L’attentat suicide commis à Lahore – l’une des principales villes du Pakistan – le dimanche 27 mars dernier, a tué au moins 74 personnes et en a blessé plus de 350 autres. Il est l’œuvre de l’une des composantes du mouvement taliban local, le Jamaat-ul-Ahrar. A l’instar de l’Etat islamique à Bruxelles, cinq jours auparavant, il visait à faire le maximum de victimes : la ceinture d’explosif contenait des billes métalliques provoquant des blessures multiples difficiles à soigner. De même qu’à Paris le 13 novembre 2015, c’est un lieu de convivialité et de « mixité » qui s’est transformé en lieu de mort. Les riches ont leurs espaces privatisés et sécurisés. Les autres se côtoient dans les parcs publics où ils viennent pique-niquer en famille, et où les femmes peuvent jouir d’une plus grande liberté d’être.
Le parc public où a eu lieu l’attentat, le Gulshan-e-Iqbal Park, est très fréquenté par les habitants du quartier environnant, mêlant couches populaires et classes moyennes aux revenus modestes. Selon les déclarations du groupe taliban, l’attentat ciblait les familles chrétiennes fêtant Pâques ce dimanche ; mais il savait pourtant que la majorité des victimes seraient musulmanes. Le message est clair : tant que des chrétiens vivront ici, vous et vos enfants ne serez pas en sécurité.
Ainsi, le kamikaze a fait exploser sa ceinture tout près d’une aire de jeu pour les enfants, dont au moins 29 ont perdu la vie, d’autres étant blessés, tous traumatisés. Le choc est profond dans la population pakistanaise qui subi, impuissante, une escalade sans fin de la terreur. Elle a le sentiment désespérant qu’il n’y a plus aucune limite à la violence meurtrière des terroristes.
C’est la seconde fois, des jeunes ont été directement ciblés. La première était à Peshawar, dans le nord-ouest [1]. Des talibans du TTT [2] avaient attaqué, en décembre 2014, une école publique accueillant des enfants de militaires. Plus de 150 personnes avaient trouvé la mort, dont au moins 136 n’étaient âgés que de 10 à 17 ans. Ce drame avait provoqué un profond mouvement de répulsion dans la population, débouchant sur une grève générale spontanée de protestation.
Aujourd’hui, un porte-parole du JuA annonce, après l’attentat de Pâques, que d’autres opérations seront menées à l’avenir, y compris contre « les écoles et universités ». Depuis longtemps, les écoles de filles sont détruites par les talibans dans leurs zones traditionnelles d’implantation : elles n’ont pas droit à l’instruction ; ou des jeunes femmes sont vitriolées sur des campus pour n’avoir pas porté le voile adéquat. Maintenant, écolières et écoliers, étudiantes et étudiants sont directement menacés par des attentats aveugles dont le seul objectif est de semer la terreur dans le pays. Le message du JuA montre qu’il est capable d’opérer dans Lahore, capitale de la province du Pendjab, frontalière de l’Inde, bien loin des territoires pachtous frontaliers de l’Afghanistan.
La majorité des violences intercommunautaires opposent des mouvements sunnites à la minorité chiite ; mais les ahmedis (musulmans non reconnus comme tels par les autres), chrétiens (souvent d’extraction très populaires) [3], hindous.. sont constamment harcelés : villages brûlés, accusations de blasphème, églises attaquées… Les minorités non musulmanes ne représentent plus que quelques pour cent de la population. Il est à craindre que l’exode des petites minorités ne s’accélère, le gouvernement étant incapable de les protéger. Nous assistons à un long et implacable processus d’épuration religieuse.
Face à la terreur talibane, des démocrates sont tentés de faire bloc avec le gouvernement du Parti de la Ligue musulmane de Nawaz Sharif. Pourtant, le Pendjab, avec Lahore pour capitale, est son fief, ainsi que celui de son frère – cela n’a rien empêché. L’actuel gouvernement, comme les précédents, a laissé les écoles coraniques (madrasas) être des pépinières de djihadistes. Il répond à la menace par le renforcement des tribunaux militaires et des pouvoirs discrétionnaires accordés à l’armée et aux agences de sécurité. Chacun sait pourtant que bien des fractions de l’appareil d’Etat entretiennent des relations avec les fondamentalistes, les patronnant en Afghanistan, les utilisant contre l’Inde.
Le Parti awami des Travailleurs (AWP) refuse pour sa part de s’en remettre aux militaires. Si les attentats aveugles sont généralement le fait de mouvements de type taliban, la répression sociale « ciblée » est le fait des forces armées et des tribunaux antiterroristes : syndicalistes enlevés et torturés par les Rangers, représentants paysans assassinés, condamnations de militants de gauche à des peines de prisons à vie, « disparition » de nationalistes baloutches… Il y a au Pakistan une terreur d’Etat exercée contre le mouvement social, au service des grandes familles possédantes. Les accusations infondées de « terrorisme », d’atteinte à la sureté nationale, nourrissent l’arbitraire tout autant que le « crime » de blasphème. Ainsi de nombreux cadres de masse membres de ou soutenus par l’AWP sont actuellement en détention sous de faux chefs d’accusation.
L’AWP exige du gouvernement qu’il combattent plus efficacement le terrorisme religieux – mais par le renforcement des institutions civiles et non militaires, en recourant à la police et non à l’armée, par la nationalisation des écoles coraniques, la modification des programmes scolaires pour lutter contre le suprématisme religieux et les discours de haine, l’abrogation des lois discriminatoires envers les minorités, le respect de la liberté de presse, l’abandon des politiques néolibérales qui aggravent les inégalités et l’insécurité sociale…
Nusrat Hussain, secrétaire général de l’AWP de la branche Islamabad/Rawalpindi a expliqué lors d’une conférence de presse, que « dans cette situation alarmante, le Parti awami des Travailleurs juge qu’un engagement ferme en faveur de la laïcité (secularism) – les lois et fonctions de l’Etat étant séparées de la religion – est essentiel à la protection et aux libertés de toutes les citoyennes et tous les citoyens, en particulier les minorités religieuses » [4].
L’AWP a conclu son communiqué du 28 mars par un appel à l’unité : « Il est grand temps de forger une nouvelle histoire de paix et d’égalité radicales à partir des décombres de notre passé violent. Toutes les forces progressistes, laïques et démocratiques doivent se regrouper sous la bannière de la paix, de la justice et de l’égalité radicales pour toutes et tous. » [5].
Cet appel doit être entendu à l’échelle internationale. En Occident, le Pakistan n’a souvent été perçu que comme un « ailleurs », un pays étranger au sens où les tourments subis n’ont aucune commune mesure avec les nôtres. L’évolution du terrorisme djihadiste là-bas et ici, les réponses sécuritaires là-bas et ici, montrent que nous vivons bien dans le même monde. Il ne suffit plus d’affirmer des solidarités, il faut aussi mener des combats communs pour le droit à la vie là-bas et ici.
Pierre Rousset