Pour une majorité d’électeurs et électrices, l’élection présidentielle de juin dernier a été l’occasion d’infliger un camouflet au Guide Ali Khameneï, premier personnage de la République Islamique d’Iran et de prendre une revanche sur la réélection frauduleuse d’Ahmadinejad en 2009.
Ainsi, Hassan Rohani, s’est imposé à la surprise générale et dès le premier tour, face aux candidats fondamentalistes proches du Guide. Présenté comme « modéré », Rohani a été de 1982 à 1988 un membre influent du Conseil Suprême de Défense puis Secrétaire Générale du Conseil Suprême de Sécurité Nationale, un des principaux organes répressifs du régime. Il a été également le négociateur en chef sur le dossier nucléaire sous la présidence de Khatami entre 2003 et 2005. Membre du Conseil des Experts, une des plus hautes instances du pays, Rohani est un homme du sérail, garant des institutions théocratiques et dictatoriales de la République Islamique.
Pour le régime ces élections devaient être une vitrine de l’adhésion populaire à la République Islamique. La « victoire » d’Ahmadinejad en 2009, l’irruption dans la rue d’un vaste mouvement de contestation que le pouvoir a écrasé et le bilan désastreux sur le plan économique et social des années Ahmadinejad ont réduit les marges de manœuvre du régime.
Cependant, comme à l’accoutumée, le scrutin s’est déroulé sous contrôle. Seuls ceux qui reconnaissent les institutions de la République Islamique peuvent se présenter. Et encore ! Ainsi parmi les 800 actes de candidature, le régime en a retenu 8. Au passage, les candidatures de Rahim Mashaie (dauphin d’Ahmadinejad) et de Rafsandjani (un des hommes clés de la République Islamique) ont été refusées.
Dans ce contexte, la population a voté pour le candidat qui apparaissait le moins lié aux fondamentalistes. Ainsi, Saïd Jalilli, principal négociateur iranien sur le dossier nucléaire ou Ali Akbar Velayati conseiller personnel du Guide en matière de politique étrangère ont été lourdement battu.
La division du camp fondamentaliste (pas moins de 6 candidats) et le ralliement du candidat « réformateur » ont certes favorisé la victoire de Rohani. Pourtant cette élection est paradoxale. En réalité, du fait du rapport de force instauré par la jeunesse, les femmes et les travailleurs et par l’accentuation des fractures au sein du sérail, le Guide et les Gardiens de la Révolution ont dû laissé faire. Cependant, ils entendent tirer partie de la situation en interne et sur le plan international. Ils comptent sur Rohani pour désamorcer les tensions internationales autour du programme nucléaire, éloigner le spectre d’une intervention militaire israélienne contre les sites nucléaires et obtenir un allègement des sanctions commerciales et économiques. Sur le plan intérieur, le régime entend utiliser la victoire de Rohani comme une soupape alors qu’une grande partie de la population souhaite en finir avec la République Islamique.
Mais cela indique avant tout que la crise de régime s’est accentuée sous le dernier mandat d’Ahmadinejad. En effet, après avoir marginalisé le camp dit « réformateur », les proches du Guide se sont entredéchirés. Ces quatre dernières années ont été marquées par les tensions incessantes entre Khameneï et Ahmadinejad. La crise au sommet traverse l’appareil d’état et le corps des Gardiens de la Révolution dont la direction a considérablement renforcé son emprise sur l’économie.
Cette crise de régime s’exacerbe à mesure que le pays s’enfonce dans le marasme social et économique. Avec plus de 60% de chômage chez les jeunes, l’explosion des licenciements et une inflation à 40%, le mécontentement social est profond. Mécontentement qui se traduit notamment par des grèves ouvrières toujours réprimées. A cela s’ajoute évidemment la nature dictatoriale et théocratique de la République Islamique qui tend à réduire tous les espaces de libertés. Dans ce contexte, le caractère parasitaire des Gardiens de la Révolution qui contrôlent près de 40% de l’économie iranienne et le détournement de la rente pétrolière par les tenants du pouvoir contribuent largement au rejet de ce régime.
D’autre part, au même titre que la Turquie, l’Arabie Saoudite ou le Qatar, le régime de Téhéran n’a jamais abandonné ses ambitions de puissance régionale. Cependant, la République Islamique est aujourd’hui confrontée à une situation délicate du fait de la vague des révolutions arabes et de ses prolongements en Syrie notamment. Engagé avec le Hezbollah libanais, au côté d’Al Assad, la Mollahrchie tente désespérément de sauver un allié primordial. En effet, la victoire de la révolution syrienne et la chute du régime dictatorial de Damas serait un coup rude porté aux ambitions de Téhéran.
Dans le système politique et institutionnel de la République Islamique, le pouvoir est détenu par le Guide et par les Gardiens de la Révolution. De la politique étrangère (soutien à la dictature Al Assad, compromission avec l’impérialisme étasuniens en Irak et en Afghanistan, lutte conjointe avec les États Turque et Syrien contre les Kurdes, instrumentalisation de la cause palestinienne...), en passant par le dossier nucléaire, la redistribution des ressources, tout est sous contrôle.
Évidemment, les politiques impérialistes ne résoudront rien. Au contraire, les sanctions économiques et commerciales frappent d’abord la population. Les dignitaires du régime et les Gardiens de la Révolution s’enrichissent en organisant le marché noir et la contrebande. Ces sanctions n’ont même pas été prises sous le prétexte de défendre les revendications démocratiques, la liberté d’expression, le droit de grève, de manifester, de s’organiser, ni même l’arrêt de la torture et des exécutions capitales qui se sont multipliées depuis l’élection de Rohani. Elles n’ont d’autres fonctions que de maintenir le leadership nucléaire d’Israël dans la région.
Seule l’irruption des couches populaires, des travailleurs, de la jeunesse et des femmes pourra mettre fin au régime dictatoriale et réactionnaire de Téhéran. Les peuples d’Iran saisiront toutes les possibilités pour imposer l’égalité, la justice sociale et la liberté.
Babak Kia