Désordre mondialisé
Le pétrole à 140 dollars le baril, suivi par le charbon, le gaz et la plupart des matières premières, alimente une spirale inflationniste dans tous les secteurs. Les constructeurs automobiles ont annoncé la hausse des prix des voitures, qui anticipe… la baisse des ventes. La logique infernale de l’économie de marché poursuit son œuvre destructrice. La diminution de la consommation prépare une baisse de la production. Les patrons anticipent. Siemens a annoncé 17 000 licenciements dans le monde. La spéculation sur les prix ne suffit pas à enrayer la chute des Bourses. Il faut aussi, pour cela, intensifier le travail, licencier, accroître la précarité, les pressions à la baisse sur les salaires…
Il y a encore peu, économistes officiels et ministres des Finances nous expliquaient doctement que la crise était derrière nous. Ils sont là pour tenter de rassurer l’opinion, convaincre qu’au-delà des à-coups du marché, tout va bien… Les banques centrales n’ont d’autres moyens d’action que de jouer sur les taux d’intérêt afin d’essayer d’infléchir les choix des capitalistes sur les marchés financiers ou d’injecter des « liquidités » pour compenser les pertes. Au service des classes possédantes, leur politique est soumise à la concurrence des intérêts privés, à la recherche de la rentabilité financière. Chaque mesure prise s’inscrit dans un engrenage qui aggrave la situation. Jouets des intérêts sociaux qu’ils servent, ceux qui prétendent maîtriser l’économie sont désarmés. Ils affichent leur impuissance à faire prévaloir l’intérêt collectif sur ceux des milliardaires qui dominent le monde.
L’économie globalisée exige une régulation, une planification démocratique pour être mise au service de la satisfaction des besoins humains, c’est-à-dire le contrôle des travailleurs et de la population. Agir dès aujourd’hui pour pallier les désordres de l’économie de marché, c’est se battre pour une autre répartition des richesses. Face à la politique des classes dominantes qui conduit à une catastrophe, il faut une politique pour la classe ouvrière, la population, afin d’imposer une rationalisation de l’économie, sa socialisation. ■
Yvan Lemaitre
* Paru dans Rouge n° 2259, 03/07/2008. (Editorial)
SALAIRES : Toujours à la baisse
Sarkozy s’était présenté comme le président du pouvoir d’achat. Plus d’un an après son élection, le pouvoir d’achat de l’ensemble des salariés et de la population est à la baisse. Et la situation risque d’empirer.
Les statistiques confirment ce que l’ensemble des salariés et de la population constate au quotidien : le pouvoir d’achat est en baisse et tous les secteurs d’activité sont touchés. En un an, le salaire mensuel de base (salaire brut avant déduction des cotisations sociales et avant prestations sociales) a baissé de 0,3 % chez les ouvriers et les professions intermédiaires, de 0,4 % chez les employés et de 0,5 % chez les cadres.
Selon l’Insee, la situation ne risque pas de s’arranger, au vu de la flambée des prix qui est loin de s’arrêter. L’Insee prévoit que la hausse des prix, dès cet été, culminerait à 3,6 %, ce qui fera encore plus reculer le pouvoir d’achat du salaire moyen (moins 0,9 % pour les salariés de l’administration publique, par exemple). La situation n’est donc pas près de s’améliorer pour l’ensemble des salariés, des chômeurs et des retraités. Face à cela, le gouvernement, resté sourd tout au long de l’année aux luttes et aux revendications sur les salaires, accuse aujourd’hui l’Insee de ne pas donner les « bons » chiffres et de saper le moral de la population. De plus, selon François Fillon, l’ensemble de celle-ci ne comprendrait pas à quel point le gouvernement a « travaillé dur » en faveur du pouvoir d’achat et des salaires. Mettant ainsi en avant les différentes « réformes » : celle de l’exonération des heures supplémentaires, le déblocage anticipé de la participation, la loi de modernisation de l’économie ou, plus récemment, le rachat des jours de RTT. Mais, là encore, les experts ont prouvé que ces lois jouaient sur l’augmentation du pouvoir d’achat, soit à la marge, soit pas du tout, et que les seuls bénéficiaires étaient… les patrons.
Pour gagner plus, il n’y a pas d’autres solutions que de consacrer aux salaires une part plus importante de la richesse produite. Il faut donc prendre sur les profits. Tous ceux qui prétendent nous faire gagner plus sans s’attaquer aux profits, mentent et ne changeront rien à nos problèmes de fins de mois. Il faut d’urgence rattraper les pertes de pouvoir d’achat accumulées depuis des années en augmentant de 300 euros net les salaires, les retraites et les minima sociaux ; garantir les moyens de vivre correctement pour tous avec, au minimum, 1 500 euros net par mois ; augmenter les salaires et les cotisations sociales ; en finir avec les exonérations, au profit de la protection sociale, des retraites, de l’assurance-chômage…
Ce n’est certainement pas une cynique campagne de publicité gouvernementale – pour la modique somme de 4,5 millions d’euros – qui répondra aux attentes des salariés, des chômeurs et des retraités ! ■
SMIC, L’AUMÔNE
Le gouvernement se dit préoccupé par l’augmentation des prix, qui ampute le pouvoir d’achat de l’ensemble de la population. Mais, au moment où il pourrait faire un geste, pour aider les salariés les plus modestes, il décide de ne rien faire de plus que ce à quoi le contraint la loi. Pour la deuxième année consécutive, aucun « coup de pouce » ne sera accordé au Smic. Les 3 millions de salariés payés au salaire minimum devront donc se contenter de 0,9 % d’augmentation, soit 8 centimes d’euros par heure de travail. C’est sans doute cela « garantir le pouvoir d’achat des salariés au Smic ». Mais c’est encore sans doute encore trop, et c’est pour cela que Xavier Bertrand a annoncé une modification du calcul du Smic, désormais confié à des « experts », conformément aux souhaits de Sarkozy et du Medef, qui n’ont jamais supporté l’idée d’un salaire minimum indexé sur les prix. Cette nouvelle contre-réforme, sans aucun doute, abaissera une nouvelle fois l’ensemble des salaires et le coût du travail.
Sandra Demarcq
* Paru dans Rouge n° 2259, 03/07/2008.
ALLONGEMENT DU TEMPS DE TRAVAIL : « Dialogue social » contre les salariés
Les députés examinent le projet de loi instaurant la possibilité de travailler 48 heures par semaine. Il est nécessaire de rompre avec la politique du « dialogue social » pour défendre les intérêts du monde du travail.
Le jeu de dupes avait commencé avec la signature d’une « position commune » CGT-CFDT-Medef, le 10 avril dernier, sur la représentativité syndicale dans les entreprises du privé. Le gouvernement en avait ensuite profité pour aller plus loin dans la remise en cause des 35 heures. Nous voilà maintenant au temps de la comédie parlementaire.
Depuis le 1er juillet, les députés examinent le projet de loi de contre-réforme de la représentativité syndicale et du temps de travail. Avec cette loi, les patrons pourront faire travailler leurs salariés jusqu’à 48 heures par semaine, sans même l’autorisation de l’Inspection du travail, pourvu qu’ils obtiennent l’accord d’un syndicat de l’entreprise recueillant au moins 30 % des voix du personnel et qu’il n’y ait pas d’opposition de la part d’un syndicat qui en représente 50 %. Les salariés n’auront pas d’autre choix, sur le plan légal, que de se tuer au travail pour satisfaire, par exemple, un boom de commandes, sans même que les patrons aient besoin d’embaucher des intérimaires ou des salariés en CDD.
Qui peut croire que les députés pourraient, et surtout voudraient, revenir sur le recul que constitue ce texte ? Les députés UMP n’ont cessé de réclamer la fin du « carcan » des 35 heures. Quant aux députés socialistes, ils ne se sont jamais opposés à toutes les dérogations permettant aux patrons d’augmenter les quotas d’heures supplémentaires. L’auteur même de la loi sur les 35 heures, l’ancienne ministre socialiste Martine Aubry, vient de proposer d’aménager le temps de travail « tout au long de la vie ». Elle juge que le « combat sur les 35 heures » est un combat « d’arrière-garde ».
Qu’à cela ne tienne, la CFDT présente aux parlementaires un cahier de revendications, après que le journal Le Figaro a publié une interview conjointe de Jean-François Copé, le président du groupe UMP à l’Assemblée, et de François Chérèque, sous le titre : « Notre méthode pour travailler ensemble. » Tout cela, qui n’est pas vraiment nouveau de la part de la CFDT, s’opère dans le plus grand silence de la part des dirigeants de la CGT qui n’ont pas eu un mot pour remettre en cause leur rapprochement avec la CFDT ou leur signature de la « position commune ».
Les dirigeants de la CGT et de la CFDT s’étaient indignés, lorsque le gouvernement s’était servi de la position commune pour avancer sa contre-réforme allongeant le temps de travail ; ils avaient appelé à une journée d’action le 17 juin pour protester contre la déloyauté de la méthode. À la suite de quoi, Fillon propose une « charte du dialogue social » et les parlementaires UMP une concertation à laquelle ils se rendent !
Quoi d’étonnant que le ministre du Travail, Xavier Bertrand, qui se dit impatient de « sortir enfin du carcan des 35 heures », déclare en même temps qu’il aborde ce débat à l’Assemblée « avec beaucoup de sérénité ». Il attend « des propositions de la part du PS ». Tout ce petit monde discute de la meilleure manière de présenter à l’opinion publique des mesures qui sont des attaques d’une violence extrême contre les conditions de vie des travailleurs.
Mais le mécontentement s’exprime de plus en plus fortement parmi les militants syndicaux, qui n’acceptent pas les compromissions de leurs dirigeants. Et quand Olivier Besancenot exprime ce que bien des salariés et militants ressentent comme nécessaire pour s’opposer à ces reculs, une lutte sérieuse, le « blocage des entreprises », le même Xavier Bertrand dénonce « des propos intolérables », et il invite à n’avoir « aucune forme de sentiment gentillet vis-à-vis de lui ». Une hargne bien révélatrice de ce qui leur fait peur et pourrait les faire reculer.
Galia Trépère
* Paru dans Rouge n° 2259, 03/07/2008.
Attaques sans trêves
Le gouvernement a convoqué députés et sénateurs pour une session extraordinaire, qui a débuté mardi 1er juillet, et devrait durer jusqu’à la fin du mois. Il s’agit pour lui de faire entériner sans perdre de temps ses projets. Le patronat ne peut attendre, députés et sénateurs partiront en vacances plus tard. 25 textes seront soumis à la discussion, fruits de la frénésie de Sarkozy pour entretenir le mouvement perpétuel des contre-réformes.
Au cœur des urgences sarkozyennes, la loi dite sur la démocratie sociale, qui vise à associer les syndicats à la remise en cause des 35 heures (lire ci-dessus). « Le gouvernement va souffrir sur ce texte », a déclaré, sans rire, Jean-Marc Ayrault. Quelque peu ridicule, de la part d’un PS jusqu’alors atone pour ne serait-ce qu’encourager les mobilisations contre cette loi. Le seul souci que pourrait avoir le gouvernement viendrait plus du mécontentement des députés de sa propre majorité… C’est tout dire !
Les autres textes en discussion sont tout aussi scandaleux et inacceptables, en particulier celui qui veut imposer aux chômeurs des « droits et devoirs », alors que gouvernement et patronat sont incapables de garantir le droit à un emploi. Ou le texte sur le service minimum, attaque contre le droit de grève contre ceux qui s’opposent au service public minimum…
Le seul texte sur lequel Sarkozy pourrait connaître un échec est la réforme institutionnelle… Mais il est clair que ce n’est pas au Parlement que les travailleurs pourront mettre sa politique en échec, mais bien par la grève et dans la rue.
* Paru dans Rouge n° 2259, 03/07/2008. (Au jour le jour)
CRISE ÉCONOMIQUE : Ils ruinent la société
Alors que la crise économique connaît un nouvel approfon dissement, les classes dirigeantes cherchent à en masquer l’ampleur et, surtout, leur responsabilité.
« Exagérément pessimistes. » Tel est le commentaire de la ministre de l’Économie, Christine Lagarde, à propos des dernières prévisions de l’Insee sur la croissance française pour 2008. Celle-ci s’établirait à 1,6 %, alors que le gouvernement tablait encore récemment sur 2 %. Au-delà du mensonge, de la volonté de masquer la gravité de la situation, il y a dans ces mots tout le mépris du monde de la finance pour les victimes de sa propre crise.
Ce ralentissement économique est le produit des réactions en chaîne – hausse des prix des matières premières, du pétrole, crises bancaire et monétaire –, entraînées pour l’essentiel par la crise des subprimes, démarrée il y a un an aux États-Unis. On nous avait dit celle-ci maîtrisée, voilà qu’elle rebondit avec l’annonce de nouvelles pertes dans le système bancaire et, la semaine dernière, la chute du cours des actions sur la plupart des marchés financiers de la planète. La baisse sur les places boursières atteint, depuis le mois de janvier, 59 % au Viêt-nam, 44 % à Shanghai, 38 % en Inde, 30 % en Turquie, 20 % en France, 22 % pour l’indice européen DJ Euro Stoxx et 10 % aux États-Unis.
Cela fait près d’un an que les banques centrales des États-Unis et de l’Union européenne s’emploient à injecter des dizaines, voire des centaines de milliards de dollars ou d’euros dans le système financier, afin d’éviter qu’il ne s’effondre – 95 milliards d’euros, par exemple, par la seule Banque centrale européenne (BCE), en août dernier – et la Réserve fédérale américaine a baissé en quelques mois son taux directeur – qui détermine le loyer de l’argent – de 5,25 % à 2 %. Cette injection massive d’argent public dans les circuits financiers revient, en fait, à socialiser les pertes, à les faire payer par l’ensemble des populations.
Elle a pu un temps colmater les brèches mais, ce faisant, elle n’a fait qu’alimenter la fuite en avant spéculative, alors même que les pertes dues à la crise de l’immobilier aux États-Unis sont loin, non seulement d’être épongées, mais même d’être seulement connues avec précision. La Conférence des maires des villes des États-Unis prévoit pour 2008 la saisie de 2,2 millions maisons ou appartements et une chute de la valeur des logements urbains de 1 460 milliards de dollars. Une telle dépréciation représente une baisse de 6 % des revenus des ménages dont la consommation est le principal moteur de l’économie américaine (71,5 % du PIB).
Les estimations des pertes entraînées par la crise de l’immobilier vont de 350 milliards de dollars à 1 300 milliards, le FMI les ayant pour sa part chiffrées à 945 milliards en avril dernier. Les banques n’ont pas fini d’annoncer ces pertes, avec tout dernièrement celles de la Deutsche Bank (5 milliards d’euros), de la Royal Bank of Scotland (7,5 milliards), de Citigroup (15 milliards) et de banques d’affaires de Wall Street, comme Lehman Brothers, Merill Lynch ou Morgan Stanley. Le secteur a déjà annoncé ou effectué le licenciement de 83 000 employés, dont 60 000 aux États-Unis. Le resserrement du crédit, qui découle d’une méfiance généralisée à l’égard du système financier, menace d’étouffement toute l’économie. États, gouvernements, institutions financières et monétaires sont impuissants. Leur seule préoccupation est de faire payer cette crise aux travailleurs et aux peuples, tout en essayant d’éviter les explosions sociales.
Par-delà les formes particulières qu’elle peut revêtir, la crise est le résultat des contradictions du système capitaliste, de celle en particulier qui fait se heurter une production toujours plus socialisée, internationalisée, étendue et intensive à la propriété privée des moyens de production et, par suite, au marché et à ses limites, c’est-à-dire l’insuffisance de la demande solvable.
La seule issue pour les populations réside dans leur conscience de l’incurie et du parasitisme des classes possédantes, de leur droit à lutter pour la satisfaction de leurs besoins, de leur légitimité à prendre elles-mêmes le contrôle de l’économie.
Galia Trépère
* Paru dans Rouge n° 2258, 26/06/2008.