Le nouvelles grèves contre la réforme des régimes spéciaux de retraite sont annoncées, mercredi 12 décembre à la RATP, jeudi à la SNCF. Mais l’unité syndicale, déjà mise à mal lors des dix jours de conflit en novembre, a volé en éclats. Alors que les négociations se poursuivent entreprise par entreprise, certains syndicats veulent remettre la pression.
La CGT et la CFE-CGC ont déposé un préavis de grève « carrée » de 24 heures à la SNCF. Eric Falempin (FO cheminots) voit dans ce dépôt « en catimini » la volonté « d’éviter une grève reconductible ».
Dans cette partie de poker menteur syndicale, SUD, en pointe dans les
conflits - à l’Opéra, avec les machinistes en grève ou avec les étudiants favorables au blocage des universités -, ne sait plus trop sur quel pied manifester. Deuxième syndicat à la SNCF, SUD-Rail pourrait ne pas se joindre au mouvement de grève de jeudi. Annick Coupé, porte-parole de l’union syndicale Solidaires à laquelle appartiennent les SUD, apprécie peu la stratégie de la CGT. « Ceux qui ont fait neuf ou dix jours de grève reconductible le mois dernier, et n’ont rien obtenu, risquent de ne pas être très motivés », a-t-elle confié au Monde. Hostiles à la succession de grèves de 24 heures, les syndicalistes de SUD estiment que pour faire pression efficacement, il faut privilégier les « reconductibles ».
« La CGT semble découvrir aujourd’hui que le gouvernement ne veut rien entendre sur les problèmes de décote et d’indexation des pensions, ce qu’on a toujours dit », explique encore Annick Coupé. Pour elle, si « l’affaire est en grande partie pliée », il en va de la responsabilité de la CGT qui « en acceptant de discuter par entreprise a cassé le rapport de forces global ». Mais la porte-parole de Solidaires se défend d’être « là pour dénoncer des »traîtres« » : « ce constat renvoie à notre faiblesse et aux rapports de force entre syndicats », confesse-t-elle.
Taxés de « jusqu’auboutistes », soupçonnés d’être le bras syndical de la LCR et d’Olivier Besancenot, postier adhérent à SUD, les militants de Solidaires sont énervés. François Hollande, les a attaqués vivement en déclarant « que le syndicalisme que l’on doit combattre c’est celui de SUD » (Sud-Ouest du 26 novembre). « C’est agaçant et grossier, il ferait mieux de s’attaquer à Sarkozy », réplique Mme Coupé qui compte demander des explications au premier secrétaire du PS.
Plus handicapant, Solidaires continue d’être tenue à l’écart par les autres syndicats. La CFDT trop contente de s’être débarrassée de ses « gauchistes », ceux qui l’ont quittée en 1995 et créé SUD-Rail ou les postiers exclus en novembre 1988, qui avaient construit le premier SUD, « Solidaires-Unitaires-Démocratiques ». SUD dérange surtout la CGT. Son secrétaire général, Bernard Thibault, aime à répéter que « SUD ne va pas faire perdre le nord à la CGT ». Cette dernière voit d’un mauvais oeil sa stratégie de contestation bousculée par SUD.
Solidaires, avec ses 80 000 adhérents, reste un peu esseulé. Comment continuer alors à prêcher l’unité syndicale ? Comment ne pas se contenter de distribuer des mauvais points à la CGT et asseoir une stratégie syndicale autonome ? Ces questions seront débattues au prochain congrès de Solidaires, le quatrième depuis la création de l’union syndicale, voici dix ans, qui se tiendra la première semaine de juin 2008 à Saint-Jean-de-Mont, en Vendée.
Rémi Barroux
Liberté de parole et intransigeance attirent les militants vers les syndicats SUD
CATHY ROUDAUT, 33 ANS, SUD-SANTÉ
Cathy Roudaut se décrit comme « modérée » mais son regard clair reflète sa détermination. Infirmière en réanimation à l’hôpital Beaujon, à Clichy, Cathy n’a pas rejoint SUD-Santé en 1998 pour des raisons politiques et pour l’image radicale de SUD. « Je n’adhère pas à des idées politiques précises, à des partis », explique-t-elle. Se disant apolitique, « plutôt de gauche », elle a voté « modéré » au premier tour, et Ségolène Royal au second. Alors, pourquoi SUD ? « Mon mari était cheminot et, en 1995, j’ai suivi toutes leurs grèves. Après son départ de la CFDT, j’ai vécu la création de SUD-Rail avec lui », se souvient cette Bretonne mère de deux jeunes enfants.
Déléguée syndicale, élue au conseil d’établissement, Cathy aime surtout se battre pour les collègues : « J’aime l’indépendance à SUD, et quand on a des mouvements dans la santé, c’est à nous d’en parler, personne ne le fait à notre place. » Elle a tout donné durant la grève de cinq semaines à la « réa’ », en janvier 2007. « Dans la santé, on ne peut pas être dans la logique du blocage, donc la moindre des choses, c’est d’aller discuter. », explique Cathy. Le côté « mouvement social », les nombreuses campagnes tous azimuts de Solidaires, elle a du mal à suivre. « Diffuser tous les tracts, ce n’est pas possible, dans le service personne ne les lit plus », raconte-t-elle.
KAMEL KANA, 39 ANS, SUD-PSA
Avant de s’exposer devant les caméras de télévision, en mars 2007, exhortant à la grève ses collègues de l’entreprise PSA à Aulnay, Kamel Kana a commencé par la clandestinité et la précarité. Sans-papiers durant des années après son arrivée en France, en 1989 - Kamel a quitté sa Kabylie natale pour rejoindre son père, ouvrier chez Renault - il a enchaîné les petits boulots jusqu’à son embauche comme intérimaire chez PSA-Peugeot-Citroën. Il a rejoint, en 2003, les effectifs de l’entreprise (4 000 plus un millier d’intérimaires). « J’ai été direct à la CGT, raconte Kamel, il n’y avait pas trop le choix, sinon, c’était la CSL (Confédération des syndicats libres, ex-CFT), le syndicat de la direction, des fumiers. »
En 2004, « parce que ça ne bougeait pas », Kamel suit son copain délégué syndical, Mohamed, qui quitte la CGT, avec trois autres délégués. Avec une cinquantaine d’adhérents, ils créent SUD. Celui qui a vécu enfant le « printemps berbère » de 1980 et participé aux révoltes d’octobre 1988 en Algérie apprécie le côté altermondialiste de Solidaires, comme la solidarité avec les sans-papiers ou avec les luttes des « précaires ».
Aujourd’hui, Kamel est le seul élu SUD au comité d’entreprise (collège ouvriers) aux côtés de quatre élus de la CGT et de quatre de la CSL. Il a surtout animé une grève de six semaines à la fin de l’hiver 2007, en pleine campagne électorale. « Tous les candidats de gauche sont venus nous voir », s’amuse-t-il, « même Ségolène Royal juste à la fin du conflit ». Kamel, sans parti, a voté pour elle au second tour, mais a glissé un bulletin pour Olivier Besancenot, le candidat de la LCR, au premier. « Au syndicat, explique-t-il, on est plus Besancenot, lui aussi il est à SUD, et si l’extrême gauche peut changer les choses, pourquoi pas ? »
SANDRA DEMARCQ, 35 ANS, SUD-PTT
Avant même de rejoindre la LCR en 1999, Sandra Demarcq a commencé sa vie militante dès son premier job sérieux, dans un petit centre d’appel à Boulogne-Billancourt. L’étudiante qui venait de boucler son DES d’histoire sur « le mouvement des ouvriers coiffeurs à Paris de 1897 à 1917 », fille de parents communistes, « des purs et durs », veut alors créer un syndicat, parce que « les jeunes, nombreux, se plaignaient des conditions de travail ». Après un « casting » syndical, c’est SUD qui convainc le plus. « Dès qu’on avait un problème ils nous aidaient », se félicite Sandra. Autre avantage, « à SUD, tout le monde a son mot à dire, pas seulement les grandes gueules ». La jeune femme apprécie aussi les combats menés à l’extérieur de l’entreprise, « pour les sans-papiers, contre les discriminations racistes et sexistes ».
« Quand je suis devenue permanente à SUD-PTT, il y en a bien quelques-uns dans le syndicat qui ont protesté en disant que cela payerait une permanente à la Ligue », se rappelle-t-elle. Mais cela n’a pas duré. C’est plutôt sa provenance du secteur privé qui a inquiété. « Contrairement aux autres permanents détachés des entreprises publiques, il a fallu que je démissionne de mon boulot et que la fédération me paye. Certains ont craint un risque de dérive bureaucratique avec, en toile de fond, la progression du privé dans un secteur jusqu’alors public », raconte Sandra.
ANISSA ALI-ABDALLAH, 27 ANS, SUD-RAIL
Quand Anissa Ali-Abdallah traverse la gare de Lyon, elle s’arrête tous les dix mètres pour saluer et embrasser des collègues. Chaleureuse, la cheminote de SUD-Rail, qui a eu les honneurs de Libération durant la grève de novembre, se défend d’être une star. Ce qui l’a attirée à SUD-Rail, c’est qu’il n’y a pas de vedette. « Tu peux exprimer tes positions, il n’y a pas de hiérarchie pour te dire ce que tu dois faire », avance-t-elle. Enfant d’Evry, d’origine comorienne et père cheminot syndiqué à SUD-Rail, elle est entrée à la SNCF en 2001 où elle travaille au guichet « grandes lignes ». Anissa a choisi SUD, parce que « dès qu’il y a un problème, ils sont là, ils réagissent vite, ils aident. » La gare de Lyon c’est le bastion de SUD : près de 150 militants sur la seule gare où le syndicat arrive en tête devant la CGT.
Anissa aurait voulu que la grève dure « pour obtenir quelque chose » et se dit prête à repartir « pour aller au bout ». Elle est persuadée qu’il est toujours possible de « revenir à 37,5 annuités de cotisation pour tous ». Pour cela, il faudrait que « la CGT, (Bernard) Thibault et (Didier) Le Reste ne lâchent pas les cheminots comme ils viennent de le faire, sans rien avoir obtenu d’autre qu’un calendrier de négociation ».
VÉRONIQUE DECKER, 50 ANS, SUD-EDUCATION
Caractère trempé, humour à toute épreuve, Véronique Decker, 26 ans d’enseignement, est directrice de l’école Marie-Curie à Bobigny. Cet établissement, au pied des tours, compte plus de 300 élèves sur lesquels se concentrent les problèmes. « Chez nous, l’hétérogénéité, c’est plutôt 100 % de pauvres », dit-elle, ajoutant qu’il faut « arrêter de se payer leur tête en s’acharnant à mettre les élèves les plus fragiles avec les enseignants les plus débutants ». C’est là un des grands méfaits qu’elle attribue à la « cogestion » entre les syndicats majoritaires et l’administration. C’est aussi un des motifs de son adhésion, il y a six ans, à SUD-Education, après avoir longtemps milité au SNUipp-FSU. Pour elle, « le combat syndical, ce doit être d’améliorer les conditions d’enseignement, pas de cogérer les mutations ».
Ce qu’elle apprécie le plus à SUD, « c’est l’indépendance quel que soit le gouvernement en place, y compris s’il est de gauche ». C’est aussi la combativité d’un « syndicalisme de lutte », intransigeant avec l’administration et la hiérarchie. Non affiliée politiquement, elle est engagée aux côtés des sans-papiers - un de ses élèves, malade, a frôlé l’expulsion avec ses parents - et, depuis longtemps, dans la pédagogie Freinet.
BENJAMIN LORMET, 25 ANS, SUD-ETUDIANTS
Benjamin Lormet a déjà derrière lui dix ans de militantisme. Et parfois, il l’avoue c’est « pire que de travailler pour un patron. Pas de RTT, de vacances et des journées qui commencent à 7 heures et finissent à 2 heures du mat ». Encarté à SUD-Etudiant depuis cinq ans, l’étudiant a une vie universitaire un peu chaotique. En deuxième année d’histoire à Paris-I, au centre Tolbiac, il s’est consacré à la mobilisation contre la loi Pécresse sur l’autonomie des universités. S’il a choisi SUD, c’est parce qu’il est partisan « d’un syndicalisme de lutte », et pas « d’un syndicalisme de service comme celui de l’UNEF, qui tient la coopérative étudiante et vend des barres chocolatées ». Il se sent bien dans le débat permanent qui agite l’organisation, même s’il concède que ce fonctionnement empêche le syndicat d’être très réactif. Qu’importe, le rapport égalitaire entre les militants et l’ancrage de l’organisation sur des mots d’ordre « anticapitalistes et de gauche » motivent son engagement.
Rémi Barroux, Luc Cédelle et Catherine Rollot
Article paru dans l’édition du 11.12.07.