Ouagadougou : Thomas Sankara, la jeunesse continue le combat pour une Afrique libre et unie !
Arrivés à Ouagadougou dans la nuit du 27 janvier 2011, les militant-e-s de la caravane des mouvements sociaux se sont rendus le 28 janvier au matin sur la tombe de Thomas Sankara au cimetière de Dagnoen.
Samska le jah [1], artiste musicien, animateur à la radio Ouaga FM (deuxième radio en terme d’audience dans la capitale), « sankarien » et militant au côté d’ATTAC/CADTM et No Vox Burkina Faso est revenu sur la pensée politique et les conditions de l’assassinat de Thomas Sankara. Cet hommage politique a touché l’ensemble des participant-e-s : Camerounais-e-s, Togolais-e-s, Béninois-e-s... tou-te-s se reconnaissent dans le combat mené par le leader charismatique. Pas de mystification au rendez-vous mais l’engagement de continuer ce combat pour l’indépendance réelle des pays africains. D’où l’interpellation faite aux jeunes à s’engager d’avantage dans les mouvements sociaux comme Samska le Jah l’a rappelé : « c’est de là que naîtra la révolution et par cet acte nous perpétuerons le combat de Sankara ».
Les activités ouagalaises se sont poursuivies par une conférence de presse, largement médiatisée avec la présence de neuf médias de la presse écrite, radio et télévisée. Les intervenant-e-s sont revenu-e-s sur la dynamique du forum social mondial et de la caravane des mouvements sociaux. De plus, la question de l’intégration régionale a été longuement abordée par les participant-e-s. Des témoignages des carvanier-e-s sont revenus sur les difficiles conditions de transit entre les différents pays, depuis le début de la caravane. En effet, un espace qui selon les accords de la Communauté des États d’Afrique de l’ouest (CEDAO) devrait être libre d’accès pour ses ressortissants est en réalité une réelle forteresse, bafouant les droits de libre circulation. Par exemple, en 2010, les conditions de l’obtention du visa burkinabè se sont alignées sur celles de la France, pays européen qui a une des politiques les plus dures. Ainsi pour rentrer au pays des Hommes intègres, les migrant-e-s sont sommé-e-s de payer 94 000 F CFA pour un visa de transit et de justifier la disponibilité de 25 000 F cfa par jour passé dans le pays. Lors du passage de la frontière de Sinkansé, entre le Togo et le Burkina Faso, six caravanier-e-s togolais-e-s qui ne disposaient que de leur carte d’électeur se sont vu expulsés par les autorités burkinabèes. Après de longues négociations sans résultats, tout le monde a pu rejoindre le Burkina Faso, suite à un passage en clandestinité des personnes qui n’étaient pas en règle.
Ainsi, la caravane a bien pour mission quotidienne d’interpeller les autorités et les citoyen-e-s des pays traversés sur la question de la libre circulation, à la fois entre les pays du Sud et du Nord, mais également au niveau régional. Alors que la problématique de la répression et du refoulement des migrant-e-s Sud-Nord est une thématique largement abordée par les mouvements sociaux, celle des migrations Sud-Sud reste une question plus marginale et pourtant de premier intérêt. Cette question fera l’objet d’une conférence lors de l’étape de Sikasso, de quoi donner de la matière à chacun-e pour défendre ses droits de libre circulation.
Dans la soirée, une conférence-débat sur « les luttes des mouvements sociaux dans la construction d’alternatives au néolibéralisme » a été organisée à l’Atelier de Théâtre Burkinabé (ATB) où le groupe résidait. Animé par les jeunes de ATTAC/CADTM Burkina et du mouvement des sans voix du Burkina Faso, elle a réunit une centaine de personne. Les intervenants sont revenus sur l’histoire des mouvements sociaux et leurs luttes actuelles, en mettant particulièrement l’accent sur la nécessité d’ancrer les revendications et les luttes au sein des populations locales opprimées par le système capitaliste. Au cours du débat qui a suivi l’exposé, il a été souligné l’importance de mettre en place des alternatives concrétisant localement les revendications portées lors des interventions.
Départ pour Sikasso via Houndé, vive la souveraineté alimentaire !
Le 29 janvier, 4h00 du matin, départ pour Sikasso avec une étape à Houndé. 170 personnes constituent désormais la caravane, les Burkinabès s’étant joints au convoi.
Arrivée à Houndé vers midi. Sous un soleil et une chaleur de plomb, la caravane des mouvements sociaux, en solidarité avec les paysan-ne-s, a participé à une marche pour dénoncer les OGM, l’accaparement des terres et les multinationales de l’agrobusiness. Plus de 500 personnes ont défilé au son des tambours, scandant des slogans tels que « Dette / OGM – même combat. On n’en veut pas ! », « Monsanto dehors », « OGM, accaparement des terres – A bas ! », « Pas de frontière, pas de nation, liberté de circulation »...
En tête de cortège une centaine de paysan-ne-s sans terre de la région ouvraient avec détermination la marche, suivis par les différents réseaux constituant la caravane. A la fin de la manifestation, la déclaration de la caravane des mouvements sociaux, exposant les revendications a été rendue publique [2].
La caravane reprend ensuite la route : direction Sikasso. Arrivée dans la soirée au stade Bebamba Traoré de Sikasso, où s’était tenu en 2007 le forum des peuples. 645 kilomètres ont été parcouru depuis Ouagadougou.
Le stade Bebamba, bâtiment public a été construit par un consortium de multinationales chinoises en 2001 pour la préparation de la CAN. Situé à mi-pente d’une des collines qui entoure le centre de Sikasso, il prive quotidiennement d’eau 70% de la population, dont tou-te-s les habitant-e-s du quartier Lafiabougou ; qui ne bénéficient dans le meilleur des cas que de deux heures d’eau par jour : de minuit à 2 heures du matin. En effet, malgré l’existence d’un forage sur le site, l’alimentation en eau se fait par le réseau de la ville, pour approvisionner les sanitaires et alimenter les arroseurs de la pelouse du stade qui sont mis en route de 18h30 à 9h00 chaque jour. Des milliers de mètres cube sont ainsi destinés à la qualité du gazon plutôt qu’à la population qui en a besoin.
Notons également qu’en cas de coupure régulière, les factures mensuelles des habitant-e-s sont multipliées par dix, voir plus, en raison de l’air qui passe dans les tuyaux et fait ainsi tourner les compteurs.
Cette situation absolument scandaleuse à été brièvement dénoncée lors de la conférence sur « l’intégration régionale » organisée le 30 janvier à Sikasso, en présence du premier maire adjoint et d’autres autorités locales. Ceux-ci se sont bien gardés de répondre à cette interpellation pendant la suite du débat et se sont contentés de discuter avec les 150 participant-e-s sur des sujets moins polémiques.
Plus tard la caravane à pris la route pour rejoindre Bamako, la capitale malienne pour poursuivre ses étapes.
Pauline Imbach (CADTM Belgique) et Zinaba Aboudou Rasmane (ATTAC/CADTM Burkina)
Déclaration de la marche des mouvements sociaux en route pour le Forum Social Mondial de Dakar 2011 à Houndé le 29 janvier 2011
Le Burkina Faso, pays agricole par excellence s’est lancé dans la culture des OGM depuis 2007 comme soit disant alternative au problème d’abord de la filière coton et des autres cultures par extension.
Depuis lors, les dirigeants peu soucieux du bien être des citoyen-e-s se sont arrogés le droit de décider des politiques agricoles sans consulter les artisan-e-s notamment les paysan-e-s qui travaillent au jour le jour. Aujourd’hui après les OGM, deux autres problèmes cruciaux retiennent notre attention : l’accaparement des terres et l’agrobusiness qui participent à la logique de dépossession et de domination des peuples par les politiques capitalistes et leurs escortes, les institutions financières internationales. Les terres et les semences deviennent la propriété privée des multinationales et autres acteurs privés véreux.
Ces politiques remettent en cause les principes premiers qui assurent la souveraineté alimentaire du peuple burkinabé. Aussi, ces politiques néocoloniales, hostiles aux droits des paysan-e-s, les renvoient à la condition d’ouvrier-e-s agricoles, esclaves modernes au service des puissants.
Face à cette situation, nous, mouvements sociaux du Cameroun, du Bénin, du Togo, du Burkina Faso, du Niger, de la France et de la Belgique en route pour le Forum Social Mondial de Dakar, nous opposons à ces politiques capitalistes et accordons un soutien sans faille au combat du Syndicat des Travailleurs de l’Agro Pastoral et de tou-te-s les paysan-e-s dignes et honnêtes vivant du fruit de leur noble travail.
Nous dénonçons avec la plus grande fermeté :
– l’introduction et la dissémination à grande échelle des OGM dans l’agriculture burkinabè ;
– l’accaparement des terres ;
– la transformation des paysan-e-s en ouvrier-e-s agricoles sans droits.
Nous exigeons la mise en place de politiques garantissant la souveraineté alimentaire au peuple burkinabé.
Convaincu que l’agriculture familiale reste la voie réaliste et crédible pour la mise en place de la souveraineté alimentaire, seule alternative véritable, nous réaffirmons notre ferme engagement à sa défense et notre soutien à tou-te-s celles et ceux qui sont en lutte dans ce sens.
Déclaration faite à Houndé, le 29 janvier 2011
De Lomé à Ouagadougou, les caravanier-e-s sont toujours debout !
Lomé, capitale togolaise, deuxième escale de la caravane des mouvement sociaux.
Le 25 janvier, les participant-e-s de la caravane ont été accueillis par ATTAC/CADTM Togo dans les magnifiques locaux de l’organisation d’éducation populaire « Vision solidaire ». La journée a débuté par une conférence de presse sur la dette et les enjeux de son annulation. Une quarantaine de personnes et de nombreux médias (radio et télévision) étaient au rendez-vous. Les interventions des représentant-e-s d’ATTAC/CADTM Togo, ATTAC France, CADTM Belgique, Forum social togolais, GRAMI-AC Cameroun [3] et No Vox Bénin ont été suivies par un débat animé. La question des moyens et stratégies à mettre en place pour concrétiser l’annulation de la dette a fait l’objet d’une longue discussion. Certains, plus sceptiques, ont demandé aux intervenant-e-s s’ils pensaient réellement qu’une telle alternative pouvait voir le jour.
Demandez au peuple tunisien, s’il y a quelques mois, il pensait que la chute de Ben Ali était possible ... Réponse qui a fait largement consensus. L’expérience tunisienne fait du bien, elle montre de nouveau que de grandes victoires sont possibles ! Elle ouvre la voie à de nombreuses luttes victorieuses, redonnant courage et espoir. Oui, les luttes payent, voilà le message qui doit être porté à Dakar.
L’après-midi a été consacré pour certain-e-s à la découverte d’un jeu « le repas insolent » qui permet d’aborder les rapports inégaux entre les continents. Alors que le « représentant de l’OMC » a tenté de réglementer les échanges entre certains continents, les participant-e-s ont organisé un front commun autour du slogan « OMC Go Home ! ». Une détente militante qui a permis de renforcer la cohésion du groupe !
Pendant ce temps, l’équipe du GRAMIC-AC qui a prévu de réaliser au cours de son voyage un baromètre des frontières les plus corrompues d’Afrique, a tenté de se faire recevoir par le ministre de l’intérieur togolais pour échanger sur la corruption de la police, notamment aux frontières…
En effet, en traversant la frontière Bénin – Togo, selon un des membres de ce groupe « Nous avons été terriblement choqués et stupéfaits de voir les policiers togolais collecter de l’argent comme des caissiers de magasins pour l’entrée au Togo auprès de tous les voyageurs.
Il est plus facile d’entrer au Togo en payant 500 francs CFA qu’en présentant ses papiers en règle. La corruption s’y passe sans aucun complexe… C’est honteux et inacceptable, de payer son visa dans son pays et d’être ensuite harcelé par des policiers qui ont un salaire à la fin de chaque mois. » Le groupe a refusé de payer, et après une longue négociation, le passage a pu se faire.
Malheureusement ils n’ont pu rencontrer aucune autorité pour mener à bien leur interpellation. Mais voici un autre objectif important de la caravane : Refuser et dénoncer ce genre de pratique
3e étape : Sokodé : No border, no nation !
Le 26 janvier, après une journée de route, la caravane des mouvements sociaux est arrivée à Sokodé, la ville la plus important au centre du Togo. Accueilli par l’Association Togolaise des Expulsés (ATE), une marche a conduit les participant-e-s devant la mairie où le préfet Monsieur Tchani Chabi Chabo a prononcé un discours de bienvenue, soulignant que les autorités togolaises ont largement travaillé à la réduction de la pauvreté, notamment dans la perspective d’atteindre en 2015 les fameux Objectifs du Millénaires pour le Développement (OMD). Ce discours pré-maché et pourtant indigeste n’a pas convaincu l’ensemble de la caravane des mouvements sociaux, qui a répondu par des slogans : « elle tue, elle pille, elle assassine, répudiez la dette ! » , « pas de frontières, liberté de circulation » , « rendez nous nos voix, nous voulons nos voix ». Après cette expérience, les participant-e-s ont décidé d’interpeller plus directement les autorités lors de ces rencontres pour les obliger à sortir de leurs discours réchauffés qu’ils servent à chaque occasion et leur montrer que les mouvements sociaux ne sont pas dupes.
Sokodé-Ouagadougou – safari au cœur des trous d’éléphants blancs
Dès le lendemain matin, le 27 janvier, le groupe enrichi des militant-e-s de l’ATE a repris la route en direction de Ouagadougou pour rejoindre ATTAC/CADTM et No Vox Burkina. Cette étape de 575 kilomètres est une des plus difficiles en raison du mauvais état de la route. Parti à 9h30, il a fallu 15 heures pour atteindre la capitale du pays des hommes intègres. Notons que la caravane a été arrêtée pendant plus de 5 heures au passage de la frontière Togo-Burkina qui compte une petite dizaine de points de contrôle.
La route, quant à elle, est jonchée non pas de nids de poules mais de « trous d’éléphants » comme aime plaisanter le groupe. Tout au Nord du Togo, avant le passage de la frontière, c’est une route étroite et sinueuse qui permet de gravir la faille d’Aledjo. Sur le côté des dizaines de camions sont tombés et pourrissent dans le ravin.
Alors que dans les capitales africaines, poussent comme des champignons des monuments ou infrastructures de prestige, l’état des routes, pourtant essentielles au déplacement de la populations et au transport des marchandises sont par endroit quasi-impraticables. A Cotonou, par exemple, le nouvel échangeur en cours de réalisation depuis 2 ans a mobilisé pas moins de 70 milliards de FCFA. Le Burkina Faso constitue aussi un fameux exemple d’architecture « bidon » : du nouveau quartier « Ouaga 2000 » au centre duquel une sorte de tour Effel en béton constitue la fierté des nouveaux riches , à l’échangeur gigantesque qui relie deux axes auxquels un rond point aurait largement suffit. Ces projets, financés et soutenus par la Banque Mondiale et les puissances occidentales sont de véritables mécanismes de pillage économique. Éléphants blancs, ils sont prétexte à endettement et financent directement les entreprises étrangères qui les réalisent : Chinois, Italiens, Français ... se font la course pour gagner ces juteux chantiers !
La seule voie ferrée qu’il reste au Togo sert à acheminer le phosphate du gisement de Haoutoe à l’usine se trouvant à Kbeme.
C’est donc après un long chemin que la caravane des mouvements sociaux a rejoint Ouagadougou. Arrivé-e-s vers 2h00 du matin, les militant-e-s sont déjà au pied d’œuvre pour les activités organisées au Burkina Faso par ATTAC/CADTM Burkina. Celles-ci se sont ouvertes par un hommage à Thomas Sankara devant sa tombe.
La caravane continue ! En route pour le forum de Dakar !
Pauline Imbach, 28 janvier
De Ouidah à Lomé : des ancêtres esclaves à la jeunesse en lutte
Après quelques kilomètres le long de la côte béninoise, la caravane des mouvements sociaux est arrivée à sa première étape : Ouidah au Bénin, un des principaux points d’embarquement des esclaves vers les Amériques. Les participant-e-s venu-e-s du Bénin, du Cameroun, du Togo, de France et de Belgique ont découvert l’histoire de ce lieu à travers le récit d’un militant du CADTM de Ouidah. En parcourant la route des esclaves de la place Chacha où se déroulaient les enchères publiques des esclaves destinés aux Amériques à la porte de non retour par laquelle ils quittaient à jamais leur pays, chacun-e a rendu hommage aux personnes déportées. Beaucoup d’émotions étaient au rendez-vous. Les participant-e-s ont tenu a rappeler dans ce lieu symbolique les liens de solidarités qui les unissent, comme pour conjurer ce terrible passé. Histoire commune, lutte commune !
La porte du non retour qui fait face à l’océan fait également inévitablement penser à la situation actuelle des migrant-e-s. Forcé-e-s de quitter leur pays, leur famille et leurs ami-e-s dans l’espoir d’une vie meilleure. Voyage souvent sans retour, pour dans le meilleur des cas atteindre « la terre promise » et servir de main d’œuvre bon marché aux négriers du monde moderne.
Cet endroit a été l’occasion de rappeler que l’esclavage n’est pas totalement aboli, qu’il persiste sous de nouvelles formes, comme le disait Thomas Sankara, les peuples sont soumis à « un esclavage au goût de notre temps ».
C’est bien contre cet esclavage moderne que les caravanières et caravaniers sont en marche vers le Forum Social Mondial de Dakar. Il est en effet urgent de rompre avec la logique mortifère du capitalisme. Imposée aux peuples, entre autre, par les Institutions Financières Internationales avec en chef de file, la Banque Mondiale et le FMI, elle annihile toute possibilité d’émancipation et de liberté.
« Nous avons choisi de faire triompher l’espoir sur la peur, nous avons choisi de dire non à la dette » Voilà le message qui a accueilli la caravane à Lomé. A travers une pièce de théâtre interprété par des militant-e-s d’ATTAC/CADTM Togo, les jeunes ont pris le relais du message évoqué à Ouidah. Une soixantaine de personne ont assisté à cette représentation qui dénonçait non seulement la question de la dette, mais revenait également sur la corruption et l’avidité des « élites ». A travers l’humour cette pièce de théâtre a posé des messages forts et engagés. Certaines répliques ont été ovationnées comme par exemple, des références au discours contre la dette de Thomas Sankara.
Cette première étape a permis de faire des liens entre les luttes passées, contre l’esclavage et les luttes actuelles, contre l’imposition d’un modèle économique et social. La jeunesse mobilisée à Lomé montre qu’un autre monde est déjà en marche !
Pauline Imbach, 25 janvier