Sa personnalité et ses enseignements drainent les foules du monde entier. Son charisme et sa posture de non-violence ont largement contribué à populariser la cause du Tibet dans les pays occidentaux, sans toutefois obtenir des gouvernements démocratiques qu’ils s’engagent fermement contre le régime chinois. Celui qui incarne la voix du Tibet n’a pourtant plus foulé le sol du « pays des neiges » depuis 1959. Au regard des protestations qui secouent actuellement le Tibet, le discours modéré du quatorzième dalaï-lama semble dépassé par une jeunesse tibétaine plus radicale et inquiète pour son avenir, questionnant le poids politique réel du chef spirituel.
« Il y a un décalage entre les actes de ceux qui se battent au Tibet et la parole du dalaï-lama, reconnaît Katia Buffetrille, tibétologue et chercheuse à l’Ecole pratique des hautes études. Pour une partie de la jeunesse tibétaine, la politique modérée du dalaï-lama ne conduit à rien. » Les Tibétains de l’intérieur estiment que le dialogue entre Pékin et le gouvernement en exil à Dharamsala, en Inde, est dans une impasse. « Depuis plus de vingt ans, le dalaï-lama répète qu’il ne demande pas l’indépendance, mais l’autonomie », explique Marie Holzmann, spécialiste de la question des droits de l’homme en Chine. Mais les autorités chinoises soutiennent que la demande d’autonomie du dalaï-lama ne serait qu’un discours de façade, qui masquerait un désir d’indépendance. « Nous sommes face à un dialogue de sourds. Les Chinois font semblant de ne pas entendre ce que dit le dalaï-lama. C’est proprement surréaliste », s’indigne Marie Holzmann.
UN TITRE DONNÉ PAR LES MONGOLS, CONFIRMÉ PAR LES CHINOIS
Il faut remonter le cours de l’Histoire pour comprendre d’où vient la légitimité politique du dalaï-lama, littéralement « le maître dont la sagesse est aussi grande que l’océan ». C’est en 1578 que, pour la première fois, le prince mongol Altan Khan, qui gouverne alors le Tibet, donne le titre de dalaï-lama à Sonam Gyatso, abbé du monastère de Shigatse, situé dans l’ouest du pays. Le dalaï-lama n’a, à l’époque, qu’un pouvoir spirituel. C’est le cinquième dalaï-lama qui reçoit, en 1642, des mains du chef Güshi Khan, l’autorité politique temporelle sur le Tibet. Un mandat confirmé ensuite par les empereurs chinois qui prennent la suite des Mongols au début du XVIIIe siècle et qui voient, à travers cet unique interlocuteur politique et religieux, un moyen de mieux contrôler la région.
L’actuel dalaï-lama est découvert par les religieux tibétains à l’âge de 3 ans. Il a 13 ans quand, en 1950, les troupes chinoises envahissent son pays, et 15 quand, dans l’urgence, le gouvernement tibétain lui remet les pleins pouvoirs. En 1959, il fuit le Tibet devant la répression féroce du soulèvement des moines tibétains. A Dharamsala, il reconstitue le gouvernement en exil, qui aura la charge, notamment, de veiller à la communauté tibétaine installée en Inde. Depuis peu, ce gouvernement s’initie à la démocratie ; en 2001, un scrutin a été organisé au sein de la diaspora pour élire le premier ministre tibétain. Depuis, le dalaï-lama reconnaît lui-même s’être mis « en semi-retraite » pour laisser place à l’exécutif élu.
« VIVE LE DALAÏ-LAMA ! »
Aujourd’hui, les Tibétains de l’intérieur se prosternent devant des cadres vides, toute représentation du dalaï-lama leur étant interdite. Sa parole et son image étant tellement contrôlées, les discours du dalaï-lama sont-ils relayés au Tibet ? La plupart des spécialistes s’accordent pour dire que les Tibétains manient parfaitement les nouvelles technologies et parviennent à s’informer. « En surfant sur les différents blogs, les Tibétains arrivent à avoir beaucoup d’informations en provenance de l’étranger, explique Katia Buffetrille. A l’exception bien sûr de ces derniers jours, où l’information est complètement verrouillée. »
Vraisemblablement, les Tibétains ont entendu le discours prononcé par le dalaï-lama le 10 mars pour marquer le 49e anniversaire du soulèvement de 1959. Il s’y montre plus incisif que d’habitude, évoquant le « joug chinois », de « graves violations des droits de l’homme » et une « répression inimaginable ». Bien que les manifestations ont commencé avant que ne soit prononcé le discours, il a, en revanche, servi à remettre le dalaï-lama au cœur des discussions politiques à Lhassa. Signe que son influence perdure, sur les affiches brandies par les manifestants tibétains ces derniers jours, les quelques slogans rageurs – « Libérez le Tibet ! » ou « Mort à Hu Jintao ! » – étaient minoritaires par rapport à ceux qui proclamaient « Vive le dalaï-lama ! ».
Mathilde Gérard
* Article paru dans le Monde, édition du 22.03.08. LEMONDE.FR | 21.03.08 | 16h04 • Mis à jour le 21.03.08 | 21h17.
Le dalaï-lama doit faire face à la contestation de Tibétains radicaux
DHARAMSALA (INDE) ENVOYÉE SPÉCIALE
« J’ai 73 ans. Est-il temps pour moi de me retirer ? », interrogeait, dimanche, en riant le dalaï-lama. Mardi 18 mars, le chef des Tibétains, visiblement perturbé par les violences commises au Tibet, a fait un pas de plus, affirmant : « Si les choses échappent à tout contrôle, alors la seule solution pour moi sera de démissionner. »
Le dalaï-lama ne peut ignorer la contestation grandissante dans les rangs d’une communauté tibétaine qui s’interroge aujourd’hui publiquement sur les bienfaits de sa stratégie axée sur le seul combat pour l’autonomie. « Il est notre leader mais la question tibétaine n’est pas l’affaire d’un individu ou d’une organisation », affirme Tsewang Rigzin, président du Congrès de la jeunesse tibétaine. « Rien n’est sorti du dialogue engagé avec la Chine », dit-il, ajoutant : « J’espère sincèrement que le dalaï-lama reverra son approche. » « A cause de la situation au Tibet, en raison de l’arrogance de la Chine, il est grand temps pour Sa Sainteté de reconsidérer sa position », renchérit le « vénérable » Ngawang Woebar, représentant de l’Association des ex-prisonniers.
« Chaque Tibétain veut l’indépendance. Sa Sainteté a une approche modérée (autonomie) et les gens l’écouteront. Mais aujourd’hui ils sont désespérés et c’est pour cela que le dalaï-lama s’avoue impuissant » à arrêter les manifestations, affirme Urgen Tenzin, directeur du Centre tibétain pour les droits de l’homme et la démocratie. Sous les fenêtres de sa résidence de Macleod Ganj, sur l’esplanade du principal temple qui lui fait face, ce sont des cris en faveur de l’indépendance que le dalaï-lama peut entendre chaque jour depuis le début des manifestations au Tibet. Ce sont aussi les appels au boycottage des Jeux olympiques de Pékin, alors que lui-même affirme que « la Chine mérite d’accueillir les Jeux ».
Alors que M. Rigzin, un des organisateurs de la marche « de l’Inde au Tibet » dont l’aboutissement devait coïncider avec l’ouverture des JO, affirme que les Tibétains doivent « saisir l’occasion des Jeux olympiques pour montrer au monde le vrai visage de la Chine », le dalaï-lama a demandé, mardi, l’abandon du projet. « Obtiendrez-vous ainsi l’indépendance ? Quelle est l’utilité ? », s’est-il interrogé, estimant que cela ne pouvait que conduire à l’affrontement avec les soldats chinois à la frontière.
ESPOIR DE CHANGEMENT
Nul Tibétain à Dharamsala ne remet toutefois en question la personnalité du dalaï-lama. « L’essence de notre lutte pour la survie est représenté par Sa Sainteté », affirme Lhadon Tethong, directrice du mouvement Students for a Free Tibet (Etudiants pour un Tibet libre). Cette jeune Canado-Tibétaine, qui lutte à plein temps pour la cause tibétaine, explique : « Les jeunes sont plus virulents car beaucoup ont été élevés dans un monde libre et ils s’expriment plus librement et ouvertement que les générations précédentes, attachées aux valeurs traditionnelles. » « Je dis que la Chine ne mérite pas les Jeux olympiques mais je le dis avec un amour et un respect total pour le dalaï-lama. Personne n’est plus légitime que lui », ajoute-t-elle.
Les jeunes veulent pour l’instant jouer le jeu de la démocratie et obtenir un changement de ligne en élisant des représentants favorables à l’indépendance. « Aujourd’hui, l’espoir d’un changement de position réside dans le gouvernement », affirme M. Rigzin. « Les gens sont divisés sur les conséquences de ma disparition, expliquait, dimanche, le dalaï-lama. Certains pensent que la question tibétaine disparaîtra avec moi. D’autres estiment, au contraire, qu’il sera alors plus difficile de trouver une solution. » Les Tibétains de Dharamsala, eux, sont unanimes : la lutte pour le Tibet ne s’arrêtera pas avec le 14e dalaï- lama.
Françoise Chipaux
* Article paru dans le Monde, édition du 20.03.08. LE MONDE | 19.03.08 | 14h46 • Mis à jour le 20.03.08 | 09h00.
Le dalaï-lama veut renouer le dialogue avec Pékin mais en appelle à la communauté internationale
Alors que les autorités chinoises quadrillent toujours la capitale tibétaine, Lhassa, mercredi 19 mars, à la recherche de personnes ayant participé aux manifestations de la semaine dernière, le dalaï-lama a appelé à une reprise du dialogue avec Pékin. « Sa Sainteté est engagée à dialoguer avec les Chinois. Nous devons venir les uns devant les autres et nous parler », a déclaré Tenzin Taklha, proche collaborateur du chef spirituel tibétain. Il a estimé que les Chinois « ne résoudront jamais la question tibétaine en envoyant des troupes. La seule solution est de se retrouver face à face, d’entamer un dialogue et de trouver une solution ».
Selon Gordon Brown, le premier ministre britannique, cet appel aurait été entendu à Pékin. Devant la Chambre des communes, il a dit s’être entretenu avec son homologue chinois, Wen Jiabao, qui se serait dit « prêt à entamer un dialogue avec le dalaï-lama ». Par ailleurs, Gordon Brown s’est déclaré prêt à rencontrer le chef spirituel des Tibétains au cours de sa prochaine visite à Londres le 22 mai. Mais l’annonce de M. Brown a aussitôt suscité une réaction de Pékin qui s’est dit « sérieusement préoccupé ».
Le dalaï-lama s’est adressé à la communauté internationale, exhortant les dirigeants du monde entier à « appeler les dirigeants chinois à la plus grande retenue face aux troubles actuels ». Dans sa résidence de Dharamsala, dans le nord de l’Inde, le chef spirituel des Tibétains avait auparavant reçu des représentants de groupes tibétains en exil, notamment de certains groupes de jeunes militants qui ont organisé ou cautionné des marches de protestation, en particulier en Inde. « Il leur a expliqué quels étaient ses sentiments et leur a dit qu’il fallait peut-être aujourd’hui se pencher sur le long terme. Quant à savoir s’il a été entendu... », a indiqué à Reuters un autre porte-parole, Chhime Chhoekyapa.
« APPROCHE DE LA ’VOIE MOYENNE’ »
« Sa Sainteté reste engagée dans son approche de la ’voie moyenne’, dans la poursuite du dialogue », préconisant une autonomie culturelle et non pas une indépendance totale vis-à-vis de Pékin, assurent ces porte-parole. Les dernières négociations directes entre Tibétains et Chinois remontent à juillet 2007 et s’étaient soldées par un échec.
Au Népal, où l’accès à l’Everest est toujours fermé, des manifestations de Tibétains aux abords des installations des Nations unies à Katmandou se sont poursuivies, mercredi. Selon l’Associated Press, la centaine de manifestants ont pu défiler sans être inquiétés, mais sans pouvoir accéder au siège de l’ONU ni pouvoir crier des slogans anti-chinois. Il s’agissait de la quatrième manifestation de ce type depuis dimanche.
Dans les provinces chinoises avoisinantes du Tibet, les forces de sécurité interdisent toujours aux étrangers de circuler, selon des témoignages recueillis par l’AFP. La délivrance des permis de séjour dans la région himalayenne a été suspendue et de nombreux journalistes expulsés. « Il n’y a rien à voir maintenant mais vous serez les bienvenus si vous revenez plus tard », s’est contenté de répondre un policier chinois au barrage de Yajiang.
* LEMONDE.FR avec AFP, Reuters et AP | 19.03.08 | 15h36 • Mis à jour le 20.03.08 | 09h00.
Kouchner pour l’« examen » d’un boycottage partiel des JO
Bernard Kouchner s’est dit partisan, mardi 18 mars, d’« examiner » dans le cadre d’une concertation européenne l’idée d’un boycottage de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Pékin en réaction aux événements du Tibet, tout en précisant que la France n’était pas favorable à ce stade à cette proposition. Interrogé sur la requête de l’organisation Reporters sans frontières demandant aux chefs d’Etat de boycotter cette cérémonie d’ouverture, M. Kouchner a qualifié cette idée d’« appréciable » et « moins négative qu’un boycottage général des Jeux », auquel Paris s’est déjà dit hostile.
Pour le pape, « on ne résout pas les problèmes avec la violence »
« Je suis avec grande anxiété les informations qui nous arrivent ces derniers jours du Tibet. Mon cœur de Père ressent de la tristesse et de la douleur face aux souffrances de tant de personnes », a indiqué, mercredi 19 mars, le pape Benoît XVI devant des milliers de fidèles. « On ne résout pas les problèmes avec la violence, on ne fait que les aggraver », a-t-il souligné, en appelant « à Dieu pour qu’il donne à chacun le courage de choisir la voie du dialogue et de la tolérance ». – (avec AFP.)