Réserve et prudence : le moins que l’on puisse dire, c’est que les Tibétains, comme l’on pouvait s’y attendre, n’ont pas accueilli dans l’allégresse les Jeux olympiques de Pékin...
Dans des maisons de thé et des modestes restaurants du quartier du Barkhor, centre névralgique de Lhassa, capitale de la « Région autonome » du Tibet, la télévision reste malgré tout allumée constamment sur les chaînes qui retransmettent les épreuves. Le regard lointain, les consommateurs tibétains semblent indifférents.
Cinq mois après les émeutes du mois de mars, ils se tiennent à distance, comme avant tout préoccupés par les difficultés de leur vie quotidienne.
Entre chaque plat, Dolma, jeune serveuse d’à peine 20 ans, s’assoit avec nonchalance devant le poste, dans l’arrière-cuisine. Elle ne parle pas le mandarin et ne comprend donc rien à ce qui est dit, les reportages sportifs n’étant pas traduits dans sa langue sur les chaînes nationales de CCTV. Mais Dolma, à la différence de la plupart de ses concitoyens, est captivée par l’événement. « Je ne soutiens aucune équipe en particulier, je les admire tous ! Ils sont très forts ! », s’exclame-t-elle. Les compétitions lui importent peu en tant que telles, mais les prouesses sportives, la force et la souplesse des athlètes l’enchantent.
Pour d’autres Tibétains, il est hors de question de regarder une quelconque épreuve olympique. Tenzin, 12 ans, possède déjà une conscience politique bien développée pour son âge.
LHASSA RESTE QUADRILLEE PAR L’ARMEE
Ce garçon qui n’apprend que le tibétain et l’anglais à l’école a tout vu, tout suivi des émeutes du printemps. D’un simple geste de la tête, il montre son hostilité aux Jeux. Mais il reste discret, car la ville est quadrillée par l’armée. Sans cesse, des colonnes de militaires munies de boucliers, de lance-grenades et de fusils défilent devant ses yeux, autour du Jokhang, la grande « cathédrale » bouddhiste du centre de Lhassa. L’enfant se méfie de ces policiers multipliant les tentatives d’intimidation vis-à-vis de la population locale. A chaque arrêt de bus sur la rue de Pékin, l’une des grandes artères, il voit des soldats entrer et sortir, vérifiant l’identité des passagers. A chaque coin de rue, Tenzin est confronté a un groupe de quatre ou cinq militaires prêts à riposter à tout moment. L’oeil du garçon est rebelle, son regard insoumis.
C’est dans ce quartier du Jokhang, où vit Tenzin, que les émeutes, au mois de mars, ont fait le plus de dégâts : magasins incendiés, immeubles complètement détruits.
Tous n’ont pas encore été reconstruits. Signe d’une situation encore bien incertaine, l’endroit reste placé sous la surveillance constante des forces paramilitaires. Ces derniers ne cessent de tourner en rond devant l’entrée du temple, poussant des cris, effrayant au passage les quelques groupes de touristes étrangers qui « se font rares ces derniers temps », comme le déplore un commerçant.
Les cars amenant des touristes chinois sont plus nombreux mais ces visiteurs ne sont évidemment pas les plus appréciés par la population locale... Les Tibétains glissent discrètement qu’ils supportent plaisanteries et petites humiliations de la part de ces Han (l’ethnie chinoise majoritaire) mais ils se méfient d’eux.
Dans le quartier du Linkhor, au nord de la ville, un groupe de ces touristes venus des plaines regarde jouer son équipe nationale de basket-ball en dégustant une traditionnelle soupe aux nouilles,
la toupka. La tenancière du lieu est tibétaine. La cinquantaine, les mains posées sur son tablier, la peau durcie par la rudesse du climat, elle observe le groupe de ces natifs de Shanghaï qui crient, encouragent et applaudissent leur équipe. La dame reste de marbre.