Asia Bibi, une ouvrière agricole pakistanaise, mère de cinq enfants, dont la condamnation à mort, en 2010, pour « blasphème » a été annulée, le 31 octobre, par la Cour suprême, a quitté son pays pour le Canada. Cette chrétienne avait été poursuivie à la suite d’une dispute avec des villageoises pour avoir bu l’eau d’un puits réservé en principe aux musulmans. Elle résidait, depuis, dans un lieu tenu secret et protégé par les autorités par crainte de représailles de groupes religieux extrémistes.
Le premier ministre canadien, Justin Trudeau, s’est refusé, mercredi 8 mai, à confirmer l’information « pour des raisons de vie privée et de sécurité ». Mais, le même jour, Theresa May, première ministre britannique, a laissé entendre, devant la chambre des Communes, qu’Asia Bibi avait « pu voyager librement » sans fournir plus de détails. Islamabad a assuré, mercredi, sous le sceau de l’anonymat, qu’elle avait « quitté le Pakistan de son plein gré ».
Le destin d’Asia Bibi a suscité des réactions dans le monde entier. Le chef de la diplomatie américaine, Mike Pompeo, a réagi, mercredi, en affirmant que « les Etats-Unis saluent cette nouvelle (…) [et qu’]Asia Bibi est libre désormais ». Il a ajouté que Washington « condamnait également de façon univoque les lois antiblasphème partout dans le monde ». Les papes Benoît XVI et François avaient également pris position en sa faveur et l’une des filles d’Asia Bibi s’était même rendue au Saint-Siège à deux reprises.
C’est l’épilogue d’une affaire de village devenue emblématique, à la fois, des dérives de la loi sur le blasphème au Pakistan et d’un traitement iconique du côté occidental, y voyant le symbole d’une confrontation entre le monde chrétien et musulman. Les chrétiens représentent près de 2 % de la population pakistanaise, en majorité musulmane. Appartenant aux couches les plus défavorisées de la société pakistanaise, cette communauté est souvent concentrée dans des bidonvilles et ses membres occupent des métiers précaires.
Asia Bibi, condamnée à mort pour blasphème en 2010, après avoir été accusée par deux villageoises musulmanes avec qui elle travaillait d’avoir « insulté le prophète » lors d’une querelle autour d’un verre d’eau, écoute des responsables de la prison de Sheikhupura, près de Lahore au Pakistan, le 20 novembre 2010.
Depuis le durcissement du code pénal condamnant le blasphème, en 1986, sous la dictature du général Zia-ul-Haq, qui poursuivait, là, un but essentiellement politique en capitalisant sur les courants les plus radicaux de la société, la tension s’est aggravée sur cette question. Les accusations se sont même multipliées, au risque de servir de prétexte à des conflits autres que religieux. Résultat, le gouverneur du Pendjab, Salman Taseer, figure des libéraux pakistanais, qui avait apporté son soutien à Asia Bibi, a été tué le 4 janvier 2011. Le 2 mars 2011, le ministre chrétien des minorités religieuses tombait aussi sous les balles des tueurs. Tous deux plaidaient pour la réforme de la loi sur le blasphème.
L’assassin présumé de Salman Taseer, Mumtaz Qadri, un extrémiste infiltré dans la police, aujourd’hui acclamé comme un héros de l’islam dans les cercles radicaux, a été pendu en 2016, suscitant la fureur des extrémistes. Après l’acquittement d’Asia Bibi, des milliers d’islamistes du groupe Tehrik-e-Labbaik Pakistan (TLP, Mouvement au service du Prophète) avaient bloqué les principaux axes du pays pour exiger sa pendaison.
Le TLP est devenu l’un des groupes religieux les plus actifs au Pakistan avant d’être affaibli par des arrestations. Ses dirigeants avaient menacé les Pays-Bas quand le député anti-islam Geert Wilders avait annoncé la tenue d’un concours de caricatures de Mahomet. Ils avaient également appelé à l’assassinat des juges de la Cour suprême et à une mutinerie dans l’armée après l’acquittement d’Asia Bibi.
Jacques Follorou