Les bases politiques de la scission
Alan Thornett
En août dernier, George Galloway (député de Respect) a écrit une lettre au conseil national de Respect. À ce moment-là, on s’attendait à ce que le Premier ministre, Gordon Brown, annonce des élections législatives anticipées. Galloway s’inquiétait du manque de préparation de Respect, du recul de ses effectifs et de l’état moribond de nombreuses sections. Il s’interrogeait également sur l’hégémonie du Socialist Workers Party (SWP) sur les instances de Respect et son effet négatif sur le développement de Respect comme organisation pluraliste.
Ceci n’aurait pas provoqué une scission. En fait, Galloway soulevait des questions déjà posées depuis longtemps. Néanmoins, le SWP a considéré cette lettre comme une déclaration de guerre contre lui, et il a répondu en conséquence, prétendant être victime d’une chasse aux sorcières, du fait de son orientation en faveur du socialisme. Il a tenu des réunions internes dénonçant avec virulence Galloway – qu’il avait précédemment défendu contre des critiques légitimes.
Deux camps se sont rapidement formés au sein du conseil national. D’un côté, les membres du SWP et quelques alliés, de l’autre, Galloway et dix-neuf membres du conseil n’appartenant pas au SWP – dont Alan Thornett et John Lister, membres de l’International Socialist Group (ISG), ainsi que Ken Loach. C’était quasiment une opposition entre membres et non-membres du SWP.
La conférence de Respect, prévue les 17 et 18 novembre, est devenue un sujet de conflit. Les sections du SWP ont reçu pour consigne de faire élire autant de délégués que possible, à l’exclusion des autres sensibilités. Autre sujet de controverse : la désignation (comme délégués) d’un grand nombre d’étudiants qui n’étaient pas des cotisants réguliers de Respect.
Résultat : le 17 novembre, les deux sensibilités ont tenu des conférences séparées, chacune regroupant plus de 300 participants. Les partisans de Socialist Resistance, un journal publié avec l’aide de l’ISG, ont participé à la conférence Respect Renewal. Le Morning Star, qui reflète les positions du Parti communiste britannique, décrit ainsi l’assistance : « La salle débordait d’une foule extrêmement variée – des jeunes et des vieux, des hommes et des femmes, des Noirs et des Blancs, des Asiatiques, des musulmans, des chrétiens et des athées, des syndicalistes et des révolutionnaires de différentes traditions. »
Linda Smith, présidente de Respect Renewal et responsable du syndicat des pompiers, a ouvert la conférence en déclarant que l’autre conférence n’avait aucune légitimité et que « le vrai Respect était ici ». Galloway a fait remarquer que, quatre ans après sa fondation, Respect avait perdu la moitié de ses adhérents. Il a affirmé que le SWP s’était opposé au développement de Respect parce qu’il craignait de perdre le contrôle d’une organisation plus large. Et de rappeler : « Nous voulons créer un parti large, de masse, pour la classe ouvrière. Ce parti a besoin de démocratie et de pluralisme. »
Dans le résumé qu’il a fait du débat, Nick Wrack a noté un « sentiment de libération ». Malgré la scission, les gens dans la salle – le noyau des militants indépendants et un nombre significatif de Bengalis de Towers Hamlet (dont les conseillers élus) – étaient décidés à continuer de construire un parti. Il a ajouté qu’il fallait considérer Respect Renewal comme une étape d’un processus de construction d’un parti large, qui irait de la gauche communiste aux travaillistes et aux écologistes.
Au nom de Socialist Resistance, John Lister a annoncé l’arrêt de la publication de ce mensuel, et mit ses ressources financières et éditoriales à la disposition de la publication d’un mensuel de Respect Renewal. Le premier numéro est sorti le 8 décembre, à l’occasion de la manifestation contre le changement climatique.
La scission est un échec. Mais le choix était entre la séparation ou un déclin sans fin. Dans la plupart des localités, les sections se réunissaient peu fréquemment, ou seulement pour élire les délégués aux conférences nationales. Beaucoup de membres pensaient, à tort ou à raison, que le SWP considérait Respect comme sa propriété. Ils pensaient donc que la scission était le prix à payer pour permettre le développement de Respect. Un parti pluraliste était impossible aussi longtemps que le SWP maintenait son hégémonie, car c’était un obstacle à ce que des secteurs de gauche, susceptibles de rejoindre Respect, le fassent.
La conférence de Respect Renewal a été un grand succès. Salma Yaqoob – la personnalité de Respect la plus connue après Galloway – a indiqué qu’elle était venue le cœur lourd, mais qu’elle repartait le cœur léger. Elle a raison. C’est une étape vers la création d’un nouveau parti de gauche, lutte de classe, anti-impérialiste, ouvrier.
Le point de vue du Socialist Workers Party
Chris Bambery
Pour la gauche radicale, la possibilité de remettre en cause l’emprise traditionnelle du Parti travailliste sur la classe ouvrière britannique n’a jamais été aussi grande. Le nouveau Premier ministre, Gordon Brown, est embourbé dans les guerres d’Irak et d’Afghanistan, et il est confronté à une opposition grandissante contre ses mesures néolibérales. Respect a électoralement défié le Parti travailliste, comme cela n’était pas arrivé depuis la guerre. Que George Galloway et d’autres aient choisi de rompre, alors qu’apparaissaient de nouvelles occasions, est tragique. L’enjeu : deux visions de ce que Respect devait devenir.
Respect est issu du mouvement antiguerre. Mais sa faiblesse était l’absence d’adhésion groupée d’un nombre significatif de gens venant du travaillisme. Ceci reflétait le fait que la désintégration du Parti travailliste s’effectuait par le départ de militants par grappes, et non de manière structurée. Il faut porter au crédit de George Galloway d’avoir été exclu pour son opposition à la guerre en Irak. Mais aucun autre député ne l’a suivi. Cela signifie que les deux principales forces dans Respect étaient ses membres issus de la communauté musulmane et le Socialist Workers Party (SWP). Les succès électoraux de Respect se sont essentiellement produits dans les quartiers musulmans.
En conséquence, la gauche a promu une stratégie d’élargissement de la base de Respect en direction des syndicalistes, en intervenant dans la marche annuelle des fiertés gays, lesbiennes et bisexuelles, en organisant des réunions réussies contre la criminalisation de la jeunesse dans les quartiers afro-antillais. Cette stratégie a conduit George Galloway à attaquer la majorité des dirigeants de Respect, principalement des membres du SWP (mais pas tous). Il a également soutenu la tendance, présente dans l’est de Londres et à Birmingham, à mettre des hommes musulmans en place éligible. En arrière-fond, il y a un scepticisme grandissant sur la possibilité de ruptures de masse avec le Parti travailliste.
Galloway a polarisé le débat par des attaques contre les « léninistes » qui ne réfléchissent pas… Incapables d’empêcher la tenue de la conférence nationale de Respect, lui et ses partisans ont appelé à une « conférence » concurrente le même jour. Invité, le secrétaire général du Syndicat des fonctionnaires, Mark Serwotka, a expliqué qu’il avait refusé d’intervenir à cette conférence concurrente et indiqué que « cette scission de la gauche ne pouvait que réjouir Gordon Brown. L’unité implique la tolérance et l’acceptation des différences. Il ne peut y avoir d’unité à la gauche du Parti travailliste basée sur les attaques et la chasse aux sorcières contre d’autres courants de la gauche radicale ».
À l’évidence, cette scission est dommageable pour tout ce qui est à gauche des travaillistes. Néanmoins, la tâche principale reste la construction d’un Respect fort, prêt à jouer un rôle dans le développement des débats pour regrouper la gauche et, plus généralement, pour faire avancer la nécessité d’un parti qui représente réellement les couches laborieuses.