De Jérusalem,
Pour comprendre le taux d’abstention - plus d’un tiers des électeurs inscrits - aux élections législatives du 28 mars dernier et le désintérêt croissant des citoyens israéliens pour la politique, il suffit de suivre les négociations qui ont précédé la constitution du futur gouvernement. Un marchandage généralisé, où les promesses politiques faites au cours de la campagne électorale s’échangent contre des postes ministériels, des budgets et des faveurs.
Contrairement à la majorité des pays démocratiques, Israël, depuis 1967, ne connaît pas, a priori, de majorité et d’opposition, la norme étant le gouvernement d’union nationale. Un Premier ministre présumé est supposé proposer à tous les partis - sauf les partis arabes ! - de faire partie du gouvernement. Les différents partis proposent alors leur prix ou, dans de rares cas, déclinent la proposition.
Déjà, pendant la campagne électorale, le Parti travailliste, les partis intégristes et le Meretz (formation à gauche du Parti travailliste) avaient annoncé qu’ils voulaient faire partie du gouvernement qui serait vraisemblablement formé par Kadima, la formation du Premier ministre, Ehoud Olmert. Avigdor Lieberman, dirigeant d’Israël Beiteinu qui, en campagne, présentait Ehoud Olmert comme un traître qui allait démanteler des colonies et « donner des terres de la patrie aux ennemis », annonçait, dès la fin du scrutin, sa volonté de rejoindre le gouvernement qu’allait former ce même Olmert.
Alors qu’il avait mené, entre autres, une campagne raciste contre la minorité palestinienne d’Israël, et qu’il avait appelé à retirer à ses membres la nationalité israélienne, Lieberman exigeait, pour entrer au gouvernement, le poste de ministre de la Police et de la Sécurité intérieure, en échange de quoi, il accepterait le programme de gouvernement qui parle d’une « redéfinition [unilatérale] des frontières d’Israël »... à condition que celles-ci restent indéfinies.
Heureusement, la loi interdit de nommer au poste de ministre de la Police une personne contre qui une procédure judiciaire est ouverte. Or, deux procédures sont déjà en cours contre Lieberman, ce qui a fait capoter l’intégration de son parti à la nouvelle coalition gouvernementale. Ce qui rend plus que probable la participation, à terme, du Meretz, provisoirement rejeté par Olmert pour ne pas donner à sa coalition des accents trop « gauchistes ». Pour l’instant, la menace d’intégrer le Meretz permet à Olmert d’espérer un assouplissement de la position de Lieberman et son éventuelle participation au futur gouvernement.
La politique néolibérale de Kadima a mis en déroute l’offensive social-démocrate des travaillistes. En échange de quoi, le leader du Parti travailliste, Amir Peretz, sera vice-Premier ministre et ministre de la Défense : poste prestigieux, certes, mais qui va piéger le dirigeant travailliste entre son exigence d’une réduction substantielle du budget consacré à la sécurité et un état-major qui, d’ores et déjà, le considère comme un amateur et exige qu’il fasse ses preuves... en protégeant son budget exorbitant.
Les partis intégristes auront leur part dans les ministères sociaux et les commissions des finances et des subventions à la Knesset, ce qui leur permet de mettre un bémol à leur rejet de tout démantèlement des colonies.
Quant au programme proprement politique du nouveau gouvernement, il a été facile à rédiger : le redéploiement unilatéral derrière le mur fait plus ou moins consensus - même si l’extrême droite refuse le démantèlement de colonies tout en le considérant comme inévitable. Cela rend tout à fait plausible un gouvernement où les trois-quarts du Parlement seraient représentés, laissant une petite partie de l’extrême droite - y compris le Likoud - et, bien entendu, les partis arabes dans l’opposition.