- Quelques faits saillants (…)
- Les réalisations de la classe
- Le mouvement des femmes et (…)
- Écologie et anthropocène
- La question des besoins
- Nous ne sommes rien ?
- De l’indigence d’une notion
- Penser le communisme : partir
- Des pistes pour les revendicat
- Radicalité et unité
- Partir du postulat que les (…)
- Les 3 dimensions de la vie (…)
En 1968 à l’aube de mon engagement politique, nous étions 50 ans après la révolution Russe
Aujourd’hui, c’est plus de 100 ans en arrière.
Celles et ceux qui avons parcouru cette longue période, nous ne pouvons plus éviter le bilan mais nous pouvons essayer de tirer un enseignement de nos échecs.
Les formules organisationnelles et revendicatives issues de cette expérience fondatrice ont été testées et combinées de toutes les façons possibles et partout dans le monde. Leur inefficacité ne peut être imputé ni à la puissance de nos ennemis ni aux erreurs politiques des organisations révolutionnaires. Il y a quelque chose de fondateur, dans le projet révolutionnaire dont nous avons été porteurs, qu’il nous faut interroger sous peine de continuer, pendant un siècle encore, à ânonner et à rabâcher « prise de conscience », « crise du capitalisme », « classe ouvrière », « lutte des classes », « revendications transitoires », « besoins », « dynamiques »
Quelques faits saillants que beaucoup à l’extrême gauche n’avons pas voulu voir
1) La révolution Russe n’était pas une révolution ouvrière. Ce fut une insurrection de toute la société : paysans, soldats, femmes (elles ont été au point de départ du processus en février 1917), ouvriers et population urbaine. Le caractère « ouvrier », dont nous nous revendiquons n’est pas dû à la puissance sociale de la classe ouvrière mais à la teneur du processus d’expropriation de la bourgeoisie. Seule la classe ouvrière n’a pas partie liée avec la propriété privée : par conséquent un programme qui veut abolir la propriété privée ne peut aboutir que s’il s’appuie sur la classe ouvrière. Mais la classe ouvrière, en tant que classe révolutionnaire n’est pas donnée à priori. Elle n’existe pas « en soi ». L’attente d’une métamorphose en classe « pour soi », l’attente d’une « prise de conscience » est une attente vaine dans laquelle les révolutionnaires se sont épuisés pendant un siècle. La seule classe révolutionnaire jusqu’au bout, la classe ouvrière, est un objet performatif : elle se constitue dans le processus révolutionnaire.
2) Toutes les insurrections ouvrières dans le monde, et pas seulement en Europe, ont échoué. On peut commenter à l’infini les erreurs tactiques des dirigeants ou le manque d’une organisation révolutionnaire suffisamment implantée. Mais la critique apparaît insuffisante au regard de processus révolutionnaires qui ont abattu provisoirement ou durablement l’État bourgeois : Cuba, Chine, Vietnam, Nicaragua. Il sera utile d’en analyser les différences avec les révolutions ouvrières échouées :
- Le caractère territorial de la lutte (par opposition à social) ne peut pas se résumer à la lutte armée, ou à l’encerclement des villes par les campagnes. La dimension territoriale a permis deux choses qui ont manqué particulièrement en Europe dans la première moitié du 20e siècle :
a) L’entraînement dans le processus révolutionnaire de nombreuses couches de la société. Dans tous les mouvements révolutionnaires en Europe la classe ouvrière s’est trouvée isolée des autres couches laborieuses, paysans, artisans, petits commerçants, et ce furent ces couches, pourtant prolétarisées ou paupérisée, qui servirent de masse de manœuvre voire de bras armé de la contre révolution.
b) La création conjointe du sujet révolutionnaire (les diverses catégories sociales qui entrent en action), et du parti révolutionnaire. Ce n’est pas le modèle improprement importé de l’imaginaire de la Révolution Russe, du parti doté antérieurement d’un bon programme qui rencontre la classe en mouvement. De ce point de vue, la phrase suivante de Trotski dans l’introduction à l’histoire de la Révolution Russe est particulièrement néfaste « les masses sont comme la vapeur et le parti comme le piston qui canalise l’énergie ». La force brute et l’énergie cinétique du mouvement d’un côté, le savoir organisationnel et stratégique de l’autre. C’est sur une relation réciproque que nous devons miser : divers courants en mouvement ont des stratégies réelles, élaborée, avec lesquelles nous serons plus ou moins en accord et souvent en confrontation. Nous devrons mener des batailles politiques pour nos idées, ce qui ne peut se faire que si nous considérons que les autres ont aussi des idées au lieu de dire qu’ils n’ont pas « pris conscience ». Le sujet politique et le parti se construiront conjointement dans cette confrontation. [1]
Hérité du marxisme autoritaire, ce terme s’inscrit dans le schéma argumentatif et stratégique suivant : il faudrait éveiller la conscience « quotidienne » pour transformer les collègues en camarades ; il faudrait élever la conscience - quelque part « inconsciente » – à la conscience « critique » (on n’utilise plus conscience de classe que du bout des lèvres). L’utilisation de ce terme trahit un héritage autoritaire et une mécrompréhension fondamentale autant de la manière dont la pensée se construit dans le capitalisme, que des moyens qui sont mis à disposition de ceux qui entendent le renverser radicalement
Aussi, nous devrons nous considérer comme acteurs et initiateurs d’actions portant un sens révolutionnaire. La tendance des révolutionnaire fut trop souvent à attendre qu’apparaisse le mouvement social pour y intervenir. Ce n’est pas seulement à cause de la faiblesse des révolutionnaires que des mouvement sociaux ont trouvé leur point de départ avec des initiateurs ou initiatrices sans rapport avec nous : la lutte contre la lois travail (pétition de Catherine de Hass, militante socialiste), les Nuits Debout (initiative et appel de François Rufin et Frédéric Lordon à la Bourse du travail), les Gilets Jaunes (pétitions contre l’augmentation des taxes sur le carburant venant de personnes très éloignées de la gauche révolutionnaire et de la gauche tout court). C’est parce que ce n’est pas notre orientation d’être à l’initiative.
- La lutte, dans les pays qui ont connu une révolution aboutie, s’est constituée dès le départ comme lutte révolutionnaire, même si le sens donné à « révolutionnaire » a pu évoluer au cours du processus. Nous avons au contraire tendance à considérer que seules des luttes revendicatives sont à l’ordre du jour, la dimension révolutionnaire devant surgir ensuite du mouvement, plus tard, s’il se radicalise. Le schéma argumentatif suivant domine le raisonnement : les luttes entraînent une conscience de classe qui à son tour va renforcer les luttes, jusqu’à mettre en crise le capitalisme. Au bout survient la révolution qui dans sa dynamique posera inéluctablement la question du socialisme (« et nous serions bien présomptueux d’en définir le fonctionnement »). C’est le schéma de Mandel : la dialectique des conquêtes partielles. Mais ça ressemble beaucoup au « mouvement de l’histoire » façon 19e siècle avec le socialisme comme horizon inéluctable du capitalisme. Il suffirait d’enclencher le bon engrenage dans cette mécanique. Le 20e siècle nous a montré que le mouvement de l’histoire n’est pas à sens unique, qu’il peut y avoir des bifurcations inattendues et barbares. Alors est apparue la notion de « pari » au sein du marxisme critique (Walter Benjamin, Bensaïd, Mandel, Lowy) : « S’il existe plusieurs possibilités d’évolution historique, nous faisons le pari que nous sommes sur la bonne voie ». Si le pari peut sauver le moral, va donc pour le pari. Mais on peut préférer la notion de combat : nous nous donnons des objectifs de luttes, ancrée dans le réel, que nous essayons d’articuler avec un objectif socialiste. Ce combat, nous pouvons le gagner ou le perdre. Rien de plus, rien de moins. Et finissons en avec « l’Histoire »
3) Il faut prendre au sérieux et tirer toutes les conséquences du propos de Lénine « la conscience révolutionnaire ne se forme pas spontanément dans la classe ouvrière, elle doit lui être apportée de l’extérieur » et « spontanément, la classe ouvrière est trade-unioniste (syndicaliste), elle ne cherche qu’à améliorer en sa faveur la répartition des richesse, pas à abolir les classes sociales ». Pour Lénine, l’extérieur c’est le parti dirigé par des intellectuels issus de la petite bourgeoisie, doté d’une théorie scientifique des lois de l’Histoire. Laissons de côté pour l’instant les « lois de l’Histoire ». Cette intuition forte de Lénine est affinée par Daniel Bensaïd : « de l’extérieur, ça veut dire de l’extérieur des luttes économique ». C’est quand la lutte prend des dimensions politiques et globales que la classe ouvrière se constitue en sujet révolutionnaire. Au regard des mouvements sociaux des dernières décennies, voici un définition actualisée de « l’extérieur » :
- les luttes féministes (de l’extérieur de la classe ouvrière) ont obligé la classe ouvrière à prendre en compte cette dimension, non seulement sur l’égalité salariale mais aussi sur les diverses dimensions oppressives du patriarcat. Il était courant d’utiliser des termes machistes, du genre « on s’est fait baiser » dans un résultat décevant de lutte ou de négociation, terme qui désigne littéralement le rapport sexuel comme un viol. Ils n’ont pas complètement disparu, mais ils rencontrent de plus en plus une opposition explicite.
- Les luttes LGBT et le succès jamais démenti des Gay Pride permettent de faire entrer ces problématiques dans les syndicats. Vers 2013 (je ne me souviens pas de la date) les salariés en luttes de Kem One (Saint fons, vallée de la chimie) avaient placé une banderole censée insulter leur patron « Klech enculé » le long de l’autoroute A6. C’était pendant la Gay Pride. J’ai tenté d’interpeler l’union locale CGT et il m’a été répondu qu’ils avaient bien assez de souci comme ça, que c’est leur droit d’insulter leur patron. Idem dans mon syndicat. En insultant leur patron avec ces mots, ils insultent aussi une partie de leurs collègues de travail. Maintenant on commence à voir des organisations syndicales dans les manif de la Gay Pride. Parions qu’aucune Gay Pride n’aurait pu naître d’une initiative syndicale.
- En 2015, un atelier de l’usine Arkema de Pierre Bénite, toujours dans le Couloir de la Chimie du sud Lyonnais, fut fermé : il produisait des gaz réfrigérants en voie d’interdiction pour cause de nocivité envers la couche d’ozone. Un tract CGT dénonçait la « fermeture prématurée » car l’interdiction ne devait intervenir que 2 ans plus tard ! Autre chose : récemment, une association de riverains dénonçait une grave pollution dans les sols et l’eau du voisinage par un autre produit rejeté par ce même Arkema. On ne peut pas dire que les syndicats furent à l’avant garde dans cette affaire. La bataille interne ne peut que se mener sous la pression de mouvements écologistes et d’associations extérieurs.
- Il en est de même des luttes anti-nucléaires ou contre l’industrie d’armement qui ne peuvent aboutir que par la pression venue de l’extérieur des entreprises et des syndicats concernés.
- La question écologique et en particulier le changement climatique s’est manifestée à l’extérieur des entreprises et des syndicats pourtant concernés en premier chef par l’extractivisme, l’obsolescence programmée, le productivisme, les rejets nocifs. La bataille doit être menée et elle n’est pas encore gagnée. Seule une pression extérieure exercée par les mouvements pour le climat, pour la biodiversité, pour la préservation de l’air qu’on respire obligera les organisations ouvrières à prendre en considération la nécessaire reconversion de l’industrie automobile (pas la voiture électrique), la sortie du tout plastique, l’agrochimie etc.
3) Ce que je retiens du courant marxiste identifié sous la dénomination « Critique de la valeur » (Moishe Postone, Robert Kutz, Anselm Jaspe…) c’est le constat que la classe ouvrière, qui vend sa force de travail au meilleur prix, est un fraction du capital qui cherche à se valoriser : le capital variable, la force de travail. A moins de considérer les travailleurs comme des sujets passifs et aliénés, victime de forces qui les dépassent, de pures marionnettes en somme, dont les capitalistes tireraient les fils (aliénation...), force est de constater qu’ils organisent leur vies autour de leur valorisation maximale sur le marché du travail. C’est pour ça qu’on dit aux enfants « travaille bien à l’école si tu veux réussir dans la vie ». Et nous n’avons pas beaucoup d’alternatives qui soient disponibles, non seulement pour « réussir dans la vie », mais tout simplement pour vivre. Pierre Dardot et Christian Lavel, « La nouvelle raison du monde » (édition de la découverte ; 2010) décrivent le sujet du néolibéralisme (chacun de nous) comme entrepreneur de soi. Mais si le néolibéralisme a exacerbé le phénomène, la capital a dès le début cherché à faire du salarié un entrepreneur de soi, fut-il misérable. L’insuffisance de l’analyse de ces deux auteurs tient au fait qu’ils font de l’entrepreneur de soi une émergence moderne alors qu’ils auraient dû en analyser les transformations historiques. Il aurait alors fallu qu’ils repartent du constat de Lénine selon lequel la classe ouvrière n’est spontanément que trade-unioniste (syndicaliste).
« L’extérieur » ne concerne pas seulement les luttes de la classe ouvrière et leur interaction avec d’autres luttes : chaque secteur en lutte, chaque thématique de lutte est en rapport avec toutes les autres. Ainsi, partant d’un contestation du coût des carburants les Gilets Jaunes ont intégré la question écologique avec le slogan « fin du monde, fin de mois » alors que rien ne pourrait paraître à priori plus éloigné que la revendication d’un carburant à meilleur prix et le combat écologique. De la même façon, le féminisme moderne que l’on pourrait percevoir comme issu des couches aisée (Simone de Beauvoir, Le deuxième sexe) a pu intégrer la question de l’intersectionnalité (Angela Davis ; femmes, race et classe ; des femmes, 1983).
La question anticapitaliste, féministe, écologique, « raciale », est chaque fois introduite « de l’extérieur » dans chacune des autres luttes. Vu ainsi, le combat anticapitaliste ne pourra pas se résumer à ne convergence des luttes déjà là, constituées et figées, mais sera le résultat d’une interaction, d’une prise en compte de autres dimensions par chaque lutte, d’un processus d’altération des luttes dès l’instant où elles surgissent
Les réalisations de la classe ouvrière
Montrer les limites politiques de la classe ouvrière ne doit pas occulter ses immenses réalisations, notamment la sécurité sociale, le salaire personnel attaché à la personne, les conventions collectives les services publics.
Dans la dynamique de la Libération, grâce à l’immense pouvoir déployé par la Résistance, au rapport de forces international créé par la victoire de l’URSS contre le nazisme, les organisations ouvrières, notamment la CGT, se lancent dans la construction de la Sécurité Sociale. Sur ce sujet, il faut souligner le fait que la création de la sécu ne fut pas seulement une création de l’État légiférant pour unifier des caisses professionnelles existantes ou pour donner des droits aux non affiliés. Les militant de l’époque décrivaient l’engagement à la base lors de la période héroïque où tout se mettait en place : des permanences dans des salles municipales avec des boites à chaussures comme caisse et des cahiers d’écolier comme livres de comptes, des interventions organisées des syndicalistes pour obliger leurs patrons ou les patrons de leur voisinage à s’affilier et à payer les cotisations … Les mesures législatives n’auraient pu être prises, avoir des effets rapides et généraux sans cette mobilisation à la base. De ce point de vue, la sécu fut vraiment une réalisation ouvrière et pas une réforme octroyée.
Le contexte politique de la fondation de la sécu est déterminant : L’URSS avait conquis la moitié Est de l’Europe, les forces capitalistes contrôlaient l’Ouest. La résistance avait mobilisé de part et d’autre d’immenses forces et leur potentiel révolutionnaire terrorisait autant les Staline que les Roosevelt-de Gaulle-Churchill. L’accord de Yalta pour le partage de l’influence a permis une répartition (conflictuelle) des occupations militaires, chacun ayant en charge le contrôle et l’écrasement des forces révolutionnaires dans sa zone. La collaboration du PCF à ce processus a permis de canaliser la résistance dans le cadre de reconstruction de l’État bourgeois en collaboration avec de Gaulle. Ambroise Croizat, le dirigeant stalinien du processus de fondation de la sécu, fut à la fois un des garant du retour à l’ordre bourgeois de ce côté ci du partage de Yalta, et le négociateur du rapport de forces issu de la résistance. La « Sécu » qui en est sorti fut une immense conquête civilisationnelle et une innovation politique de grande portée. Il n’est pas exagéré de la qualifier, comme le fait Bernard Friot d’institution communiste au sein du capitalisme. Même si je ne suivrai pas Friot dans son raisonnement qui consiste à concevoir le projet communiste comme une extension de ce type de conquête, de ce modèle, assortie « de luttes de grande ampleur » sans passer par la destruction de l’État bourgeois.
Il m’est arrivé d’entendre, du côté de Lutte Ouvrière, mais aussi à l’intérieur du NPA, un analyse de la sécu comme institution bourgeoise, destinée à réguler le capitalisme, mise en place par le stalinien Croizat.
Pour mettre en évidence l’indigence d’un tel raisonnement, je prendrai l’exemple d’une autre conquête majeure de la classe ouvrière : le salaire à vie des fonctionnaires. Sous l’ancien régime, les militaires et les fonctionnaires de l’État étaient dotés d’une charge, une sorte de titre, qui leur garantissait un revenu perpétuel et qui était transmissible par héritage. C’était une sorte de privilège de noblesse. Cet avantage était maintenu pour certains fonctionnaires après la révolution. Il fut généralisé en 1946 sous forme de statut de la fonction publique, instituant ainsi le salaire à vie détaché de l’activité. Il n’y a aujourd’hui que les réactionnaires pour penser que ce statut est un privilège. Et pourtant, il trouve son origine historique dans un privilège. Ni l’historicisme (trouver l’origine des choses pour en déduire la nature) ni le fonctionnalisme (trouver la fonction première des choses lorsqu’elles furent créées) ne permettent de saisir la complexité et l’inattendu de l’évolution historique. A contrario, ces histoires nous autorisent l’audace de nous saisir de ce qui existe pour en changer le sens, la fonction, pour en prendre le contrôle. C’est une toute autre approche que le « nous ne sommes rien soyons tout » du refrain de l’Internationale.
La continuité du revenu indépendamment des aléas et de l’évolution de la vie (maladie, chômage, vieillesse) fut un immense progrès civilisationnel. Non seulement parce que la sécurité sociale sécurise la vie, comme son nom l’indique, mais aussi et surtout parce qu’elle fait l’expérience à grande échelle de la possibilité d’un revenu et d’un accès aux services de soins, indépendamment d’une contrepartie immédiate de travail rémunéré. Il en est de même avec l’enseignement gratuit. Cette conquête est véritablement communiste au sens où elle permet de produire les services de soins et de les mettre à disposition sans passer par des actes de vente et d’achat. Du moins, dans le contexte actuel où la privation largement entamée en a atténué la portée, elle permet de penser et d’expérimenter, à très grande échelle (25 % du PIB) la possibilité d’un fonctionnement économique indépendant du marché, non capitaliste.
Le mouvement des femmes et la révolution
Heureusement l’idée selon laquelle la lutte pour la libération des femmes devrait être subordonnée à une révolution ouvrière, a fortement régressé dans les milieux révolutionnaires et ouvriers (mais sans complètement disparaître). Ce ne fut pas parce que les révolutionnaires auraient « pris conscience » (une autre façon de dire qu’ils ont été saisi par la grâce) mais parce que le mouvement des femmes a imposé sa force. C’est, depuis plusieurs décennies, le seul mouvement social ayant connu de victoires importantes dans le monde, probablement le mouvement le plus puissant et le plus large, la plus grande transformation sociale depuis la décolonisation.
À ceux qui pourraient penser « la révolution c’est quand la classe ouvrière entraîne toute la société », on peut opposer cette analyse d’une militante iranienne :
Des slogans tels que « C’est une révolution des femmes, c’est tout le système qui est visé » et « N’appelez pas cela une protestation, mais une révolution » témoignent d’un engagement sociétal plus large en faveur d’un changement progressiste, malgré la violence avec laquelle les dirigeants tentent de le réduire au silence. Et le mouvement s’étend. Récemment, cette révolution a dépassé les frontières du genre, de l’ethnie, de la nationalité et de la religion.
Cette semaine, les femmes baloutches (les femmes les plus démunies et les plus opprimées d’Iran en raison de leur appartenance ethnique, de leur sexe et de leur religion) ont fait une déclaration en rejoignant le mouvement « Femmes, Vie, Liberté » et en affirmant qu’elles se tiennent debout et se battent avec leurs sœurs pour construire la première révolution féminine de l’histoire [Notes 17]. Parmi ceux qui rejoignent massivement le mouvement, on trouve des jeunes : des étudiants d’université, des collèges et des lycées, mais aussi des artistes et des athlètes qui mettent leur vie en danger afin de construire un Iran plus juste pour toutes et tous. Plusieurs secteurs de la classe ouvrière, qui se trouvent au cœur de l’économie iranienne, appellent à la grève pour soutenir le mouvement : parmi eux les enseignants, des syndicats et, plus important, ceux travaillant dans les centres pétroliers et de la pétrochimie : Asalouyeh, Abadan, Bouchehr…
Iran : « Les principales perdantes de la révolution de 1979 sont les artisanes de la nouvelle révolution » HOOMINFAR Elham, Europe Solidaire, 13 oct 2022.
Le mouvement féministe apparaît en bien des endroits dans le monde comme l’aile marchante des mouvements sociaux.
L’articulation entre mouvement féministe et transformation révolutionnaire de la société mérite d’être approfondie. La thématique de l’égalité de genre ne suffit pas à en mesurer la portée et à en déployer toutes les potentialités.
Le capitalisme est le premier système économique où l’acte primordial, celui qui lance le cycle de la vie économique et sociale, est « produire ». Tout est fait pour que l’activité humaine concernant la reproduction (soin aux personnes, éducation, santé) soit, ou bien dévalorisée, ou bien privatisée avec des salaires au rabais.
La reproduction, dans l’imaginaire comme dans les structures sociales, est dévolue aux femmes. Tâches ménagères, soins aux enfants, soins aux personnes dépendantes sont totalement invisibilisée et non reconnues. Quand ces activités sont effectuées professionnellement, ce sont majoritairement des métiers féminins sous payés : santé publique, enseignement primaire, garde d’enfants …
Le travail effectué directement pour la reproduction, biologique ou sociale, est principalement féminin et il est symboliquement associé au féminin (on dit infirmière, ou « la maîtresse » d’école) comme il y avait la « maîtresse de maison ».
L’homme gagne l’argent du ménage, la femme tient la maison. Ma mère n’a eu le droit de signer un chèque qu’en 1962, j’avais 10 ans.
La dévalorisation de l’activité de reproduction sociale, son assimilation à une charge pour la société, va de pair avec la dévalorisation des femmes dans le patriarcat. Pour que cesse cette aberration, « prendre soin est un coût et produire est la seule chose qui compte », pour que « prendre soin » passe en premier, que « la production » soit enfin subordonnée à la reproduction il faudra en même temps subvertir les rapports de genre dans l’imaginaire, dans l’économie, dans les rapports personnels.
Prendre soin, faire passer la reproduction avant la production, c’est ce que traditionnellement le socialisme exprimait par « produire en fonction des besoins ». Malheureusement sans y inclure de manière explicite les rapports de genre
La reproduction ne concerne pas seulement la société humaine prise isolément : elle concerne la nature dans son ensemble avec nous dedans. Comme d’autres humains continueront à vivre après nous, de même l’environnement naturel devra se reproduire : les arbres, l’air, les insectes, les fleuves. Toutes nos interactions avec le monde naturel, devront se faire comme si c’était notre corps extérieur, un prolongement de nous-mêmes. Le seul rapport possible que nous puissions avoir avec le monde est celui de prendre soin. Aucune mesure monétaire de l’impact (les droits à polluer), des dégâts (la compensation en plantant des arbres), de l’emprise (champs sans vie et bétonnage de l’espace urbain + parcs naturels) ne peut remplacer le prendre soin, de chaque lieu, de chaque être vivant, de chaque rivière.
Inverser l’ordre production et reproduction c’est altérer à la fois la symbolique du masculin et du féminin et la réalité des rapports matériels du patriarcat dans la vie : salaires, travail ménager, métiers genrés, rapport au monde …
Le féminisme poussé à son terme est une subversion absolue non seulement du capitalisme, mais aussi du productivisme. Il devient la subversion d’un rapport au monde dans lequel la nature est une extériorité dans laquelle on puise nos ressources, on déverse nos déchets, sous réserve, dans un ultime sursaut moral, de « la protéger ».
Écologie et anthropocène
Pendant les incendies catastrophiques de l’été 2021, les photos de Thomas Pesquet, l’astronaute qui regardait la terre depuis la navette spatiale, montrant les panaches de fumées, étaient plus populaires aux journaux télévisés que les reportages sur les habitants concernés ou sur les pompiers qui devaient travailler dans des combinaisons par 40° voire 50° de température. Ainsi va le regard contemporain : qu’il veuille sauver le monde ou qu’il soit en passe de le détruire, l’humain est toujours à l’extérieur.
Les parcs naturel soutenus par des organisations telles que WWF en Afrique sont parfois d’anciens territoires de chasse de l’époque des colonies. Leur conception en est une nature sans humains (image de paradis terrestre) et les habitants, s’il en reste, sont expulsés, au mieux employés comme guides pour touristes ou gardiens. (Chez nous, nous avons les Cévennes c’est une belle région, riche de biodiversité : mais nous viendrait-il à l’idée d’en expulser les habitants pour préserver « la nature » ? L’écologie surplombante, c’est aussi inévitablement une écologie coloniale. Voir : Guillaume Blanc, l’invention du colonialisme vert, Flammarion 2020
Il faudra nous faire à l’idée de l’anthropocène, cette nouvelle ère géologique dans laquelle les humains sont devenus une force géologique. Le terme n’est utilisé que dans un sens négatif, pour parler des destructions infligées à la « nature ». L’irruption de la puissance humaine dans l’histoire de la Terre est un fait, au même titre que l’apparition de la photosynthèse il y a deux milliards d’années, l’apparition de la vie terrestre sortie de la mer, l’apparition des champignons mangeurs de bois qui ont mis fin à la fabrication de charbon (carbonifère), l’apparition conjointe des plantes à fleurs et des insectes pollinisateurs.
La protection de la nature façon, « parcs naturels » c’est le maintien de la séparation entre la nature qu’on exploite et la nature qu’on protège. Et la séparation de nous mêmes en deux : celles qui produit et consomme (pour la nature qu’on exploite) et celle qui jouit du monde (pour la nature qu’on préserve). Non qu’il ne faille pas des parcs naturels, au stade de dégradation où nous en sommes c’est un moindre mal. Mais la séparation ne peut pas être un projet.
C’est la production et la consommation que nous devons interroger et que nous devons transformer pour que notre monde soit pérenne, habitable, riche. L’écologie n’est donc pas la protection de la nature mais elle est la transformation de nous-mêmes et de notre rapport au monde. Pour le dire en terme plus classiques (soyons fous ...) : l’écologie c’est la transformation des rapports de production.
C’est donc dans un monde transformé par nous mêmes que nous devons vivre. Il n’est qu’à regarder la terre depuis un avion pour voir des champs, des voies de circulation, des villes, et des forêts carrées.
Le terme « anthropocène » a suscité bien des polémiques et la gauche écosocialiste a voulu lui substituer le mot « capitalocène ». La faiblesse de ce débat politique est qu’il se limite à définir la période d’apparition du mal (le mal est-il apparu avec l’Homme ou avec le Capitalisme ?). L’inconvénient du mot « capitalocène », est qu’il se situe exclusivement du point de vue de la destruction. Or la puissance géologique de l’humanité est un fait, quel que soit le système économique. Nous avons modelé la terre et personne ne prédit la fin des champs et le retour intégral de forêts. C’est une co-construction d’ « l’humain » et de « la nature » qu’il faut penser.
Cette polémique a quelque chose à voir avec une culture de la dénonciation que je critique sur bien des plans. La dénonciation serait suffisante à l’anticapitalisme (anticapitalisme, cette désignation est un résumé de nos problèmes) et penser le futur serait soit hors de propos, soit même proscrit. Le mot « anthropocène » implique une pensée du futur. C’est en ces termes que nous devons penser l’écosocialisme sous peine de prêter le flanc à deux maux symétriques : la séparation entre une nature qu’on préserve et une nature qu’on exploite ou alors le mythe d’une nature intacte et vierge qu’il faudrait restaurer (avec moins d’humains, bien sûr !).
La question des besoins
Le socialisme ce serait « la satisfaction des besoins ». Outre que la notion de besoins est très élastique (on complète parfois l’expression par « besoins fondamentaux » mais ça ne nous avance pas beaucoup) elle a pour principal inconvénient de suggérer que la vie humaine se ramène à une question biologique à résoudre.
Les anthropologues du début du 20e siècle (Durkheim, Mauss) ont rapporté des faits dans les sociétés primitives (sociétés tribales, sans État) qui ont beaucoup troublé les contemporains : quand un sorcier prédit à un membre du groupe qu’il va mourir, alors très souvent la personne tombe malade et meurt. On a vu des hommes vigoureux, jeunes et en bonne santé mourir en quelques jours d’un mal intérieur en apparence foudroyant. La réception populaire de ces faits était, à l’époque, que les sorciers avaient un pouvoir immense et surnaturel. Ou alors, ce fut la dénégation au motif qu’on entre là dans la pensée magique et la croyance au surnaturel. Il n’en est rien : dans une petite communauté, où la possibilité d’être à l’extérieur du groupe est impossible à imaginer, dans une communauté qui prend en charge tous les aspect de la vie, matérielle, sociale, religieuse, la reconnaissance et le futur de chaque personne, la possibilité d’être exclu signifie la mort. Et si le sorcier dit « tu vas mourir » ce qu’il aurait pu dire autrement « tu n’es plus avec nous », alors toute possibilité d’existence est anéantie. En général on en meurt.
Dans la société française, l’excédent de mortalité de la partie de population qui est au chômage par rapport à une population équivalente insérée dans un travail (comparée par tranche d’âge) est de 40 000 par an. La mortalité supplémentaire des chômeurs n’est pourtant due que marginalement au manque de soins médicaux ou à une mauvaise alimentation. De plus, ces deux facteurs peuvent être liés davantage à une désinsertion sociale, au manque d’envie de prendre soin de soi qu’à un véritable manque matériel. Beaucoup de chômeurs sont, d’une certaine manière, comme les victimes du sorcier qui dit « tu vas mourir », c’est à dire « on n’a plus besoin de toi ». Ils tombent malades.
Donc négativement, du côté du manque, la possibilité de vivre, et même tout simplement la survie, est liée tout autant à la satisfaction des besoins matériels qu’à la satisfaction des besoins sociaux (au sens socialisation). Mais, en positif, la motivation pour agir est tout autant liée à l’amélioration de sa condition matérielle qu’à une insertion réussie dans le monde social et une reconnaissance de soi par autrui.
Or à lire les tracts et les journaux révolutionnaires, on pourrait croire que seuls les militants ont des motivations morales et sociale (l’avenir de l’humanité, la satisfaction des besoins des plus démunis, la sauvegarde du climat…) et que le reste de l’humanité n’aurait que des besoins matériels (les classes subalternes n’auraient « pas de quoi vivre » et les classes dominantes « qui se gavent »). Cela donne une position surplombante aux militants, qui peut satisfaire leur égo, mais qui ne s’adresse aux autres que comme à des êtres biologiques. Ça ne donne pas envie au quidam de s’identifier, à moins de changer de côté, de devenir soi-même militant pour acquérir le bénéfice symbolique de la position. À partir de cette position, on peut fustiger tous les autres « qui n’ont pas compris », qui sont abrutis (ou désinformés) par la télé et militer pour les amener à une « prise de conscience » du fait qu’ils sont exploités.
Faire appel aux besoins sociaux, au désir d’être utile, pourrait être, aussi, mobilisateur. On constate que les luttes, quand elles démarrent sur des objectifs matériels s’expriment très rapidement, pour peu qu’elles durent et acquièrent un visibilité publique, en termes altruistes et sociaux : « je fais ça pas seulement pour moi mais aussi pour mes enfants, ou pour ma région, ou pour les jeunes qui arrivent ... ». On peut considérer que c’est même le principal ressort des luttes pour le climat, ou des luttes féministes, et plus généralement des luttes qui s’expriment dans l’espace public (« espace public » par contraste avec les luttes salariales dans les entreprises). Les luttes pour les retraites ont eu aussi une dimension altruiste dans leur expression (pour nos enfants, pour les nouvelles générations, pour les jeunes précaires qui n’ont pas beaucoup cotisé).
C’est la raison pour laquelle un programme politique qui mettra seulement en jeu les besoins matériels, qui se dispensera d’en appeler à une société meilleure au nom des revendications immédiates et de « leur dynamique », qui ne fera pas référence au bonheur de faire œuvre commune, est voué à la marginalité et à l’échec.
Malheureusement, à lire nos tracts et nos journaux, nous sommes bien éloignés de ce type d’expression, piégés que nous sommes par notre conception « des besoins »
Dans le livre « Génération Ocasio Cortez » (Découverte 2020) qui présente une série de portraits et d’itinéraires militants dans la période de la candidature de Bernie Sanders, une militante conclue son propos par « peut-être nous n’allons pas gagner, mais au moins nous nous sommes fait des amis ». Une façon concise de résumer l’articulation entre la lutte revendicative et le besoin de se construire comme être social.
Nous ne sommes rien ?
L’hymne du mouvement ouvrier, l’Internationale, scande dans son refrain « Nous ne sommes rien soyons tout ». Outre le fait qu’on ne sait pas par quelle opération magique le Rien peut devenir Tout, cette auto-désignation de Nous est tout simplement dégradante, comme s’il fallait exagérer le mal pour mériter le paradis.
Il n’y a pas eu de paupérisation absolue de la classe ouvrière et de telles prédictions sont tombées dans le ridicule et l’oubli. L’espérance de vie a doublé dans le monde entier sous le capitalisme, (hors zone de conflit armé). Évidemment, les classes dominantes ne nous l’ont pas offert : nous, les subalternes l’avons gagné et nous avons imposé au capitalisme de fonctionner de cette manière et pas d’une autre. Il y eut pourtant d’autres tentatives d’organisation sociale capitaliste bien plus destructrices. En vrac : l’esclavage dans camps de concentration nazis, le colonialisme (qui a entre autres fait disparaître 95 % de la population autochtone en Amérique du Nord), l’esclavagisme en Amérique, l’apartheid en Afrique du Sud, le travail des enfants dans les mines et les filatures, le goulag. Un fonctionnalisme stupide en conclurait que ce qui existe aujourd’hui devait se produire pour les besoins du capitalisme. Y compris la Sécurité Sociale qui selon certains « révolutionnaires » aurait été mise en place pour maintenir la consommation et les débouchés.
Mais c’est ce capitalisme là que nous avons parce que la guerre de sécession a été gagnée, parce que l’apartheid a été vaincu, parce les armées coloniales ont été battues, parce qu’à la libération en France, avec 300 000 hommes armés dans la résistance et après la victoire contre le nazisme, il fallait bien, pour la bourgeoisie, lâcher quelque chose et on y a gagné la sécu et les services publics.
« Nous ne sommes rien » ne permet pas de s’appuyer sur les victoires et les acquis, ni de faire référence à notre force plutôt qu’à notre misère. Plus important encore : ces acquis sont des bases solides pour penser l’égalité de tout le genre humain (il n’y a plus de « race inférieure »), pour penser la possibilité d’une société où certaines choses sont rendues disponibles sans être achetées (école, santé), pour penser la possibilité d’une société où la reproduction sociale n’est pas dévolue aux femmes et dévalorisée. Inutile de faire une longue liste : suivez ma démarche, comparez votre vie à celle de vos grands-parents et arrières. Nos victoires on ouvert d’immenses perspectives.
Bon, certains préféreront toujours évoquer l’apocalypse qui seule permettrait la rédemption. Ou la misère qui va provoquer la révolte et nous sauver pour toujours. Avec ceux là, nous ne pourrons rien construire. Laissons les expliquer aux travailleurs qu’ils sont malheureux. Mais sans nous.
De l’indigence d’une notion : le « partage des richesses »
Si on observe l’évolution du partage des revenus entre salaires et profits à l’échelle historique, on observe une élévation de la part des salaires, passée de 63 à 71 % de la Valeur Ajoutée dans les années 1960-70 , un maintient à ce taux favorable au travailleurs pendant plusieurs années, un retour progressif vers la répartition salaires/VA des année 1950 au cours de la période 1980-2000, une stabilisation puis une très légère croissance depuis les années 2000. Nous sommes aujourd’hui autour de 65 % de la part des salaires dans la valeur ajoutée. La perte par rapport au plus haut historique est de l’ordre de 10 % de la valeur ajoutée totale, basculés du côté des profits, ce qui arithmétiquement correspondrait à une baisse absolue des salaires (directs + cotisations) de l’ordre de 13 %. En fait, si on lisse « l’anomalie historique » temporaire de la période 1973-1980 on serait à une pertes de l’ordre de 5 %, soit une baisse des salaires de 6 %. Certes, une augmentation des salaires de 10 % serait bienvenue, mais ne changerait pas fondamentalement la vie. Une rétrospective historique sur la durée nous montre que ces + 6-10 % c’est l’évolution « normale » de salaires sur 5 à 10 ans, en lien avec les gains de productivité.
Examinons la revendication salariale telle qu’elle est exprimée largement en France en 2019 : la CGT revendique un salaire minimum de 1 800 € (brut) par mois, soit une augmentation de 18,5 %. L’extrême gauche (LO, NPA) vise un SMIC à 1 700 € net, donc 2 012 € brut (soit +500 € net), ainsi que « aucun revenu en dessous du SMIC revendiqué ». La démarche revendicative de l’extrême gauche conduirait, dans la structure salariale actuelle (conventions collectives et grilles de salaires inchangées) à augmenter la masse salariale des travailleurs en activité de 30 à 40 %. Si nous considérons que l’augmentation des retraites revendiquée avec un seuil bas à 1 700 € pourrait être financée par l’augmentation des salaires via les cotisations sociales, il reste par ailleurs à amener tous les autres revenus à 1 700 €, ce qui concerne 5 à 7 millions de personnes. Sans entrer dans les détails comptables, nous pouvons intuitivement en déduire une élévation de la part des salaires dans la valeur ajoutée totale portée de 63 % actuellement à plus de 85 %, voire 90 %. Une telle revendication aboutie mettrait incontestablement le capitalisme en crise et donc répondrait formellement aux critères d’un programme de transition. Mais on peut être sceptique sur la possibilité, pour un gouvernement des travailleurs arrivé au pouvoir, de gérer un tel héritage. Affecter la quasi-totalité des richesses au revenu des ménages obère toute possibilité de création d’infrastructures (quid des transports gratuits ?), de transformation du système productif (quid de la transition écologique ?) et même du simple entretien de l’appareil de production ! D’un point de vue écologique, elle exacerbe la consommation individuelle de biens et donc la pression sur les ressources. Il n’est pas question ici de contester le fait que, dans les conditions sociales de la France, il est difficile de vivre avec moins de 1 700 € par mois. Simplement nous devons prendre en compte le fait que la redistribution des richesses ne se réduit pas au changement du rapport entre salaires et profits, la redistribution au sein du salariat est incontournable et ce constat complique notre démarche revendicative. Pour réserver une proportion raisonnable à l’investissement et augmenter tous les revenus jusqu’à 1 700 € net au moins, il faudrait faire une incursion radicale dans l’échelle des salaires (échelle de 1 à 4, par exemple entre 1 700 € et 6 800 € ?). Un tel programme politique est-il assumable dans les conditions actuelles ? Comment un syndicat pourrait-il porter un tel projet ? C’est bien pour ça que la question est évacuée en silence.
La démagogie qui consiste à égrener les profits des grandes entreprises et les dividendes distribués pour dire « regardez, de l’argent il y en a, du côté du patronat » passe à côté de ce problème. Nous contestons les profits parce qu’ils sont mal utilisés, parce que l’argent n’est pas investi à bon escient, mais dans n’importe quelle organisation économique une partie de la richesse devra être consacrée au renouvellement de l’appareil de production, aux infrastructures, aux nécessaires transformations de l’appareil productif. Les châteaux, les jets privés, la consommation de luxe ne constituent pas une ressource suffisante pour satisfaire les besoins de tous et toutes. L’industrie du luxe au niveau mondial représente 1400 milliards d’euros. C’est scandaleux, inutile, anti-écologique. Mais ça ne représente que 1,5 % des 91 000 milliards du PIB mondial et l’industrie du luxe n’a pas que des clients ultra riches. Pour ces derniers, même si on y ajoute les résidences de luxe et les jet privés, on n’a pas de quoi redistribuer massivement des richesses. Les grands bourgeois sont très riches, mais ils ne sont pas si nombreux ! Dans le même sens, l’augmentation vertigineuse des profits des grandes entreprises ne se traduit pas une baisse proportionnelle du rapport salaires/profits : ces profits sont principalement de « surpofits de monopôles » au sens de Ernest Mandel. (Le 3e âge du capitalisme, ed. La Passion ; 1997). Ils représentent principalement un canalisation de la richesse produite dans tous les secteurs de l’économie vers les grands monopôles, autrement dit du pillage des petits patrons par les gros. Ce phénomène est effectivement dysfonctionnel en terme rationalité économique. Des activités utiles sont mises à mal ou détruites, d’où la difficulté de trouver un plombier ou artisan pour la rénovation de notre maison. Ces capitaux ne trouvent pas à s’investir dans des activité rentables au taux des surprofits de monopôle auquel ils ont été générés, alors ils se retrouvent dans le capital fictif financier, se dirigent vers des paris sur l’avenir tels que Tesla ou l’immobilier spéculatif. Leur rentabilité apparente crée des bulles, l’afflux de capitaux entraîne une inflation des actifs. Ce phénomène auto entretenu ne peut que conduire à des effondrements récurrents (2002 ; 2008, et le prochain qui ne saurait tarder). Ces crises provoquent la destruction massive de valeur alors que la misère d’une partie importante de l’humanité n’est pas résorbée et que la crise climatique exigerait une mobilisation de moyens sans précédent.
La mauvaise affectation et le gaspillage des richesse créées par le capitalisme ne saurait se réduire à une mauvaise répartition entre salaires et profits. Encore moins à une mauvaise répartition des « richesses ». La notion de richesses est tout à fait inopérante quand elle mélange : 1- les moyens de production et la propriété lucrative, 2- les propriétés d’usage, 3- les propriétés d’usage à contenu partiellement spéculatif (logement).
Il ne serait pas charitable de dire que ceux qui ont élaboré ces revendication n’ont pas de connaissances économiques. En fait il s’agit d’autre chose : on passe volontairement sous silence les conséquences économiques de telles revendications, en tous cas en ce qui concerne les révolutionnaires qui y croient, parce qu’on compte sur « les dynamiques » : de telles revendications mettraient le capitalisme en crise et de cette crise surgirait la révolution. Mais croie-t-on vraiment qu’on pourra conduire les travailleurs au seuil de la révolution sans qu’ils s’en rendent compte ? En tous cas, aucune lutte pour les salaires n’a jamais repris de telles revendications, même pas celles plus modestes de la CGT. Par contre on voit souvent des grèves « pour 300 € ».
Nous pourrions concevoir une autre façon d’aborder la question des revenus, plus proche d’une cohérence entre les moyens et les fins : une revendication d’augmentation égale de 300 € pour tous les revenus, salaires et pensions, combinée à un déplafonnement de la sécurité sociale (la part des salaires au dessus du plafond de la sécu, 3666 € brut par mois en 2022, n’est pas soumise à la cotisation de l’assurance maladie de 8 %). Ce principe ferait baisser les très haut salaires et limiterait la hausse de moyens-hauts sans que les grilles de salaires ne soient bouleversées. C’est une revendication qui pourrait être assumée en dehors d’une période révolutionnaire, qui pourrait unifier le plus grand nombre et qui amorcerait le débat sur la hiérarchie de salaires, le tout dans une perspective de ramener le rapport salaires/profits à un taux des années 1970.
En même temps il faut sortir d’un cadre revendicatif qui canalise la lutte des classes vers l’augmentation des revenus monétaires : alors intervient la question de la gratuité. Généralisation de l’assurance maladie et abolition des assurances complémentaires, transports gratuits, fourniture gratuite de l’eau, de l’énergie, des télécommunications jusqu’à un certain seuil couvrant les besoins ordinaires. Sécurité sociale de l’alimentation , c’est à dire collecte d’une cotisation spécifique et avec cet argent marqué (au sens où, comme pour les cotisations sociales, il est par principe affecté à un usage prédéfini), financer une agriculture et une distribution spécifique de manière à fournir à tous et toutes une base alimentaire de qualité, gratuite, produite dans de bonnes conditions écologique.
Alors, par l’extension de la gratuité et de la cotisation nous nous dirigerions vers une augmentation des ressources pour celles et ceux qui ont les plus bas revenus et un aplatissement de la hiérarchie salariale, une diminution globales des revenus distribués sous forme monétaire [2]
Bernard Friot, dans « En travail, conversation sur le communisme » développe une argumentation convaincante sur un projet de répartition des revenus et d’affectation des richesses en « monnaie marquée » combinée à une réduction drastique de la hiérarchie salariale (p 273-279) . Malheureusement son projet élude la revendication praticable dans l’état actuel des idées et susceptible d’être largement partagées. C’est en ce sens que je propose la combinaison de revendications immédiates : 300€ pour tous, déplafonnement, extension de la gratuité.
Penser le communisme : partir d’expériences vécues et se projeter dans un monde souhaité
Le grand mérite du travail de Bernard Friot est la mise en évidence du « déjà là » du communisme dans les acquis de la classe ouvrière : le salaire à vie détaché de la personne avec le statut de la fonction publique et, partiellement, avec les conventions collectives basées sur la qualification ; la fourniture de services essentiels grâce à de « l’argent marqué »(la cotisation sociale dirigée) avec l’assurance maladie, le salaire continué avec la retraite.
Dans notre société, une part importante des services est (encore ?) distribué sans contrepartie de paiement : l’école et l’université, certains transports et voies de communication subventionnés, la santé …
Il est possible de penser une alternative au capitalisme grâce à l’expérience vécue massivement de l’accès à certains biens et services sans avoir à les acheter.
C’est sur de telles expériences partagées que nous devons nous a appuyer pour imaginer le monde futur. Un monde dans lequel l’argent n’est pas le principal médiateur des rapports humains, dans lequel la distribution des biens et services est l’enjeu de la discussion politique et non du pouvoir d’achat.
Dans le système capitaliste, les outils de l’affectation des moyens de production, de l’investissement sont, pour l’essentiel, les banques et la Bourse : ces institutions collectent les bénéfices sous forme d’intérêt des emprunts et de dividendes, puis les dirigent, pour l’essentiel, hormis la consommation de luxe, vers des investissements plus ou moins productifs et plus ou moins utiles. La collecte des bénéfices pourrait être faite d’une autre manière : je reprends (en le modifiant) le principe des caisses d’investissement de Bernard Friot. Ces caisses collectent les bénéfices des entreprises et les affectent selon des critères politiques construits démocratiquement, ce qui suppose que les directions de ces caisses sont élues. Les banques et la Bourse n’ont plus de raison d’être dans le processus d’investissement.
Ces nouvelles institutions peuvent être un objectif pour le socialisme. Mais dans notre système actuel un procédé d’attribution politique des investissements existe déjà : les subventions publiques aux entreprises, les aides pour la recherche privée, les réductions ou exonérations d’impôts pour favoriser l’implantation d’entreprises. Nous nous en tenons souvent à la dénonciation des subventions publiques au patronat. Certes. Mais mettre en relation la nécessité socialiste des « caisses d’investissement » et les subventions de l’État capitaliste aux entreprises capitalistes pourrait se concevoir : une propagande pour un contrôle démocratique des aides publique plutôt qu’une simple dénonciation. Avec en perspective l’idée que les aides aux entreprises pourraient être gérées par une institution élue par les travailleurs.
Les services publics que nous envisageons dans une transition socialiste sont des structures démocratique, élues comme l’ont été en leur temps les caisses de sécurité sociale. Nous avons là le modèle, sinon d’une abolition de l’État, du moins d’une régression de son emprise grâce à des institutions démocratiques, au sens où la sécurité sociale des origines n’était pas une institution étatique. La détermination des règles de fonctionnement et la désignation démocratique des gestionnaires par les usagers, c’est la définition des communs, c’est la voie par laquelle peut être réhabilitée l’idée de communisme.
On peut ainsi imaginer et revendiquer un service public de l’énergie élu, de même un service public du logement, de l’alimentation etc.. Un type d’élection qui pourrait être plus intéressant et plus mobilisateur que l’élection d’un président de la république, bien souvent sur sa bonne tête, ou sur sa présumée compétence.
La bataille pour la gratuité doit se doubler d’une bataille pour la gestion démocratique des institutions de la gratuité, institutions indépendantes de l’État. [3]
Des pistes pour les revendications et l’action politique
Refaire de la politique, agir ici et maintenant, penser l’après capitalisme
Les mouvements sociaux sont thématiques : féminisme, antifascisme, luttes ouvrières, écologie.
Le problème est global : marchandisation de la vie et de la nature, dévalorisation de ce qui ne peut pas s’acheter ou se vendre (la reproduction sociale, humaine, du monde naturel), survalorisation de la production pour le marché. Produire des voitures ça rapporte, éduquer des enfants, ça coûte.
L’alternative ne peut pas se limiter à la réponse aux revendications particulières, si nécessaires soient-elles. Comment articuler revendications et projet de société ?
Le parti, le regroupement qui agit et qui porte le projet, devra se construire en même temps que son milieu : pas de transformation radicale si elle n’est pas portée par une large partie de le population. Pas de regroupement politique auto-proclamé. Nécessité d’un espace collectif délimité qui agit et qui pense collectivement. Nécessité d’un milieu qui approuve ou critique, qui agit et qui interagit. Les deux se développent conjointement.
À partir ce ces préalables, je propose à la réflexion une démarche militante qui tracerait une continuité entre divers aspects des questions actuelles d’une part, et qui porterait l’objectif d’une société future sans marchandises, où la gratuité (pour le dire autrement : la mise à disposition de biens et de services sans passer par la case « argent ») serait l’élément structurant.
Pour commencer la réflexion prenons l’exemple des transports publics : je propose une manière de l’aborder qui reprend le raisonnement déjà exposé ci dessus :
Lutte pour les transports gratuits pensée comme action révolutionnaire
Les transports gratuits, c’est une question au carrefour des questions sociales et écologiques. Le prix du transport est une charge lourde et une entrave à la mobilité, et pas seulement pour le familles les plus pauvres. Le ticket est un péage dissuasif qui favorise la voiture : limiter le transport automobile en zone urbaine est une urgence pour des questions de santé, de pollution, de climat, de dégradation de l’espace public.
Organiser le paiement mobilise une armée de contrôleurs, de flics, une masse de matériel, des caméras partout, et au final pourrit la vie de tout le monde. La marchandisation de l’espace public, dont le ticket payant est un des éléments, c’est aussi une nuée d’entreprises privées qui font des profits avec nos impôts, c’est l’invasion publicitaire, c’est la surveillance généralisée (à quand la reconnaissance faciale et le suivi individualisé des voyageurs par les publicitaires et par la police ?)
La question des transports gratuits est entrée dans le débat public. Elle est une réalité dans plusieurs grandes villes par exemple : en France Dunkerque, à Talin la capitale d’Estonie, et même à l’échelle d’un pays (Luxembourg). À Montpellier les transports sont gratuits le week-end et en Occitanie il existe un réseau de bus à 1€. Pour peu qu’on pousse fort, les transports urbains gratuits pourraient tomber comme un fruit mûr. L’enjeu est de savoir si ça nous sera octroyé au gré des majorités territoriales ou si nous allons le gagner par la lutte, lui donner un sens socialiste, construire un acteur politique qui ne se cantonnerait pas à cette question particulière.
L’actualité d’une lutte pour les transports gratuits peut être exacerbée par les augmentations massives du prix du ticket, notamment à Paris, le pass Navigo.
Maintenant, il faut passer à la vitesse supérieure et ne pas se laisser entraver par des considérations comptables. La crise du COVID a montré que les pouvoirs publics peuvent mobiliser des centaines de milliards pour sauver le CAC 40. Le feront-ils pour l’environnement ? La crise écologique, dont la voiture est un des principaux facteurs, nous met face à des dangers bien pires que le COVID.
La gratuité telle que nous l’envisageons, pour les transports urbains et plus largement pour les services, n’est pas seulement une question particulière et locale : elle est la réponse offensive à la marchandisation du monde.
Dans la vision d’un monde alternatif, elle est une forme de distribution de ce qui est vital, sans passer par l’achat, la vente, la pub, la concurrence, la lutte de tous contre tous. Elle est la véritable alternative au capitalisme prédateur. La gratuité ne veut pas dire que ça ne coûte rien : elle est une redistribution des richesses. Ceux qui ont des voitures avec chauffeur seraient moins riches.
Nous ne voulons plus payer ce qui est indispensable (transports, école, santé, eau, énergie …) alors que, de plus en plus, la carte bleue tend à remplacer la carte vitale.
La gratuité est déjà présente dans nos vies, même si c’est parfois de manière altérée, parasitée par le privé : école, santé, voies de circulation (mais là c’est surtout pour les voitures). Nous voulons l’étendre, en faire le pivot de l’économie.
Reprenons l’offensive contre le vieux monde. La défensive est une mauvaise posture
En pratique
Bloquer les portillons du métro, les check-points de contrôle comme en manif, à une quarantaine : « cassez vous, cassez vous ». Avec du film alimentaire on peut obturer les machines à composter les tickets de trams, en ajoutant une feuille d’alu à un film alimentaire le composteur sans contact est neutralisé. Et tapisser le tram d’autocollants, descendre à la station suivante, station vérifiée sans danger par une équipe de surveillance postée là.
Pas de dégâts, un message. Pas de gêne pour les usagers. On peut dire « ce n’est pas un appel à frauder, c’est une exposition du monde que nous voulons »
Tracts, autocollants, action en groupe, mobilité et retrait rapide, vidéo sur les réseaux sociaux. Casquette, lunettes, masques anti-covid.
L’objectif est de délégitimer les systèmes de paiement et de contrôle afin qu’un maximum de gens s’emparent du projet et des méthodes d’action. On ne demande pas aux élus de nous donner les transports gratuits, on crée nous-mêmes les conditions de la gratuité.
Et on construit notre collectif autour d’un mode d’action directe et d’un projet de société. Ce n’est pas qu’une action particulière, un collectif ad-hoc : c’est la mise en place d’une action révolutionnaire, pensée comme telle, et qui aura vocation à se déployer dans d’autres domaines.
Si une telle action, à la fois spontanée et organisée, pouvait entraîner une situation quasi insurrectionnelle dans le métro (Chili 2018) ? Alors nous avancerions d’un grand pas dans le rapport de forces social, l’écologie et la construction d’un acteur révolutionnaire.
Au delà des transports gratuits :
- Réduction massive du temps de travail. Le vendredi on ne travaille pas. Rassemblement tous les vendredis devant un entreprise, une zone industrielle ou une administration. Vivre mieux, décroissance, embauches.
- Non aux parasites de la santé : pourrir la vie d’un site d’assurances complémentaires, style Malakoff-Médéric. Rassemblements, et plus que ça. Refaire les façades ? Interpeller les clients ? Perturber le fonctionnement des agences ? Revendiquons la santé pour tous, une sécu pour tous et toutes, gratuité intégrale.
- Pour une agriculture relocalisée et respectueuse de l’environnement : perturber les transports de tomates qui viennent de la mer de plastique au Sud de l’Espagne, perturber les marchés de gros. Par des actions radicales et spectaculaires. Poser alors les questions sur la manière de produire, sur le transport, et faire une propagande par l’action en faveur d’une sécurité sociale alimentaire.
Et il y a matière à créativité sur le même principe dans bien des domaines...
Pour agir dans ce sens, il faudra se penser autrement que comme une avant-garde qui viendra expliquer comment faire dans des luttes déjà-là et apparues sans nous.
C’est par des actions radicales qu’on pourra poser les débats politiques. La radicalité existe dans les mouvements sociaux, les manifs : cortèges « de tête », Notre Dame des Landes, l’ouverture de squats pour les migrants... Parions sur le fait que bien des militants et militantes radicaux déjà actifs pourraient être partie prenante d’actions ayant plus de sens politique et stratégique. Un défaut actuel de ce milieu militant est parfois le fétichisme de l’action pour l’action. Nous proposerions une démarche qui non seulement serait en rupture de légalité, qui non seulement agirait pour des revendications particulières, mais qui serait organisée dans le cadre d’une stratégie politique inscrivant dans les perspectives : de nouvelles manières de gérer le monde, de nouvelles institutions et au final un projet socialiste. Alors nous pourrions non seulement convaincre ceux et celles qui sont déjà dans l’action radicale, mais aussi élargir l’audience de la radicalité politique en lui proposant des perspectives.
Ainsi se construirait de manière conjointe le mouvement social et sa fraction organisée ; le sujet révolutionnaire et le parti. [4]
Radicalité et unité
Dans l’Histoire, tous les mouvements sociaux qui ont compté, révolutionnaires ou pas, se sont développés sous deux faces complémentaires : un courant de masse, légal, plus ou moins non-violent (qu’il théorise ou pas la non violence) et un courant radical, parfois armé, qui adopte un langage et parfois une stratégie révolutionnaire.
Le mouvement pour le droit de vote des femmes à partir de 1913, a fait une campagne systématique d’incendies : Les suffragettes ont mis le feu à des villas, des entrepôts, des meules de foin, des bureaux de poste, des aqueducs, des théâtres et des tas d’autres cibles dans tout le pays. En l’espace d’un an, le WSU a revendiqué 317 attaques.
Le mouvement noir aux USA avait deux faces : le mouvement des droits civiques avec Martin Luther King et les Black Panthers avec Malcolm X. Quand le gouvernement US négociait avec Luther King, c’est aussi parce qu’il avait peur (et le faits lui donnaient raison) que le mouvement se radicalise et rejoigne la lutte armée. Ces deux faces complémentaires ont fonctionné en synergie plus ou moins assumée par chacun des deux courants. L’aile radicale pouvait savoir si ses actions avaient un impact positif ou négatif à un niveau de masse, l’ailelégale bénéficiait de la terreur que la lutte armée en progression inspirait au gouvernement.
Tous les mouvement de libération anticoloniaux ont articulé (volontairement ou pas) un mouvement de masse légal et parfois pacifiste avec un mouvement armé.
En Egypte en 2011, la police était paralysée par les incendies de commissariats et de véhicules, ce qui a été un soutien déterminant au rassemblement pacifique de la place Tahïr par l’affaiblissement des forces de répression (destruction de moyens militaires et démoralisation). Alors le manifestants rassemblés pouvaient proclamer « nous sommes pacifistes et non-violents », et parfois le croire.
Le mouvement pour le climat semble parfois paralysé par son pacifisme stratégique, incapable d’avancer malgré son caractère de masse. Les militants d’Extinction Rébellion (XR) proclament leur désir de se faire arrêter et réprimer par la police comme moyen de discréditer et démoraliser l’adversaire [Londres 2019]. (Leur stoïcisme devant la répression n’est possible que parce que leur appartenance sociale les protège relativement : le maintient, immobiles devant les matraques et les gaz, la passivité face aux arrestations, seraient inimaginable pratiqué par des personnes racisées ou tout simplement des habitants des banlieues). Pourtant, à la marge, ce mouvement semble attiré par un certain radicalisme, par exemple la destruction de trottinettes électriques en libre service payant.
Les organisation politiques, bien que non pacifistes, semblent bien à la peine pour intervenir comme aile radicale, pour radicaliser, ou pour impulser des actions qui permettraient de construire des mouvements en rupture de légalité. Peut-être est-ce un reste d’avant-gardisme qui consisterait à se concevoir comme la direction potentielle d’un mouvement déjà là. Ce reste d’avant-gardisme se combine avec une intériorisation de notre faiblesse.
Donc : ni action minoritaire type Action Directe ou « la propagande par l’exemple » des anarchistes du début du 20e siècle, ni pacifisme stratégique. Construire les deux mouvements simultanément, même si ça ne va pas sans conflits potentiels. Cette articulation devrait servir de soubassement à nos tactique unitaires. L’unité de la base au sommet des organisations progressistes autour de revendications et d’actions vise à convaincre une part de plus en plus large de la population du bien fondé ce ces revendications. L’action radicale n’est pas subordonnée au programme ni aux méthodes de ce cadre unitaire. Les révolutionnaires, engagés dans les deux versants de l’action ne font rien qui puisse empêcher ou détruire le cadre unitaire qu’ils s’attachent à construire. Mais pour envisager d’être aussi l’aile radicale des mouvements, il faut se concevoir comme acteurs possibles et non comme dirigeants potentiels d’un mouvement qui apparaîtrait nécessairement sans nous.
La question de l’unité divise les révolutionnaires : faut-il faire l’unité avec les dirigeants réformistes ? L’unité à la base peut-elle pousser les dirigeants à radicaliser l’action ou à va-t-elle les déborder ? Jamais la question : « qui impulse l’action » n’est abordée. Un certain fétichisme de l’unité affirme qu’il suffirait que les organisations s’unissent pour que de luttes apparaissent. Un autre versant incite à croire que nous n’y pouvons rien dans leur émergence et que le cadre unitaire servira à accueillir des luttes déjà là. Poser la question en terme d’articulation d’une aile radicale et d’un mouvement de masse pourrait renouveler le débat sur l’unité. Et aussi la question de savoir ce qu’est le rapport entre la « la base » et « les dirigeants : car la base aussi peut être inerte et conservatrice faute de perspectives, faute d’alternatives, par inertie, par peur que ce soit pire, par peur de perdre « le peu qu’on a ». L’action est toujours confrontation entre celleux qui agissent et celleux qui restent passifs. Un parti pour l’action n’est pas seulement un parti qui se confronte aux réformistes, c’est aussi un parti qui pousse à l’action les plus proches de nous, qui les confronte à un mouvement en train de naître.
Partir du postulat que les réacs sont rationnels
La crise du système capitaliste provoque une radicalisation à droite et à l’extrême droite. Nous y répondons par l’appel à la mobilisation antifasciste, par la dénonciation des propos réacs et fachos des médias ou des représentants politiques. Mais l’opposition au le fascisme ne peut pas seulement se réduire une confrontation globale avec les idées et les mobilisations fascistes.
Les raisons d’être partisan du patriarcat pour un homme ne viennent pas seulement d’une fausse conscience : celui qui est écrasé dans son travail, qui se sent méprisé dans la vie sociale et dans le champ politique va être paniqué s’il sent qu’il risque de perdre le seul espace de pouvoir qui lui reste : la famille. Dès lors, le rapport de forces féministe, s’il s’avère indispensable, ne trouvera sa pleine efficacité que s’il se construit dans un contexte d’émancipation plus globale qui donnerait sens et dignité à la vie des plus opprimés.
Dans son livre « les femmes de droite » (1983), Andrea Dworkin part du principe que celles ci sont pour l’essentiel rationnelles : dans quelle mesure la gauche a-t-elle donné la preuve que les femmes vivront mieux si telle ou telle revendication féministe aboutit ? La liberté sexuelle telle qu’elle était vécue dans les années 1970 n’était-elle pas plutôt la liberté des hommes de disposer librement du corps des femmes ? Le droit à l’avortement ne pouvait-il pas être vécu par certaines comme la possibilité pour les hommes d’échapper à la seule responsabilité qui pourrait les contraindre : procréer ? Le divorce ne pouvait-il pas être redouté comme le droit donné aux hommes de délaisser leur compagne, sans ressources et sans socialisation autonome ?
P 68 : « Épouse ou putain : la putain quitte la rue pour devenir épouse si elle le peut ; la femme jetée à la rue devient la putain s’il le faut. Existe-il une façon d’échapper au foyer qui ne conduise pas inévitablement et horriblement au trottoir ? C’est la question qu’affrontent toutes les femmes. Mais les femmes de droite en sont conscientes. »
P 74 : « Elles voient que le mariage traditionnel signifie se vendre à un homme plutôt qu’à des centaines : c’est le marché le plus avantageux » (…) « Elles utilisent le sexe et les bébés pour préserver leur valeur parce qu’elles ont besoin d’un toit, de nourriture, de vêtements ».
P143 « Les femmes sont interchangeables en tant qu’objet sexuel ; elles sont un brin moins jetables en tant que mères »
P144 « Le judaïsme de droite et le christianisme de droite garantissent tous deux que les femmes conserveront une place, en dehors de l’Histoire mais au sein du foyer : en portant des enfants »
P227 « Si l’oppression de sexe est réelle, absolue, immuable, inévitable, alors le point de vue des femmes de droite est plutôt logique. Le mariage est censé les protéger du viol ; être protégée au foyer est censé les protéger de l’exploitation économique d’un marché analogue à un système de castes ; la reproduction leur accorde le peu de valeur et de respect qu’elles ont, ce qui les amène à accentuer la valeur de la reproduction, même si cela signifie accroître leur vulnérabilité reproductive (et notamment à la grossesse imposée) »
P229 « C’est surtout l’antiféminisme qui réussit à convaincre les femmes de droite que le système de ségrégation sexuelle et de hiérarchie sexuelle est immuable, impénétrable et inéluctable »
P231 « Faire face à la vraie nature du système de classe de sexe signifie en bout de ligne que l’on doit détruire ce système ou s’y plier. Les féministes, parce qu’elles n’ont aucun pouvoir, veulent détruire ce pouvoir ; les femmes de droite, parce qu’elles n’ont aucun pouvoir elles non plus, s’y plient parce qu’elles ne voient tout simplement aucune façon de s’en dégager »
P232 « faudra-t-il cent poings, mille poings, un million de poings lancés contre le cercle des crimes sexuels pour les détruire, ou les femmes de droite ont-elles essentiellement raison de le croire indestructible ?
Le livre était écrit avant les avancées féministes de l’après 2010 au niveau mondial. Andréa Dworking y montre un grand pessimisme (elle pense que les nouvelles méthodes procréatives vont aggraver le sort des femmes), combiné à un courage militant et un volontarisme remarquable (elle est près d’être passée par dessus une rambarde à plusieurs dizaines de mètres de haut lors d’une interview de femmes d’extrême droite) . Mais si on s’en tient à sa méthode et non à ses pronostics, elle nous porte un enseignement précieux et généralisable au-delà de la question féministe ; elle nous oblige à nous poser des questions dont nous n’avons pas l’habitude. Que se passe-t-il dans la tête d’un travailleur de droite, ou qui refuse le syndicalisme et la grève ? Avons nous fait la démonstration qu’une autre façon de fonctionner est réalisable ? Avons nous fait la démonstration que l’affaiblissement de son propre patron pourrait bénéficier à tous ?
Voici un exemple, inspiré de faits réels concernant la propriété foncière agricole. Un couple de paysans s’est endetté au début des années 2000 d’environ 1 million d’Euros pour acquérir une ferme. Pendant les vingt années qui ont suivi, dans un contexte de baisse des prix agricoles et de quelques aléas de production plus ou moins inévitables, la familles a vécu avec un revenu médiocre et un travail à la limite des possibilité humaines. La fin des remboursements des crédits est vécue avec soulagement. La retraite paysanne est tellement médiocre que seule la possession du foncier peut garantir un revenu. Comment aborder la question de la propriété foncière agricole dans ce contexte ? Sa critique ne risque-t-elle pas d’apparaître comme la dénégation de toute une vie d’efforts ?
Même question au sujet de la propriété des logements : beaucoup de travailleurs qui ont quelques moyens ont acheté un ou des appartements pour louer. Ils peuvent penser, à juste titre que les pensions de retraite ne sont pas garanties et qu’ainsi ils assurent un revenu pour leurs vieux jours. On ne pourra pas compter sur eux (c’est un euphémisme) dans la lutte pour le droit au logement, contre les expulsions locatives ou pour le soutien aux squatts.
Aux États Unis, il existe on opposition massive à la généralisation des assurances sociales. Les travailleurs qui payent cher leur assurance ne veulent pas voir les budgets de celles-ci plombés par des adhérents moins fortunés qu’eux. Dans ce pays, une sécurité sociale unifiée adossée à un service public de la santé n’est pas pensable ni accessible par l’expérience : pourtant en France, un système de santé partiellement unifié permet un meilleur service que les système Américain pour un coût seulement de 8 % du PIB contre 12 %. Mais la démonstration, aux US, reste à populariser. À défaut chacun essaie de sauver ce qu’il a.
Alors que la droite politique et le patronat sont dans un rapport cohérent avec leurs adversaires (ils veulent gagner plus, avoir plus de pouvoir et ils ont, le plus souvent, les moyens de leurs objectifs), le fascisme populaire prend racine dans une subjectivité de l’impuissance : le changement de système présent est impensable et même temps que celui-ci est invivable : d’où un discours « révolutionnaire » qui cherche un ailleurs mythique (dans le passé, la nation ..) mais qui ne fait qu’exacerber les traits d’un présent pourtant insupportable (la concurrence, le mérite, l’héritage). De cette contradiction, dont les personnes ne sont pas dupes, mais qui les traverse de part en part, naît la colère et la violence.
Dans nos analyses politiques nous disons que des défaites de la classe ouvrière et du mouvement social naît la possibilité du fascisme. À ce niveau de généralité, ce fait global et massif n’est pas contestable. Mais est-il suffisant pour agir, si nous ne sommes pas capables d’en décliner les forces sous-jacentes dans les plis de la société : émancipation des femmes, rapport à la nature, protection sociale, propriété foncière etc. Sinon, nous ne faisons que des analyses générales « de la période » qui pour être globalement justes n’ont d’autre impact que de conforter et de pérenniser un groupe constitué de militants. Au mieux nous réussissons à créer des mobilisations antifascistes qui font effectivement barrage à la banalisation du fascisme au niveau institutionnel, mais qui ne le combattent pas à la racine.
Alors, les militants révolutionnaires ne se seront pas trompés mais ils auront peu agi. La continuité trotskiste en quelque sorte : la fierté d’avoir eu raison malgré le (petit) défaut d’avoir eu assez peu d’influence.
Les 3 dimensions de la vie sociale et par conséquent de la politique.
En arrière plan de cet exposé, j’ai parcouru les trois dimensions de la vie humaine qui sont aussi les trois dimensions de la transformation du monde : 1 ) les revendications matérielles, à la base de la vie biologique, 2) les liens sociaux, interpersonnels et politiques, constitutifs des communautés humaines et du bien-être psychologique des individus, 3) le rapport au monde global humain et non humain dont les entrées par le féminisme ou l’écologie nous montrent que les rapports entre les humains d’une part et les rapports à ce que nous appelons la nature ont partie liée.
Je ne m’étendrai pas sur la dimension matérielle de la vie : cette problématique est largement explorée par la gauche, par le mouvement ouvrier, par les révolutionnaires : salaires, logement, services de l’éducation et de la santé... Ce n’est pas dire que cette question n’est pas fondamentale que de constater que nous nous y sommes enfermés.
La vie sociale, collective, l’appartenance à une communauté humaine, la place dans un monde humain qui était là avant nous et qui continuera après nous, est souvent abordée dans les organisations militantes comme étant secondaire et subordonnée à la question matérielle. Ou tout simplement ignorée. Faute d’inclure nos projets de transformation sociale dans un avenir commun, d’autres que nous le font et occupent le terrain : la nation, la race, la religion tiennent lieu de l’appartenance à une communauté humaine plus ample et plus durable que l’individu, fût-elle une communauté fantasmée. À défaut d’identité massive et excluante, une majorité « plus raisonnable » va choisir de s’identifier à ce qui existe ici et maintenant en soutenant les institutions et les dirigeants qui sont là. Ce n’est pas qu’ils ou elles n’aient pas compris que ce monde marche mal, mais il faut bien appartenir à un monde. Ce constat devrait nous conduire à opposer au monde existant un projet de société, une communauté humaine pour tous et toutes, un avenir plus grand que nous.
La troisième dimension c’est le rapport au monde dans sa globalité : au vivant, à la terre, l’air, les fleuves, aux mers et aux montagnes, ainsi qu’à notre corps biologique et « naturel ». Elle est en train d’émerger comme conséquence des luttes écologistes et féministes. Notre culture implique une séparation d’avec ce que nous appelons la nature. Celle ci est appréhendée comme une extériorité que tout au plus nous devrions protéger. Il y eut une bifurcation malheureuse aux origines du mouvement révolutionnaire : Marx décrivait la nature comme « le corps extérieur de l’homme ». Malheureusement c’est un autre versant de l’œuvre de Marx qui a été retenu : la nécessité de transformer le monde pour le soumettre. Mais cette extériorité vient de loin : des origines de la pensée moderne aux 16e et 17e siècle quand Descartes pensait l’esprit séparé de la matière et quand Bacon disait qu’il fallait « faire rendre gorge à la nature ». Cette pensée est en adéquation avec le capitalisme qui n’a comme fonction que de faire passer la matière, considérée comme inerte, fût-elle de la matière vivante, dans la moulinette du travail. Elle a pris racine dans la philosophie chrétienne qui place les hommes au dessus de la création et qui a une répulsion particulière envers la matière, l’animalité, le corps.
Le rapport au monde ainsi décrit pourrait avoir beaucoup plus d’inertie dans la civilisation humaine que les rapports de production. Nous savons que transformer les rapports de production sera inséparable d’une transformation des rapports « à la nature ». Nous devrions méditer quelques faits rapportés par les anthropologues : la domestication du caribou (appelé renne en Europe du Nord) a été durablement et systématiquement refusée par les populations autochtones du Grand Nord américain, malgré les avantages techniques que cela représentait, malgré des tentatives organisées de transferts de compétences, de matériel, venues du grand Nord Européen. Pour ces populations animistes, il est inconcevable de subordonner des animaux, de les rendre esclaves. Il en est de même de certains peuples animistes amazoniens qui n’ont jamais accepté l’élevage malgré des situations alimentaires critiques. À l’opposé, les peuples qui se voient plongés brutalement, par le colonialisme ou la modernisation à marche forcée, dans un rapport au monde (moderne) qu’ils ne connaissent pas et qui ne fait pas sens pour eux connaissent des taux de suicide vertigineux, une morbidité par maladies, des niveaux d’alcoolisme destructeurs. Les pénuries matérielles, la pauvreté n’expliquent à eux seuls pas ce malheur.
Dans beaucoup de pays « modernes », la montée de l’extrême droite et de l’intégrisme religieux pourraient être aussi mis en rapport avec une réaction contre les transformations en profondeur qui sont latentes derrière les tentatives de « protection de la nature », la lutte contre le changement climatique et les mouvements militants ou institutionnels qui en sont porteurs. Il ne s’agit pas seulement d’intérêts matériels qui poussent des milieux populaires à soutenir les dénégations anti-écologiques de Trump ou de Bolsonaro. Nous pouvons constater à quel point le basculement civilisationnel provoqué par le féminisme alimente la réaction fascisante ou religieuse. Il sera utile d’explorer aussi comment les transformations du rapport au monde qui découlent de la question écologique peuvent alimenter une peur panique et une crispation civilisationnelle afin de conserver une nature comme ressource extérieure et une humanité maître du monde.
Une pensée révolutionnaire rénovée devra s’atteler aux trois dimensions de la transformation du monde :
- la question des moyens matériels de la vie et de l’organisation pour y subvenir (mais sur ça nous avons une longue expérience)
- la question de l’appartenance à une communauté humaine et politique
- la question du rapport au monde, ce que nous appelons à tort notre rapport à la nature (comme si la nature nous était extérieure)
Ce texte, jeté ici vite fait à l’occasion du congrès du NPA n’est pas finalisé. S’il suscite des réactions et une volonté d’en discuter, il pourrait évoluer en vue d’une publication plus formelle. Il a l’ambition de stimuler le besoin d’un nouveau manifeste pour le communisme.
Gérard Vaysse
18 novembre 2022
gerardvaysse protonmail.com