés en situation de précarité énergétique.
Pour un service public garant de la péréquation, décentralisé et démocratique
Dans ce but, le NPA veut :
– Exproprier les grands groupes privés.
– Une production décentralisée, au plus proche des lieux de consommation et sous contrôle des entités locales, départementales et ou régionales.
– Des décisions prises de façon paritaire (État, collectivités, usagers) avec droit de contestation des projets.
– Une distribution nationalisée, avec fourniture gratuite basée sur les besoins fondamentaux et une facturation sur les dépassements de consommation.
– Des fonds pour la recherche et le développement des énergies renouvelables.
– Une politique du logement, du transport, de l’industrie, prenant en compte la consommation d’énergie.
– Planifier une décroissance globale de la consommation en appliquant les principes d’efficacité et de sobriété énergétiques.
– Un statut de service public pour l’ensemble des acteurs et salariéEs quel que soit leur secteur d’activité, au sein d’un service public unifié de l’énergie.
Refusons le nucléaire et son monde !
De Gaulle, Pompidou, Giscard, Mitterrand... Tous ont contribué au programme électro-nucléaire français. Plus que jamais, l’intérêt général exige qu’on arrête !
Cette voie privilégiée pour produire de l’électricité est une aberration économique, écologique et criminelle.
Aberration économique car les coûts exorbitants de construction, d’entretien et de prolongation des réacteurs, dépassent de loin les possibilités financières d’EDF endettée, des industriels de la filière en difficulté, et même de l’État.
Aberration écologique du fait des rejets permanents dans l’air, le sol, l’eau et de l’amoncellement des déchets toujours impossibles à éliminer ou à neutraliser. Les contaminations toxiques s’accumulent, s’écoulent, pénètrent partout et empoisonnent à petites doses, sur le long terme, les êtres vivants et l’environnement.
Aberration criminelle car les accidents majeurs (Three Miles Island, Tchernobyl, Fukushima) se sont traduits par des morts, des malformations, des milliers de km2 rendus inhabitables et de personnes déplacées, des centaines de milliards d’euros volatilisés.
Accident imminent ?
Aujourd’hui, l’accident nucléaire est jugé probable en France par les autorités. Au nom de la rentabilité, EDF et les autres exploitants de la filière (CEA, Areva…) ont rogné sur les moyens techniques et humains pour assurer pleinement l’entretien et la sécurité des installations, effectués par des agents de moins en moins nombreux, des intérimaires et sous-traitants remplacés par des bataillons « frais » en cas d’irradiation...
Les préfets et les exploitants nucléaires ont aussi établi des « plans particuliers d’intervention » pour une zone… d’une dizaine de kilomètres autour des centrales... Au-delà, ce sera le sauve-qui-peut !
Assurer le droit à l’électricité pour tout le monde, lutter contre le réchauffement climatique
Le nucléaire est incapable de relever ce défi qui ne sera possible que dans le cadre d’un service public, sous contrôle démocratique des producteurs et des usagers, avec les agentEs EDF. Après 1945, les électricienEs ont su construire le réseau pour amener partout le courant. Leur savoir-faire est doublement utile : pour mettre en sécurité les réacteurs qu’il faut arrêter, et pour la reconversion vers les énergies renouvelables. Ce sera « emploi et écologie ». Avec en plus, la fierté bien légitime d’apporter l’électricité dans tous les foyers, sans nuire à la planète, sans dommage sanitaire, sans risque mortel.
Les organisations du mouvement ouvrier, les associations, les partis politiques doivent s’emparer de ce défi enthousiasmant et ne pas se laisser enfermer dans le piège du chantage à l’emploi si une centrale est arrêtée. L’urgence est de prendre la décision immédiate d’arrêter le nucléaire.