Ce fut l’attaque la plus meurtrière contre une école jamais réalisée par les religieux fanatiques. 146 personnes ont trouvé la mort dans une école publique de l’armée à Peshawar, dont 136 enfants et jeunes adolescents de 10 à 17 ans. Ils ont demandé aux enfants de réciter des versets [1] et puis leur ont tiré dessus. C’était une attaque contre des enfants musulmans menée par des musulmans fanatiques.
Le Tehreek Taliban Pakistan (TTP, Mouvement des talibans du Pakistan) a revendiqué l’opération. Il a envoyé un jeu de photos des sept militants [2], portant fusils et bombes, qui y ont pris part et qui ont été tués (mais pas avant d’avoir commis le maximum de dommages) lors de la contre-offensive menée par l’armée. Il répondait ainsi à la mise en ligne par les autorités de leurs figures mortes.
Les fanatiques proclament qu’ils ne tuent pas les jeunes enfants. Ils affirmaient que leur « islam » n’autorisait pas l’exécution des enfants de « l’ennemi » âgés de moins de douze ans. Durant le premier quart d’heure d’occupation de l’école, près de 11% des écoliers et lycéens de l’école ont été assassinés.
Ils ont tiré sur la directrice de l’école au point de rendre méconnaissable son corps. Sa faute : elle avait, durant l’attaque, guidé des enfants afin qu’ils s’enfuient.
Il a été ordonné aux enfants de s’aligner, et puis ils furent abattus. Ceux qui ont osé courir ont été pourchassés et abattus aussi.
L’effet a été si dévastateur sur les enfants de tout le Pakistan que mon fils, âgé de 14 ans, a demandé à sa mère ce qu’il devrait faire au cas où ils viendraient dans son école : « s’aligner ou courir ? ».
Ce jour a profondément choqué le Pakistan et le monde. L’annonce de l’assassinat d’enfants innocents a fait la une de l’information internationale, soulevant beaucoup d’émotion et de colère.
Le lendemain 17 décembre, le Pakistan a connu une grève générale spontanée sans qu’aucun aucun parti y ait appelé – alors que les partis des riches rêvent de pouvoir paralyser le pays pour imposer leurs intérêts politiques étroits. Ce fut l’une des grèves les plus réussies : pas de transports dans les rues, presque tous les magasins et institutions fermés – rappelant le mouvement de deuil et de protestation après l’assassinat de Benazir Bhutto en décembre 2007.
En Inde, ladite archirivale du Pakistan, deux minutes de silence ont été respectées dans toutes les écoles et le Parlement a adopté une résolution condamnant l’attaque.
Le même jour, les dirigeants de tous les partis représentés au Parlement pakistanais se sont retrouvés à Peshawar pour une inutile réunion, s’engageant à « travailler ensemble » sans changer pour autant leur façon de penser, sans proposition concrète pour lutter contre les fanatiques. Comment l’auraient-ils pu ?
Imran Khan participait à cette réunion ; son parti est au pouvoir au Khaiber Pukhtonkhawa où l’événement s’est produit. Il avait été fort occupé à faire campagne pour renverser le gouvernement fédéral, avec des sit-in et des rassemblements en d’autres régions du pays – tout en ignorant totalement la nécessité de protéger des vies dans sa propre province.
La philosophie d’ Imran Khan selon laquelle il y a de « bon et de mauvais talibans » signifiait que rien n’était fait contre les fanatiques qui avaient constitué des refuges sûrs dans les zones tribales. Il plaidait avec force pour « discuter avec les bons talibans » afin de diviser les fanatiques. Il n’y a pourtant pas de bons ou de mauvais talibans. Ils appartiennent tous à la même famille de néo-fascisme.
La Ligue musulmane, actuellement au gouvernement, a maintenu sur le long terme des contacts avec la plupart des groupes religieux fanatiques et les a utilisés pour gagner les élections générales de 2013. Les fanatiques ont mené des attaques suicides contre la plupart des opposants du PMLN et PTI, les empêchant de faire efficacement campagne.
Le Jamaat Islami participait aussi à la réunion de Peshawar. Pour le précédent dirigeant de ce parti, un taliban tué était un Shaheed (martyre) alors qu’un soldat tué par des fanatiques était tout simplement mort. Etait aussi présent le Jamiat Ulemai Islam, reconnu comme l’aile politique d’une section des fanatiques religieux. D’autres partis présents maintiennent des contacts réguliers et des liens avec les groupes extrémistes religieux pour défendre leurs intérêts de boutique tout en partageant la même idéologie millénariste que les jihadistes.
Les participants à la réunion ont décidé de constituer un comité pour présenter dans un délai d’une semaine une politique de sécurité à l’Etat – comme si en une semaine ils pouvaient sortir de leur chapeau une formule magique.
L’Etat pakistanais a misérablement échoué à freiner la montée du fondamentalisme religieux. Il a toujours un faible pour eux. Pendant longtemps, ils ont été encouragés, considérés comme un second cordon de sécurité. Le paradigme de sécurité signifiait en effet que l’inimitié vis-à-vis Inde était la préoccupation nodale du patronage étatique. Le processus d’islamisation a été accéléré par le dictateur militaire Zia Ul Haq avec le plein soutien de l’impérialisme américain.
En plus de créer et d’apporter son soutien à des groupes djihadistes, l’Etat et les militaires ont, pendant des décennies, endoctriné des millions de personnes, diffusant une idéologie islamique conservatrice afin de sauvegarder leurs intérêts stratégiques. Ils ont reçu pour cela l’appui financier et politique des puissances impériales.
Les trois décennies écoulées depuis 1980 sont les années des madrasas [écoles religieuses] ; elles sont plus de 20.000 aujourd’hui et offrent un vivier pour le recrutement de candidats aux attentats suicides. Soutenues avant tout par l’Arabie saoudite et des millions d’émigrants musulmans, elles sont devenues une alternative au système scolaire régulier. La plupart des activités terroristes commises au Pakistan sont liées au soutien politique et organisationnel de ces madrasas.
Après le 11 septembre, la relation intime entre l’Etat et les fondamentalistes a dans une certaine mesure changé, mais elle n’a pas été rompue en pratique. Les groupes terroristes dissous changent de nom et poursuivent leurs activités de façon routinière. Ils tiennent des réunions et des rassemblements publics, collectent des fonds et publient leur littérature sans aucune interférence de l’Etat.
Le Pakistan est devenu plus conservateur, plus islamique et plus à droite du fait de la montée des idées islamistes extrêmes. Les lois sur le blasphème sont fréquemment utilisées pour régler des comptes personnels ou idéologiques. Les minorités religieuses, les femmes et les enfants sont les cibles les plus exposées. Ces cibles faciles payent le prix le plus lourd pour ce décisif tournant politique à droite.
La montée du fondamentalisme religieux s’affirme comme le défi le plus sérieux auquel doivent faire face les forces progressistes ; elle menace plus largement les fondements d’une société moderne. L’éducation et la santé sont véritablement dans le collimateur des fanatiques.
Le personnel de santé luttant contre la poliomyélite – composé surtout de femmes – est tué par les fanatiques sur l’assomption qu’une équipe travaillant à l’élimination de la polio a permis la découverte d’Osama Ben Ladin et conduit à son assassinat. En conséquence, l’Organisation mondiale de la santé a recommandé d’interdire les voyages à l’étranger de Pakistanais dépourvus d’un certificat de vaccination.
Le programme des écoles élémentaires et secondaires dans les provinces du Punjab et du Khaiber Pukhonkhawa a été modifié pour laisser place au nom de la religion, a plus d’idées non scientifiques et favorables au djihad. L’éducation dans la plupart des écoles est jonchée de considérants philosophiques prônant la guerre.
Les groupes fanatiques religieux représentent une nouvelle version du fascisme. Ce sont des fascismes en constitution. Ils ont toutes les caractéristiques du fascisme. Ils tuent leurs opposants en masse. Ils ont trouvé un espace considérable au sein des classes moyennes, en particulier les couches éduquées. Ils sont contre les syndicats et mouvements sociaux. Ils promeuvent l’infériorité des femmes par rapport aux hommes et visent à les maintenir au foyer. S’attaquer aux minorités religieuses est devenue la norme.
Les groupes fanatiques religieux sont internationalistes. Ils veulent un monde islamique. Ils sont contre la démocratie et prônent le Khilafat (royaume) comme mode de gouvernance. Ils sont la forme la plus barbare apparue dans l’histoire récente sous la forme de l’« Etat islamique » et des talibans. Il n’y a rien de progressiste dans leur idéologie. Ils ne sont pas anti-impérialistes, mais antiaméricains et anti-Occidentaux. Ils ont créé et mené les formes les plus barbares d’activités terroristes – attaques suicides, attentats à la bombe, assassinats de masse, tueries indiscriminées.
Il faut s’y opposer. La façon dont les Américains ont mené la contre-attaque a misérablement échoué. Malgré toutes les initiatives américaines – occupations, guerres, création d’alternatives démocratiques – les fondamentalistes religieux se sont renforcés.
Les fondamentalistes sont plus forts qu’ils nel’étaient au moment du 11 septembre, malgré l’occupation de l’Afghanistan.
Nous avons besoin d’un ensemble de mesures. L’Etat doit rompre tous liens avec les groupes fanatiques. La façon de voir les choses selon laquelle les fondamentalistes religieux sont « nos propres frères, notre propre peuple, notre cordon de sécurité et notre garantie contre les “hindous”, certains sont mauvais, d’autres bons », etc., doit être changée. Les théories conspirationnistes sont particulièrement en faveur dans la droite religieuse. Ils ne veulent pas voir la réalité.
Il n’y a pas de raccourci pour en finir avec le fondamentalisme religieux. Dans la plupart des pays musulmans, il faut mener un combat politique avec des réformes radicales dans l’éducation, la santé et les conditions de travail. En commençant par la nationalisation des madrasas, il faut développer une éducation, un système de santé et de transports gratuits comme l’un des moyens les plus efficaces pour s’opposer au fondamentalisme.
Les idées de droite ouvrent la voie à une idéologie d’extrême droite. Une alternative de masse de la classe ouvrière – sous la forme de syndicats et partis politiques liés aux mouvements sociaux – est la façon la plus efficace de contrer le fondamentalisme religieux.
Farooq Tariq, 19 décembre 2014
Secrétaire général,
Awami Workers Party