La vie d’Asia Bibi est toujours en danger. Acquittée le 31 octobre par la Cour suprême du Pakistan, qui a annulé sa condamnation à mort pour blasphème, cette ouvrière agricole chrétienne ne peut pas quitter le pays. Après le verdict, des foules violentes ont laissé éclater leur colère, proférant des menaces et se livrant à des destructions. Elles ont assiégé les grandes villes. Bloqué des axes principaux. Incendié des voitures, des bus et des bâtiments, et même menacé la vie du Premier ministre, du président de la Cour suprême et du chef des armées. Pourtant, au lieu de dire haut et fort que ces violences n’auront pas d’incidence sur l’affaire d’Asia Bibi, les autorités ont cédé aux pressions.
Mercredi soir, des informations ont annoncé qu’elle avait finalement quitté le pays. De hauts responsables de l’Union européenne et son avocat, qui a dû se réfugier temporairement aux Pays-Bas, ont déclaré qu’elle se trouvait à bord d’un avion quittant le Pakistan. Par la suite, le gouvernement a affirmé qu’elle avait été transférée d’une prison où il ne pouvait garantir sa sécurité et conduite en lieu sûr à Islamabad. L’agitation déclenchée par son possible départ n’a fait que renforcer la détermination des extrémistes religieux, qui se préparent à organiser de grandes manifestations après la prière du vendredi cette semaine.
Pour Khadim Hussain Rizvi, leader de Tehreek-e-Labbaik (Mouvement de dévotion au prophète), son exécution est la seule issue possible.
Cette crise révèle, une fois encore, la ligne de fracture qui ne cesse de s’accentuer dans le pays.
Pour les extrémistes religieux, la loi ne fait sens que si elle se conforme à leur vision de l’islam. En cas de divergence, les fondamentalistes tels que Khadim Hussain Rizvi exercent des pressions en se positionnant comme les vrais représentants de l’islam.
Rien ne suscite plus d’indignation au Pakistan que l’accusation de blasphème : une simple allégation suffit à mettre en péril la vie d’un citoyen. Dans le cas d’Asia Bibi, aucune preuve n’établit qu’elle ait jamais tenu les propos dont elle est accusée. Les juges sont terrifiés à l’idée de prononcer des acquittements, craignant d’être à leur tour pris pour cible. Des avocats de la défense ont été tués en plein tribunal. Des témoins et des proches de victimes ont dû entrer dans la clandestinité. Et les autorités, au lieu de défendre fermement les droits humains, cèdent docilement le terrain à ceux qui recourent à la violence pour supprimer ces droits.
Pour Khadim Hussain Rizvi et ses partisans, il n’existe pas plus noble cause que d’appeler à la vengeance pour une offense présumée au prophète Mahomet.
Dans un pays où 3 % seulement de la population n’est pas musulmane, il réussit à promouvoir un discours qui met en avant le péril perpétuel que court l’islam. Il invite ses adeptes à prendre les choses en main eux-mêmes – y compris en ôtant des vies. Afin de maintenir cette hystérie violente, ses partisans font valoir qu’une offense a été commise et qu’elle doit être sanctionnée. Ils ne sont jamais soulagés d’apprendre que l’accusation était fausse, que les preuves sont inexistantes et que l’accusé est innocent.
La passivité des autorités pakistanaises offre un contraste saisissant avec leur réaction face à la mobilisation du Mouvement de protection des pachtounes, non-violent, qui réclame la fin des exécutions extrajudiciaires et des disparitions forcées.
Elles ont balayé d’un revers de main les revendications du mouvement, supprimé toute couverture médiatique de ses initiatives, interdit ses manifestations pacifiques et placé ses leaders en détention. En revanche, lorsqu’il s’agit de l’usage de la violence par Rizvi et ses partisans, ils ont de toute évidence le champ libre.
La principale menace pour la sécurité du pays était incarnée par les talibans, austères et tenants d’une lecture littéraliste de l’islam, qui se sont emparés de vastes zones de territoire, se sont livrés à des attentats meurtriers dans les grandes villes du pays et ont tué des milliers de soldats pakistanais. Rares sont ceux qui soupçonnaient que la section dirigée par Rizvi au sein du courant barelvi, auquel appartiennent la majorité des Pakistanais et qui a longtemps été considéré comme une branche paisible et mystique de la foi, s’en prendrait également à l’État, et d’une manière des plus insidieuses. Les partisans de Rizvi ne sont pas confinés dans les collines des zones tribales, mais ont la capacité d’influencer des foules au cœur du pays.
Pour le Premier ministre Imran Khan, cette crise est un défi majeur.
Chaque nouvel espoir généré par ses engagements audacieux a rapidement été brisé : lorsqu’il s’est engagé à accorder la nationalité pakistanaise à des réfugiés bangladais et afghans, à nommer un membre issu de la minorité ahmadie au sein de son Comité de conseil économique ou à faire appliquer le jugement de la Cour suprême et affronter les foules de Rizvi qui menacent de recourir à la violence.
L’an dernier, Imran Khan et son parti ont volontiers soutenu la rhétorique et les pratiques violentes de Rizvi, accusant le précédent gouvernement de faire partie d’un « complot international » désireux d’affaiblir l’islam et obtenant la démission du ministre de la Justice. Lors de la dernière élection, Khadim Hussain Rizvi a formé un parti qui a recueilli plus de 2 millions de votes à l’issue d’une campagne dotée d’un financement important – mais douteux.
Cependant, Rizvi ne convoite pas de mandat électoral. Il a compris que le véritable pouvoir peut s’exercer dans la rue. Nul besoin d’avoir le plus grand nombre de votes, il suffit d’avoir le plus grand nombre de partisans violents. C’est la conséquence d’un passé calamiteux qui a consisté à céder face aux groupes armés ou à les soutenir pour des bénéfices cyniques, à court terme. Et cela finit toujours par se retourner contre eux.
Difficile de savoir ce qui va se passer pour Asia Bibi. Il est pénible de penser au calvaire qui l’attend si elle n’a pas encore quitté le pays, après huit années passées dans le couloir de la mort pour un crime qu’elle n’avait pas commis et qui ne devrait même pas être un crime.
Ce qui est clair en revanche, c’est que le gouvernement, loin de protéger les faibles et les marginalisés qui en ont le plus besoin et de s’opposer aux puissantes forces de l’intolérance qui le mettent à l’épreuve, renonce à ses engagements en faveur des droits humains.
Omar Waraich